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"De 1900 à 1910, j'ai vécu dans la métaphysique. De 1910 à 1920, j'ai vécu dans la psychologie. De 1920 à 1930, la pédagogie a tenu le haut du pavé. De 1930 à 1940, la socio­

logie. Et me voici, depuis 1940, jusqu'au cou, jusqu'à l'âme, jusqu'à l'esprit, plongé dans la philosophie."

Ferrière, A. , Grand Journal, 23.1.1944, tome VIII, p. 1.

En janvier 1922, Io revue Pour l'ère nouvelle, organe de la ligue in­

ternationale pour !'Education Nouvelle - L.1.E.N. - fondée en 1921 à Calais, lance un appel au monde pédagogique : "L'Ere nouvelle de l'enfance d'aujourd'hui - voyez, ce serait l'Ere nouvelle pour l'huma­

nité de demain !" "Travaillons pour l'Ere nouvelle. Et ayons confiance!"

Cet appel est signé : Adolphe Ferrière. Il annonce l'amorce d'une ba­

taille pédagogique controversée qui s'étendra non seulement aux Ecoles nouvelles - un des mouvements d'institutions privées à l'origine de Io L.l.E.N. - mais également à l'école publique, et qui s'intensifiera tout au long des années 1920 à 1930.

Mois avant que ne débute ce combat d'idées sur la scène publique et la transformation de l'école qui devait en découler, A. Ferrière a vécu lui-même son ère nouvelle à travers une période marquante de sa vie; à l'image des années charnières 1898-1900 - développées dans une contribution précédente et intitulée Naissance d'une vocation -1918-1921 constitue un tournant décisif de son existence.

La lecture de ces quatre années-là du Journal quotidien révèle des faits et une image du personnage restés inconnus jusqu'alors des biographes.

Notre propos ne s'attardera pas à examiner la chronologie détaillée des événements travail qui fera l'ob iet d'une prochaine publication -mois plutôt à présenter les aspects moins connus de la personnalité du pédagogue de !'Ecole active.

Pour situer le cadre général, rappelons qu'après son retour de chez H. Lietz en 1902, A. Ferrière se consacre à ses études à l'Université de Genève - Faculté des Lettres et Sciences sociales -, à la présenta­

tion de sa thèse de doctorat, soutenue en 1915, et dès 1912 à son

en-seignement à l'Institut J.-J. Rousseau. Ses visites régulières dons plu­

sieurs Ecoles nouvelles d'Europe alternent avec de longues périodes de réflexion et de lectures philosophiques. Durant la première guerre mondiale, il se retire dans un chalet de montagne aux Pléiades sur Blonay (VD), situé sur un terrain de trente hectares dont i 1 est proprié­

taire. 11 portage son trovai 1 d'écrivain avec la participation aux acti­

vités de l'Ecole foyer des Pléiades fondée par Robert Nussbaum en 1911, ainsi qu'à l'accueil, dans son chalet, d'un groupe d'enfants d'une école belge réfugiée en Suisse. le milieu aisé dans lequel il vit ainsi que la rente appréciable qu'il reçoit lui permettent de mener une existence loin des soucis matériels.

1. LE BOULEVERSEMENT

Le 1er avril 1918, un premier coup dur le frappe : l'incendie du cha­

let des Pléiades et Io destruction de tout son labeur; entre autres : dix-huit mille fiches de travail - toute la documentation du B.1.E.N., quatre manuscrits d'ouvrages non publiés, une bibliothèque bien garnie, son Journal quotidien, une grande partie de ses productions artistiques, la totalité de ses compositions musicales. Une table rose parei lie aurait pu décourager l'être humain le plus optimiste. Or ce n'est pas le cas d'A. Ferrière qui, pourtant très affecté et convalescent - il s'est bles­

sé à une jambe en sautant du premier étage pour échopper aux flam­

mes-, puise ses forces dans les dernières réserves et, tout en reconstrui­

sant son chalet, se remet immédiatement et patiemment à reconstituer à l'identique, dans la mesure du possible, les pièces détruites. Mais la malchance n'a pas fini de s'acharner. Un second événement, peut­

être moins inattendu mais tout aussi brutal que le premier, ébranle cette fois sa situation sociale : en juillet 1919, il apprend, de son père, que la rente - provenant de placements immobiliers à l'étranger - qu'il touchait automatiquement et régulièrement depuis sa jeunesse est fortement diminuée.

La débâcle de la fortune Ferrière-Faber due à une dévaluation fou­

droyante de la monnaie autrichienne - qui s'écroule avec Io dynastie et l'empire austro-hongrois - en est la cause principale.

