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2. 2 Réhabilitation d’un explorateur et plaidoirie en faveur de la Compagnie de Jésus

2. 2 Réhabilitation d’un explorateur et plaidoirie en faveur de la

Compagnie de Jésus

Il est un débat sur lequel C. Beccari prit part : celui de la contestation du voyageur écossais James Bruce (1730-1794) que P. Páez ait pu donner une description des sources du Nil bleu (Abbay) dans son manuscrit. C. Beccari reprenait le dossier dans sa totalité de la fin du XVIIIe siècle320 et jusqu’à son époque321.

320 La première réaction au texte de J. Bruce fut celui d’un jésuite G. Tiraboschi (1731-1794), « Memoria sulle cognizioni che si avevano delle sorgenti del Nilo prima del viaggio del sig. Giacomo Bruce », Memorie della R. Accademia di Scienze Lettere ed Arti, Modena, 1795, 1, pp. 152 sq. 321 Beccari, C. (éd.), RÆSOI, 1, 1903, pp. 269-291, reprend le dossier passionnant qui se déroula au sein des Académies savantes européennes sur cette accusation faite par J. Bruce. Voir à ce propos le magnifique plaidoyer de Charles Tilstone Beke dans cet article « Mémoire justificatif en réhabilitation des pères Pierre Paëz et Jérôme Lobo, missionnaires en Abyssinie, en ce qui concerne leurs visites à la source de l’Abaï (le Nil) et à la cataracte d’Alata », Bulletin de la Société de Géographie de Paris, sér. 3, 9, 1848, p. 237-39 : « Un mot, en terminant, sur l’esprit et l’objet de ce mémoire. Personne, que je sache, dégagé de tout esprit de prévention, ne se méprendra sur la pensée et les motifs qui m’ont guidé dans tout le cours de ce long et pénible travail. En entreprenant de réhabiliter la mémoire de Paëz et de Lobo, je me suis imposé l’obligation de ne point aller au-delà. La vérité s’est fait jour d’elle-même, et le seul mérite qui m’appartienne est d’avoir facilité et aplani sa marche. Toutefois, je ne saurais me défendre d’une bien vive émotion en réfléchissant qu’il n’y a que deux ans encore que j’écrivis (note, A Statement of Facts relative to the Transactions between the writer and the British Political Mission to the Court of Shoa, London, 1845, p. 13) que j’avais été assez heureux pour certifier par mon témoignage personnel la visite de Bruce à la source du fleuve qu’il regardait comme son Nil, certitude qui, bien généralement admise aujourd’hui, ne pouvait cependant être sanstionnée qu’autant qu’un autre voyageur transporte sur les mêmes lieux eût vérifié l’exactitude de la relation qu’il en a donnée. Combien j’étais éloigné alors de me croire sitôt force d’abandonner le rang de ses apologistes! Dans ma position nouvelle, je croirais pourtant manquer à cet esprit de loyauté qui m’a dirigé

Comme éditeur du manuscrit autographe de Pedro Páez il possédait la pièce maîtresse capable de mettre fin aux débats qui s’étaient déroulés pendant plus d’un siècle. L’argument qui avait été déployé par J. Bruce était que lors de son retour en Europe, de son passage en Italie et de la consultation de trois exemplaires du texte de Páez (à Milan, Bologne et Rome), « ce dernier n’avait jamais été aux sources du Nil bleu parce que dans son Histoire il ne fait aucune mention de cette découverte » 322.

C. Beccari en publiant dans le premier volume de la RÆSOI (en 1903) le chapitre 26 du livre I de l’Historia de Ethiopia de Pedro Páez dans lequel ce dernier donnait le récit précis de sa visite de ce qu’il identifiait comme les « sources du Nil », qui s’était déroulé en 1618, 323 mettait fin au débat et réhabilitait le jésuite, voire les jésuites. Car ce qui avait été publié en Europe au milieu du XVIIe siècle n’était pas le texte de Páez, mais un texte en latin de Athanase Kircher (1601-1680), savant jésuite éditant, en 1652, son Aedipus Aegyptiacus… lequel reprenait partiellement le manuscrit de P. Páez et sa description des sources du Nil. C. Beccari insistait sur le fait que J. Bruce ne s’était appuyé que sur le texte latin de Kircher et sur aucun des autres textes, comme celui de B. Teles (1660) lequel contenait une description faite

