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ADOLPHE FERRIERE ET PAUL GEHEEB UNE AMITIE VERITABLE

Yeouda Heinz Zei/berger

Si A. Ferrière a été désigné, à juste titre, comme un des grands théo­

riciens de l'éducation dite "nouvelle", aussi bien que le fondateur et promoteur de l'école dite "active", Paul Geheeb ("Paulus") peut être considéré comme un des grands praticiens et réalisateurs de cette éducation ...

Ces deux personnalités ont grandi et agi pendant leur jeunesse dans des milieux culturels et intellectuels bien différents. l'un était de civilisation française et tout à fait francophone, l'autre de culture purement allemande et complètement gennanophone. Pourtant dès un âge relativement jeune - celui-ci ayant une trentaine, celui-là une vingtaine d'années -, des contacts et des rapports personnels d'une grande intimité se sont développés et approfondis entre eux au cours des années, inaugurant, pour la durée de leur vie, une véritable et belle amitié.

Ferrière est connu comme auteur de langue française, en tout cas en Suisse romande et en France. Par contre, pour la raison que l'on a dite, il nous semble nécessaire et important de consacrer quelques lignes générales à Geheeb en particulier. Nous essayons dans cet article de dessiner le cadre à travers lequel il s'insère dons l'histoire de la pédagogie contemporaine, et plus exactement de la pédagogie de la première partie de notre siècle. Mais le nom de Paul Geheeb est probablement oublié même dans l'Allemagne d'après la deuxième guerre mondiale, puisqu'il a quitté l'Allemagne nazie pour des raisons d'ordre idéologique et que l'école qu'il a fondée et qui existe encore ne porte pas son nom. Mais, d'autre part, le fait que, dès l'émigra­

tion de son école en Suisse, dans le canton de Genève, à Pont-Céard près Versoix, il l'appela "Ecole d'Humanité", et cette Ecole continue à exister dans le canton de Berne (à Hasliberg, près Goldern s/Mey­

ringen), ce fait souligne la tendance cosmopolite de sa "communauté scolaire" (en allemand: Schulgemeinde, tenne qu'il a créé lui-même) ...

Ce fut sans doute la raison pour lequel le i 1 fut connu et estimé da­

vantage au-delà des frontières de l'Allemagne et de la Suisse, et même de celles de l'Europe : il était en étroit contact, par exemple, avec le grand poète bengali, Rabindranath Tagore, qui lui rendit

visite dans son école, ainsi qu'avec le premier président de l'Inde {indépendante), Pandit Nehru dont les petits-enfants furent éduqués chez lui. Leur mère, lndira Gandhi - la fille de Nehru et belle-fille de Mahatma Gandhi -, chef du gouvernement {ancien et actuel) de l'Inde, fut une amie proche de Paulus Geheeb.

Un autre trait de caractère propre à celui-ci {voir aussi ci-dessous, plus en détail) était la diversité et la variété de ses intérêts intellectuels et spirituels, d'une part, et le côté consciencieux et sérieux de ses études universitaires, d'autre part.

D'un autre côté, son futur ami A. Ferrière - fils d'une famille suisse romande de vieille souche et jeune instituteur et pédagogue-, s'inté­

ressait aux expériences pédagogiques nouvelles dans toute l'Europe, et surtout en Allemagne où se trouvaient les novateurs les plus hardis et les plus conséquents. Nous avons trouvé par hasard la copie d'une lettre de Ferrière (entre les pages de son Grand Journal encore inédit), adressée au Directeur de ('Ecole Nonnale de Rouen et datée du 29 avri 1 1949, Cette lettre comporte, entre autres, des renseignements intéressants sur Hennann Lietz, le fondateur d'Ùne des expériences les plus importantes d'Education nouvelle, celle des Landerziehungsheime (ce qui signifie en français : les Foyers d'éducation à la campagne).

Mais nous y trouvons aussi, en quelque sorte, une clef pour une meil­

leure compréhension de l'œuvre pédagogique de Ferrière :

" ... C'est bien la psychologie de l'inconscient et la philosophie dans leurs rapports réciproques qui sont devenues les 'centres d'intérêts' dominants de ma vie et de ma pratique pédagogique ••• Et j'ai pu voir les résultats magnifiques d'une telle conception de l'éducation.

Le mot de Pindare dont Geheeb a fait lui aussi sa devise : 'Deviens celui que tu es

!

