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Historiquement, selon Marie Françoise Chanfrault-Duchet (2002, p.1), « l’école de Jules Ferry,

centrée sur l’écrit, s’est construite contre l’oralité ». Cependant, la domination de l’écrit dans les

objectifs d’enseignement est tempérée par deux faits : l’omniprésence de la parole de l’enseignant et la nécessité plus ou moins admise d’enseigner à l’école une pratique orale correcte de la langue française.

Le rapport IGEN sur « la place de l’oral dans les enseignements à l’école primaire », publié en 1999, développe l’idée que l’injonction d’une « pratique régulière et exigeante de l'oral » n’apparaît explicitement dans les textes qu’aux moments de mutation, quand l’État prescrit à son école des « projet[s] d'acculturation [...] ambitieux », que « l'écrit ne saurait suffire » à soutenir seul. L’enseignement de l’oral n’est explicitement prescrit qu’aux périodes où l’on considère que

« la langue et la culture scolaires » sont « très éloignées de la langue et de la culture ordinaires des populations concernées ».

Examinons cette alternance historique entre les périodes où l’oral est considéré comme un objectif explicite de l’école et celles où il n’est plus évoqué.

A.1- L’ÉCRIT SUPPORT DU SAVOIR ENCYCLOPÉDIQUE

Selon Langlois (2010, p.82), sous la IIIe République, l’oral réfère non seulement à une culture

populaire dévalorisée, et à des pratiques religieuses remises en cause par la laïcité naissante, mais il s’appuie de plus sur les parlers régionaux, qui menacent le projet d’unification linguistique de la France. Le Rapport IGEN (1999, p.5) souligne, chez les fondateurs de l’école, la volonté d’une alphabétisation massive, et d’un enseignement basé sur l’écrit, qui représente le français académique et la culture lettrée :

Le législateur cherche […] à substituer à la culture traditionnelle des campagnes, transmise par "ouïe dire" et "voir faire", la culture moderne qui s'acquiert dans les manuels quasi encyclopédiques de l'école primaire. Il convient que chacun se persuade que c'est en lisant que l'on apprend, plutôt qu'en parlant et en écoutant.

A.2- MAIS IL FAUT AUSSI EXERCER LES ENFANTS À PARLER

Cependant, l’école publique française s’adresse à un public issu d’un monde rural souvent patoisant, et de faubourgs populaires très éloignés de l’écrit. Par conséquent, la nécessité

d’enseigner l’oral n’est pas absente de l’esprit des initiateurs de l’école. Ainsi, le « dialogue

instructions de 1887 selon des termes qui seront repris, selon le rapport IGEN de 1999, « dans

celles de 1923 et même dans celles de 1972 » :

« La seule méthode qui convienne à l'enseignement primaire est celle qui fait intervenir tour à tour le maître et les élèves, qui entretient pour ainsi dire entre eux et lui un continuel échange d'idées sous des formes variées, souples et ingénieusement graduées35 » (Rapport IGEN, 1999,

p.5).

Langlois relève, dans le dictionnaire de Ferdinand Buisson posant les principes de l’école républicaine, l’article de Lostalot, inspecteur d’académie, qui conseille aux maîtres d’apprendre à leurs élèves à s’exprimer avec clarté :

… Tous les degrés de l’école primaire comportent certains exercices de parole, et nos élèves sauront parler, quoi qu’on en dise, si nous leur apprenons à parler, si nous ne les tenons pas courbés sans cesse sur le livre ou le cahier, si l’interrogation dans la classe fait partout jaillir la parole. Invitez-les à raconter ce qu’ils ont vu, à répéter tout haut ce qu’ils viennent d’apprendre, à résumer à vive voix une leçon d’histoire, à animer par des exemples les leçons abstraites de la morale, à la faveur de la lecture apprenez à soigner leur débit... Qu’ils apprennent dans les écoles à s’exprimer avec clarté, correction, aisance et sincérité… (Lostalot,

ds Buisson, 1882, cité par Langlois, 2009, p.82).

Elle cite également l’article de Bréal qui affirme, dans le même document, l’importance de la parole, déjà, comme outil d’égalité des chances, de liberté et de civilité :

Le langage est le principal instrument de communication entre les hommes et puisqu’au moyen de la parole les générations sont solidaires les unes des autres, c’est ainsi que l’enseignement de la langue maternelle forme à la fois le commencement et le centre des études… principal instrument de progrès...

Savoir lire, écrire, parler le français conditionne l’accès à tous les domaines du savoir et de l’acquisition de toutes les compétences. La langue française est l’outil premier de l’égalité des chances, de la liberté du citoyen et de la civilité...

Parler et écrire sont essentiellement des arts pratiques, des arts de même nature que de marcher ou se servir de ses mains. Il faut donc exercer les enfants à parler et écrire. (Bréal, ds

Buisson, 1882, cité par Langlois, 2009, p.82).

A.3- À PARTIR DE 1923, L’ÉCRIT PREND LE PAS SUR L’ORAL

Cependant, dès 1923, les législateurs estiment que l’école a rempli sa mission d’alphabétisation et d’unification linguistique, et la pédagogie de l'oral, telle qu’elle existait dans les textes de 1882 et 1887, s’efface. « Le dialogue pédagogique perd en intensité », et s’il persiste, c’est seulement

« pour soutenir les deux grands axes de la vie de la classe : la lecture et la rédaction des textes »

(IGEN, 1999, p. 6).

Il faut attendre la réflexion institutionnelle autour de la création du collège unique, dans les années 70, pour qu’apparaisse dans les textes l’aspect relationnel et communicationnel de l’oral, ainsi que son rôle dans les apprentissages. Malgré de fortes résistances36 et des retours en arrière, les

recherches scientifiques étayent cette évolution, et l’enseignement de la langue orale s’impose peu à peu dans les programmes, tant comme outil que comme objet d’apprentissage.