dans cet exposé, si je ne me, hâtais de déclarer que, sous bien des rapports, la relation du voyageur écossais est exacte dans ce qui se rattache à la description de la source de l’Abaï et des lieux adjacents et que là où Bruce est resté dans ces limites, sans chercher à les outrepasser, il fait preuve d’une précision qui va souvent jusqu’à la minutie, et je citerai comme des preuves de son exactitude le cliff de Giesh, la grotte de ce cliff, la colline de l’église, la vue de la plaine d’Assoa, etc. Ses observations pour déterminer la latitude de la source sont pareillement confirmées par les miennes. Pour être vrai, j’ajouterai que, m’en rapportant entièrement à sa relation, je n’avais, jusque dans ces derniers temps, pris qu’une connaissance três superficielle des ouvrages de Tellez et de Kircher, satisfait que j’étais jusqu’alors de ceux de Ludolf et des écrivains postérieurs, et qu’une grande partie de ce mémoire était déjà écrite avant que les observations et remarques de Tiraboschi et de Hartmann fussent parvenues à ma connaissance. Ch. Beke. Londres, le 20 mai 1847 ».

322 Bruce, J., Travels to discover the source of the Nile…, 1791, t. III, chap. 13, pp. 705 et sq. 323 C. Beccari l’édita dans ce premier volume de sa collection (Beccari, C. (éd.), RÆSOI, 1, 1903, pp. 269-291), puis en publiant le manuscrit intégral de l’Historia de Ethiopia dans RÆSOI 2-3, 1905-1906.

par Manuel de Almeida des sources du Nil, ou encore celui J. Lobo publié pour la première fois en français par Le Grand en 1728324. En tant qu’éditeur et « découvreur » du manuscrit de Páez, il offrait un démenti aux accusations de J. Bruce et fournissait la preuve « irréfutable » de la description de P. Páez bien avant celle de Bruce. Le procédé typographique utilisé par C. Beccari, comme administration de la preuve, apparaît sur les pages de la manière suivante : deux colonnes se font face, à gauche, le texte de Páez (en portugais), à droite, la traduction italienne de Beccari. Sous la colonne de droite, une autre, où figure le texte (en latin) de Athanase Kircher. Face au texte de Kircher, dans la colonne de droite, celui de Bruce (en anglais)325. Cela permettait à Beccari de faire apparaître, d’une part, que le texte latin de Kircher s’inspirait du chapitre de Páez, mais n’en était pas la copie, qu’elle contenait de nombreuses erreurs géographiques… et d’autre part, de confondre J. Bruce qui à la différence de ce qu’il affirmait, avoir consulté en Italie à son retour d’Éthiopie les deux copies du manuscrit de Páez, en fait, ne s’était appuyé que sur la version latine de Kircher.

L'intervention de C. Beccari eut un double effet, d’une part, de sortir de l’accusation presque d’imposture P. Páez mais aussi A. Kircher et, d’autre part, de redorer l’image des jésuites en ce début du XXe siècle, en plein renouveau catholique accompagné par le pape Léon XIII326.

L’intérêt de la publication de C. Beccari est manifeste dans les milieux académiques européens. Au Portugal, c’est Francisco Maria Esteves Pereira qui réagissait, tout d’abord dans un article (en 1904) sur la parution du premier volume de la RÆSOI en insistant sur les questions liées à la géographie et la cartographie et

324 Beccari, C. (éd.), RÆSOI, 1, 1903, pp. 269-271; Teles, B., Historia Geral de Ethiopia a Alta ou Preste Ioam..., 1660 ; Le Grand (éd.), Voyage Historique d’Abyssinie, du R. P. Jerome Lobo de la Compagnie de Jesus. Traduite du Portugais, continuée et augmentée de plusieurs Dissertations, Lettres et Mémoires, 1728.

325 Beccari, C. (éd.), RÆSOI, 1, 1903, pp. 273-291.

au chapitre sur la description des sources du Nil327. Et ensuite dans un second article (en 1905), il réédita intégralement le chapitre 26 du livre 1 de P. Páez avec un commentaire très bref sur le fait que cet auteur était bien le « découvreur » du Nil bleu328. En Italie, Pietro Tacchi Venturi consacra un article à Pedro Páez (en 1905) intitulé « Pietro Paez. Apostolo dell’Abissinia al principio del sec. XVII »329 dans lequel il figurait sur le même plan que ses autres confrères, Alessandro Valignano, Matteo Ricci, Roberto de Nobili faisant de lui l’apôtre de l’Éthiopie (comme Almeida, puis Teles, et également Beccari). La mise au jour du manuscrit de Páez par C. Beccari engagea et entraina une série d’enjeux spécifiques qu’il convenait de mettre en évidence.

3. Une nouvelle édition critique de l’História da Etiópia et les

enjeux contemporains