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La régulation du « désir de parole65 » des enfants prend des formes différentes en début et en fin

de dispositif, et selon que l’enfant qui se propose de raconter l’a déjà fait ou pas.

J’observerai donc dans un premier temps les gestes professionnels de la conteuse au moment où les premiers enfants se sont proposés pour raconter, à partir de la troisième séance à l’école C, ou de la cinquième séance à l’école B. Les séances observées à l’école A se plaçant en fin de dispositif, il sera possible d’y relever le mode de régulation de la conteuse, une fois que l’envie de raconter s’est installée chez les enfants.

C.1- ESTIMER LA CAPACITÉ DE L’ENFANT À POURSUIVRE SON PREMIER RÉCIT

L’annexe 6 présente le premier essai de racontée de Martin à l’école B le 3 avril, juste avant la racontée de Clovis décrite ci-dessus. La légende et l’analyse des interventions de la conteuse est

équivalente à celle de l’annexe 5. L’interaction entre la conteuse et l’enfant au début de sa racontée correspond à l’accompagnement qui vient d’être décrit : écoute intense, acquiescement, gestes d’aide et questions ouvertes. La polarisation du regard de la professionnelle permet au groupe de s’installer dans le silence et de laisser à Martin le temps de chercher ses idées.

Quand il dit que les pattes du cheval se posent dans la neige la conteuse valide cette nouveauté en chuchotant, avec un regard circulaire : « Cht c’est lui qui raconte ! » (1’22).

Mais l’enfant n’arrive pas à réenclencher le récit après cette proposition. N. Thibur commence alors par essayer de le relancer par quelques questions ouvertes, puis elle lui propose d’être aidé par un camarade : « Est-ce que tu veux que quelqu’un t’aide à te rappeler ? » Comme l’enfant acquiesce, elle donne la parole à Clovis, son voisin, en posant le principe que cette aide n’est qu’un relais : « Tu veux l’aider, Clovis ? Mais un tout petit peu ! Dès qu’il retrouve, tu le laisses

continuer ? » Quand Clovis prend la parole, les autres doigts levés ne sont plus pris en compte, et

les enfants se réinstallent peu à peu dans l’écoute de la suite.

Comme Martin se contente, à partir de ce moment, de répéter les propositions de Clovis, la conteuse transmet à celui-ci le rôle de narrateur principal : « Tu sais ce que je te propose, comme

Clovis, il a l’air de bien s’en rappeler, il va nous la raconter, et toi tu l’écoutes, d’accord ? Pour qu’elle revienne dans ta tête. » Et c’est à la suite de cette transmission du rôle de conteur que Clovis

déroule le récit décrit précédemment.

Nous voyons donc de quelle manière la conteuse donne à l’enfant la possibilité de commencer le conte, installe l’écoute dans le groupe, étaye les recherches du petit conteur, et lui propose l’aide d’un camarade... Mais voyant qu’il n’arrive pas à poursuivre, elle invite Clovis qui avait proposé son aide de prendre en charge le récit. Ainsi Martin n’est pas laissé en difficulté et bénéficie d’un relais qui se fait avec un grand respect. Il est conforté dans son désir de raconter par l’invitation à écouter à nouveau le récit, pour que celui-ci « revienne dans [sa] tête ».

À la troisième séance de l'école de C, Elie, un enfant d'ULIS s’est proposé, dès l’arrivée de la conteuse, pour raconter un conte assez long, le Petit coq noir. Cette séance était la première observée dans cette classe, et la conteuse m’a confirmé que cette proposition intervenait avant toute sollicitation de sa part. En introduction de cette séance, N. Thibur a récapitulé le répertoire déjà proposé, puis elle a annoncé : « Et puis on a une petite surprise aujourd’hui, Elie, et ben, c’est lui

qui va nous raconter le petit coq noir, il avait très envie, et puis on l’aide si à un moment, il ne se souvient plus. D’accord ? » Le récit de cet enfant aura lieu après le rituel d’ouverture de la séance,

l’histoire ? » Ce décalage entre l’annonce de la racontée et son début laisse à l’enfant le temps de se

concentrer, sans l’obliger à attendre trop longtemps. Elie parviendra à terminer son conte avec très peu d’aide, et très peu d’erreurs, alors qu’il ne l’a entendu que deux fois.

En revanche, au cours de la séance suivante, toujours à C, en voyant que l’enfant qui s’était proposé pour raconter le conte du Hérisson, entendu une seule fois, n’arrive pas à le commencer, la conteuse reprend la parole : elle lui propose de la laisser conter tout en lui ménageant une place dans sa racontée : « Tu sais comment on va faire, on va faire l’inverse. Je vais commencer

l’histoire, et tu vas m’aider, toi. » Et elle donne la parole à l’enfant aux moments répétitifs du récit.

On voit comment la professionnelle offre à l’élève qui se propose pour la première fois la possibilité de commencer son conte, comment elle estime ses capacités à assumer le récit et comment, si besoin, elle l’aide et/ou le fait aider par des camarades. On voit également de quelle manière elle organise le relais de la racontée quand l’enfant qui s’est proposé n’arrive pas à la commencer. Selon le nombre de fois qu’elle a elle-même raconté le récit, elle reprend la narration, ou la propose à un autre élève.

