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LA PRATIQUE DE L’ORAL EN CLASSE : HABITUDES DU MÉTIER ET NOUVELLES PRESCRIPTIONS

La représentation que l’on se fait d’un bon professeur de l’école élémentaire ou du collège ou du lycée, est définie à la fois par « règles consensuelles définissant une bonne pratique », évoquées en clinique de l’activité, et par l’opinion plus générale en cours dans la société. Parmi les caractéristiques premières d’un « bon enseignant », on trouve la capacité à « bien tenir sa classe », ce qui se traduit par l’aptitude à obtenir que les élèves soient silencieux Langlois (2009, p.9). Cette image, très prégnante, notamment chez les enseignants débutants, implique une régulation stricte des échanges oraux.

Quel est l’état des lieux de la pratique de l’enseignement de l’oral dans les classes, notamment en élémentaire, quand la maîtrise de l’écrit est supposée acquise, et quels sont les conseils institutionnels qui tentent de modifier ces habitudes enseignantes ?

C.1- ENSEIGNEMENT DE L’ORAL : ÉTAT DES LIEUX

Le dialogue pédagogique

Selon les observations en classe, il semble que les situations de parole collective se rapportent encore de nos jours au modèle du « dialogue pédagogique » de 1890 (IGEN, 1999, p.27). La gestion de ce type d’échange reste, du point de vue des inspecteurs généraux, complexe à conduire. Il se révèle trop souvent centré sur « la réponse attendue », ce qui tend à rendre l’échange artificiel et formel. D’une manière générale, selon les inspecteurs, « les maîtres interrogent

beaucoup, certainement trop » (p.19), et leur questionnement n’est pas assez ouvert : « incitant à des réponses brèves, réduites parfois à un mot ». Le document souligne que ce type de dialogue

maître-élèves échoue à stimuler la réflexion de tous les enfants :

La situation de dialogue adulte-enfants [...] ne semble pas suffisamment maîtrisée. En effet, rien n'est prévu pour s'assurer que tous les élèves participent réellement à l'élaboration de cette verbalisation. Aucun dispositif ne permet de s'assurer que, lorsque le petit peloton de tête a construit une verbalisation cohérente, les autres élèves de la classe sont tous en mesure d'expliquer ce que l'on a fait ou ce que l'on va faire (p.28).

Un oral basé sur l’écrit

Le document relève également que les pratiques en classes élémentaires restent majoritairement axées sur une oralisation de l’écrit : lecture à haute voix « expressive » et récitation, et ce, malgré une évolution des prescriptions amorcée depuis presque 30 ans.

C.2- LA POSTURE DE L’ENSEIGNANT DANS LES NOUVELLES PRESCRIPTIONS

Dans les documents d’accompagnement destinés au cycle 3, Dominique Bucheton (2014) propose d’autres modèles de gestion de l’oral en classe.

La première attitude d’enseignant décrite est la posture dite « de contrôle », caractérisée par « un

pilotage serré de l’avancée des tâches », l’enseignant cherchant « à faire avancer tout le groupe en synchronie ». Ce dispositif se rapproche clairement du dialogue pédagogique décrit ci-dessus.

Comme les inspecteurs généraux, l’auteure met en garde l’enseignant sur le risque de vouloir

« avancer plus vite si la nécessité s’impose », et d’aller jusqu’à « faire à la place de l’élève.»

Elle conseille plutôt au professeur d’école de prendre une posture « d’accompagnement » et « de

lâcher prise », en « se reten[ant] d’intervenir ». Il s’agit pour le maître d’« observer plus qu’il ne parle », en évitant « de donner la réponse, voire d’évaluer ». Ce positionnement conduit le

professeur à « assigner aux élèves la responsabilité de leur travail », et à leur donner « l’autorisation d’expérimenter les chemins qu’ils choisissent ». Dans ce lâcher-prise, « les savoirs

sont instrumentaux et ne sont pas verbalisés », l’enseignant peut « ouvrir le temps », et « laisser [les

élèves] travailler ».

Cette ouverture est confortée lorsque le maître prend la posture dite « du magicien » qui capte l’attention des élèves « par des jeux, des gestes théâtraux, des récits frappants ». Dans ce mode de gestion de l’oral, « le savoir n’est ni nommé, ni construit, il est à deviner ».

Ce parti pris de non explicitation de l’enseignement de l’oral est modulé par des séquences où le professeur « formule, structure les savoirs, les normes, en fait éventuellement la démonstration ». Le maître est alors « le garant de ces normes », assumant ainsi « ce que l’élève ne peut pas encore

faire tout seul ». Les modalités d’enseignement sont dans ces moments explicites, « les savoirs, les techniques sont nommés », et « la place du métalangage est forte ».