Difficile réalité à accepter : il ne pouvait plus se contenter de ses activités favorites au titre d'occupations désintéressées. A quarante ans il fallait travailler pour vivre et nourrir une famille. Pour lui, une ère nouvelle commençait.

"1919 fut une triste année. Au début, nous pouvions encore nous croire, sinon riches, du moins à l'abri du besoin.

Aussi une bonne partie de l'année s'est-elle écoulée à chercher une position sociale et à louer ou à vendre notre maison et nos terres des Pléiades." ( 1)

Dès lors il cherche un moyen de rentabiliser ses ressources intellectuel­

les et manuelles : écrire, aussi, pour être rémunéré - il négocie ses articles, ouvrages avec une quantité de revues et de maisons d'édition-, enseigner pour recevoir un salaire - il cherche à multiplier ses cours à l'Institut J.-J. Rousseau et pose sa candidature à la chaire de socio­

logie de l'Université de Genève-, cultiver la terre des Pléiades pour vendre les produits. Il espère aussi le rattachement de l'Institut J.-J.

Rousseau à l'Université car celui-ci rencontre de sérieux problèmes financiers. Le bilan de fin 1919 est décevant :

"Tout a échoué, pour le moment du moins. Il est vrai qu'avec ma surdité, l'inconstance de ma santé, mes spécialitJs très peu 'monnayables', par le temps qui court : pédagogie psy­

chologique, pure science universitaire - de la sociologie, je ne parle pas - il est difficile de trouver un poste qui convienne.• ( 1)

Cette situation sociale se complique d'un état de santé qui s'aggrave :

•Evidemment le gros point noir est ma santé. Quoique moins bas qu'en 1917 et 1918, je suis très loin d'être d'aplomb.•

( 1)

Il souffre depuis son enfance d'une surdité graduelle qui le contraint à porter des appareils acoustiques dont la technique est souvent défaillan­

te. Dès 1910, son état général est atteint et il connait des problèmes gastriques et nerveux, ce qui le plonge dans de longues périodes dépres­

sives.

Le Journal quotidien de l 9l8 et 1919 révèle une situation drcmatique : nous découvrons un homme diminué, qui est souvent submergé par l'ac­

cumulation des soucis financiers et médicaux. Pour cet homme qui s'est entouré de multiples contacts dans les milieux intellectuels, de la

pres-1. Journal guotidien, bilan de l'année 1919.

se, de l'enseignement, avec les praticiens des Ecoles nouvelles, et qui a l'ambition d'être un éducateur de l'ère nouvelle, l'environnement privé de sons qui s'installe petit à petit autour de lui constitue une rude épreuve souvent insupportable. En 1920 il écrit :

"Le 10 septembre à Bruges j'ai exposé à Bella ( 1) à la fois le fond de ma souffrance et l'espoir d'harmoniser quand même ma vie. Le Congrès (2), à Bruxelles, a mis à nu, plus que jamais, la déchirure entre mon intense besoin d'activité morale, intellectuelle sur le plan social et ma surdité.

Vouloir et ne pas pouvoir, voilà tout le drame intime de ma vie.• ( 3)

Pourtant il s'accroche, et c'est avec une pointe d'amertume qu'il note :

•vivre, c'est toute mon ambition. De tout le reste, sauf de Claude (4), de Bella et de mes parents, je me sens détaché plus que jamais, infiniment." (5)

Cet état de souffrances continues atteindra son paroxysme entre .1920 et 1923.

"Manque d'argent - manque de santé·- manque d'ouïe, et tous les renoncements que cela comporte. Voilà ce qui hante mes heures sombres." (6)

"Quant à mon travail, il se résume en peu de mots : surme­

nage d'où maladie; maladie d'où surmenage. A part février, mi-juin à mi-juillet, et, en quelque mesure octobre, j'ai été malade, plus ou moins toute l'année." (7)

Le bilan est noir; il est surtout le résultat d'un double échec - échec des tentatives médicales pour retrouver son ouie; la surdité est totale dès 1921,

- échec du dernier essai de pratiquer lui-même son idéal pédagogique.

1. Il s'agit de son épouse Isabelle Ferrière, collaboratrice de tous les instants; secrétaire, traductrice, écrivain, organisatrice; elle a secondé A. Ferrière dans toutes ses activités.

2. Congrès des Associations internationales de la Sociétê des Nations, tenu du 7 au 20 septembre 1920 à l'Université internationale de Bruxelles.

le Projet d'Ecole nouvelle qu'il avait lancé en 1909, et qui devait se réaliser à Bendes près de St-légier (VD), avait échoué en 1910. Dès·

1914 il avait collaboré avec R. Nussbaum aux activités de l'Ecole

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