' me pareil plus vrai que jamais. ( ... )"

(1)

1. Geheeb avait l'habitude de dicter ses lettres à sa secrétaire, Ma­

dame Hartig, en faisant faire une copie; ces copies ont été mises à la disposition de l'éditeur du livre ci-dessous par les bons soins de Madame Edith Geheeb, la femme de Paul Geheeb - encore

jusqu'à présent co-directrice de ('Ecole d'Humanité -, tandis que d'autres lettres se trouvent dans les archives de la "Odenwald­

schule", ou bien ont été perdues •..

Dans un ouvrage publié sur Geheeb (1) à l'occasion du centenaire de sa naissance, on trouve une note autobiographique intitulée "LebenslauP' ("curriculum vitae") où Geheeb écrit

#Après avoir étudié à Berlin et à Jena, pendant vingt semes­

tres, en m'occupant des sujets les plus divers, tels que la théologie, la philosophie, des langues orientales {l'hébreu et l'arménien), ainsi que les sciences et la médecine (sur­ (philosophe allemand, disciple de Kant), nous développions ensemble ces idées que nous nous sommes donné comme but de réaliser et de mettre en pratique dans le cadre des Land­

erziehungsheime. Le point de départ spirituel était bie-n�-1 'idéal humain et humaniste, l'idée de civilisation dévelop­

pée par Goethe dans son roman Wilhelm Meister -;-··ë'ô;the et Fichte furent à notre égard les sources de notre mouvement pédagogique. Ensuite, nous avons travaillé ensemble dans le •séminaire pédagogique' du Prof. Rein, à Jena ... Quand Selbstzeugnissen, paru dans la série des "Texte zur Schriftenreiben aus den Deutschen Landerziehungsheimen", Stuttgart, Ernst Klett Verlag, 1970. deuxième Landerziehungsheim. En 1904, j'ai accepté la direc­

tion de cette école à moi' seul. En 1906, après que je m'é­

Adolphe Ferrière, cependant, est venu rejoindre Lietz comme col labo­

rateur à llsenburg, en août 1900; c'est là probablement qu'il a connu un ressortissant des 'Landerziehungsheime' du Docteur Her­

mann Lietz, un produit tout à fait allemand. Il y a plusieurs

cité, un fait que m'a confinné, d'ailleurs, Edith Geheeb, l'épouse de Rousseau' en 'Institut des Sciences d'Education', mais aussi le nouveau directeur de cet institut, Jean Piaget,

conien qu'il s'imposait, la gêne financière qui l'empêchait d'appoin­

ter un secrétaire obligeaient Isabelle Ferrière

à

accompagner cons­

tamment son mari. Leur fils unique, Claude, né en 1916, fut élève de plusieurs écoles nouvel les à la campagne. Il séjourna chez Geheeb de

1931 à 1934.

qu'il est possible de transférer l'école de ('Odenwald en Suisse, mais même là il n'est pas facile de trouver un canton qui soit favorable à l'esprit progressiste de l'école ...

Nous ne possédons pas les lettres que Ferrière a écrites à Geheeb, et nous ne pouvons que nous imaginer ce que celui-ci lui a répondu ...

Mais Ferrière fut préoccupé de ce problème de l'exil de Geheeb et de ses élèves. 11 a écrit un petit 1 ivre pendant la guerre sur Nos enfants réfugiés, et un autre sous le titre : Nos enfants - les victimes principales de la guerre, paru en allemand, à Paderborn, en

1949,

avec

le sous-titre : Une étude psychologique, psycho-thérapeutique et péda­

gogique, ainsi que Nos réfugiés, paru comme tirage à part du "Messa­

ger Social", Genève, en

1943

et

1944;

un chapitre y traite de " ( 'ave­

nir des enfants réfugiés" ...

Paul Geheeb n'a laissé aucun ouvrage. Il a écrit seulement quelques articles concernant son école et ses principes d'éducation. Le seul do­

cument "littéraire" que l'on tienne de lui, c'est le recueil de sa correspondance. Les très nombreuses lettres à Adolphe Ferrière qui s'y trouvent reproduites témoignent d'une longue et véritable amitié de cinquante années ...

Geheeb, né en 1870, est décédé en 1960, peu après son nonantième anniversaire, tandis que Ferrière a pu fêter encore ses quatre-vingts ans, le 30 août

1959

: ils se sont "éteints" presque en même temps ...

Ils ont vécu tous les deux une vie pleine, une vie remplie d'une oeu­

vre de pensée et d'action, pour une meilleure éducation des enfants de leurs pays et du monde entier, et l'on peut les penser "sub specie aetemitatis", selon l'idée de Spinoza, avec laquelle tant Geheeb que Ferrière sentaient une affinité spirituelle ...

Yehouda Heinz ZEILBERGER

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