Dans les séances observées, les enfants qui n’ont pas réussi leur première racontée se reproposent spontanément quelques séances après. On leur demande alors s’ils sont bien sûrs de savoir leur récit jusqu’au bout, et dans tous les cas observés, cette deuxième tentative leur a permis de terminer leur conte, avec ou sans aide.

Mais l’écoute du groupe est également prise en compte : on demande aux enfants de respecter la racontée d’un camarade même si celle-ci est un peu tâtonnante. Ils s'habituent à laisser au copain ou à la copine le temps de trouver ses mots, apprennent à lui donner un coup de pouce et à lui rendre ensuite la parole, mais on ne leur impose pas de rester à l’écoute d’un récit qui n’avance pas du tout. Cela construit une sorte de contrat tacite : si je prends la parole, c’est que je me sens prêt à raconter un récit en entier.

C.2- LA DISTRIBUTION DE LA PAROLE EN FIN DE DISPOSITIF

Dans les séances de fin de dispositif à l’école A, aussi bien chez les TPS/PS/MS que dans la classe des GS/CP, les enfants étaient nombreux à être volontaires pour conter. Le répertoire était énuméré en début de séance, et il était déterminé qui allait raconter quoi. La modulation se faisait sur deux critères : en privilégiant ceux qui n’avaient pas encore raconté, ou ceux qui n’avaient pas raconté depuis le plus longtemps, d’une part, et en essayant de varier les contes écoutés pendant une

séance d’autre part. Parfois, la conteuse a proposé à ceux qui n’avaient pas eu de temps de parole sur la séance en cours de raconter en premier la fois suivante.

Dans la dernière séance du cycle observée chez les petits, j’ai pu constater qu’un conte long était partagé entre plusieurs enfants. Ce relais s’est fait soit en alternant deux enfants, l’une apportant son aide à l’autre, mais assumant dans les faits une bonne partie du récit, soit par succession des enfants d’un épisode à l’autre, le conteur suivant étant choisi à chaque étape parmi ceux qui se proposaient. Cette modulation de la prise de relais permet la prise de parole de plus d'enfants dans l'espace d'une séance, mais la conteuse précise qu'il est important de le faire à la fois en accord avec l'enfant qui vient de raconter, et en choisissant celui ou celle qui poursuivra le récit parmi ceux qui se proposent, c'est à dire ceux qui se sentent prêt à raconter à ce moment précis.

CONCLUSION DE LA TROISIÈME PARTIE

L’observation de la pratique d’une professionnelle expérimentée n’a assurément pas l’objectif d’en faire un modèle incontournable pour tous ceux qui voudraient animer des Ateliers d’enfants

conteurs en école primaire. D’ailleurs, la conteuse ne revendique aucunement le statut de guide ou

d’experte : la spécificité de sa pratique s’est construite sur son expérience individuelle, sa personnalité, et des choix qui lui sont propres.

Cependant, ces analyses ont permis de mettre en évidence les gestes professionnels qui permettent l’émergence de la parole conteuse des élèves, sa régulation et son étayage. La pratique des Ateliers d'enfants conteurs étant peu répandue, ces observations peuvent nourrir la réflexion d’autres acteurs, et leur permettre d’élaborer leurs propres choix, d’expérimenter leur propre pratique, tout en se faisant une représentation précise des points sur lesquels s’interroger.

Toutefois, le descriptif des Ateliers d’enfants conteurs serait incomplet si on ne se préoccupait pas des acquis des élèves. C’est à ces apprentissages que la dernière partie va à présent s’intéresser.

QUATRIÈME PARTIE :

ATELIERS D’ENFANTS CONTEURS

EN ÉCOLE PRIMAIRE,

APPRENTISSAGES DES ÉLÈVES

La classe de GS de l’école B a fait l’objet d’un suivi sur la durée, de mars à juillet 2017. J’ai pu enregistrer dans cette classe seize séances d’ Ateliers d’enfants conteurs, animés d’abord par la conteuse puis par l’enseignante. Ces vidéos me permettront d’étudier l’évolution des élèves au fil du temps, et d’aborder la quatrième question de ma problématique : « Quels sont les apprentissages

spécifiques observés chez les élèves en lien avec cette oralité ? »

Les acquisitions langagières et de mémorisation seront traitées en premier, en référence aux caractéristiques de l’oralité précisées de façon théorique, et les apprentissages sociaux seront abordés dans un deuxième temps.

I- APPRENTISSAGES LANGAGIERS

ET MÉMORISATION

Pour étudier les apprentissages langagiers des élèves, je commencerai par donner une indication de la durée et de la difficulté de chaque conte. Je listerai ensuite sur l’ensemble du dispositif quels contes chaque enfant a raconté, et combien de fois. La comparaison de deux versions successives d’un même conte raconté par un même enfant me permettra ensuite d’observer les progrès réalisés de l’une à l’autre.