C.3- ORAL SCRIPTURAL, ORAL NORMÉ

Le registre de langue utilisé à l’école continue de poser question. Parmi les documents d’accompagnement concernant le langage oral et publiés en 2015 sur éduscol, on trouve notamment une fiche repère s’intéressant à la mobilisation du langage en Maternelle38. Celle-ci souligne

l’inégalité des élèves face à cette langue scolaire : certains enfants sont déjà accoutumés, par leur environnement familial, à une forme élaborée de langage, et « entrent facilement dans les attentes

langagières scolaires.» D’autres ne bénéficient pas de cette complémentarité et se trouvent

confrontés, à l’école, à une langue complexe et éloignée de leur environnement familial. (p.7). La réponse proposée pour combattre cette inégalité est de permettre à tous les élèves un accès à l’enseignement de l’« oral scriptural », garant de la réussite future des élèves :

Parce qu’il s’agit de combler des inégalités sociales et parce que la réussite à l’école passe par l’apprentissage et l’utilisation adéquate de ces oraux scripturaux, il faut l’enseigner et multiplier les occasions pour que les enfants se les approprient. (p.8).

Cet oral scriptural, « fortement apparenté à l’écrit », induit un « rapport second à la langue », et constitue « l’objectif majeur de l’école maternelle ». Car « c’est sur sa capacité à l’utiliser que peut

se jouer l’avenir scolaire d’un enfant » (p.7).

S’il est légitime de considérer la maîtrise d’un langage élaboré comme un objectif d’apprentissage, l’exigence d’une formulation élaborée dans les échanges quotidiens n’est pas sans risque. Cette injonction, mal comprise peut conduire le maître à se comporter en « censeur qui

corrige les erreurs du milieu familial » (Romian, 1979, cité par Charmeux, 1996, p.37). Elle risque

d’instaurer en classe un langage normé qui exclura les enfants ne le maîtrisant pas, au lieu de favoriser leur réussite à l’école.

C.4- DISCUSSION

Les prescriptions ambitieuses de 2015 concernant l'enseignement de l'oral demandent un changement de posture difficile à mettre en œuvre.

Le dialogue pédagogique collectif reste en effet un modèle répandu en classe élémentaire, non seulement par habitus professionnel et assise historique ancienne, mais aussi parce que son maintien répond à des contraintes de terrain réelles. Ce modèle de gestion des échanges oraux est conforté par la nécessité pour l’enseignant d’instaurer un fonctionnement collectif dans des classes chargées et de ne pas se laisser déborder par les interventions orales d’élèves, parfois délicates à gérer dans des environnements scolaires difficiles.

38 Fiche repère Maternelle 1, (2015), Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions pour le cycle 2. Relevé sur le site

éduscol le 17/08/17 :

Cet usage de l'échange oral en classe est de plus étayé par une évaluation de l’enseignement qui reste essentiellement centrée sur l’acquisition de savoirs écrits.

Par ailleurs, même quand les enseignants sont soucieux de faire de la langue orale un vrai objet d’apprentissage, l’injonction de faire progresser tous les élèves vers un langage « scriptural » reste complexe à mettre en œuvre face à des publics aux acquis contrastés.

Outre ces contraintes pratiques, il semble réducteur de concevoir la construction du langage seulement comme le résultat d’une série de situations d’entraînement, dissociées de la construction globale de l’enfant. Dans sa synthèse : « Vers une didactique du français oral » Schleuwny (1997, p.7) cite Garcia Debanc : « Les compétences orales semblent […] tellement liées à la construction

de la personne qu’il nous paraît dangereux et peu opératoire d’en autonomiser les exercices. » Les

descriptifs des psycho-linguistes39, corrèlent fortement l’apprentissage du langage avec une

communication enfant-aîné ou enfant-adulte intense, duelle et complète, qui met en jeu l’ensemble de l’être, et construit l’enfant en tant que « sujet-parlant qui s’éprouve comme sujet » (Chanfrault-

Duchet, 2011, p.3).

C’est cette globalité de l’être qui est au centre des Ateliers d’enfants conteurs, en référence aux travaux de Mme Platiel. C’est cette vision de la personne qui sert de base à la construction de la maîtrise de la parole, c’est elle qui est en jeu dans l’oralité des contes.

C’est donc avec cet éclairage humaniste que nous allons à présent nous intéresser à l’oralité, dans ses dimensions ethnologiques et pédagogiques.

II- ORALITÉ ET ATELIERS D’ENFANTS CONTEURS

Nous avons décrit, tant du point de vue des prescriptions que de celui des pratiques enseignantes, le cadre dans lequel les Ateliers d’enfants conteurs sont appelés à prendre place.

Nous allons à présent définir la notion d’oralité en tant que telle, évoquer les pédagogues qui l’intègrent dans leurs pratiques, et préciser les spécificités d’apprentissage qu’elle permet.