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Régularité - consistance

Début d’un essai

3.2. Variables phonologiques

3.2.2. Régularité - consistance

La notion de régularité/consistance est liée à celle d’homophonie. En effet, une séquence de lettres est homophone à une autre séquence lorsque toutes deux partagent la même repré-sentation phonologique, tout en ayant des formes orthographiques différentes. Inversement, on parlera d'inconsistance ortho-phonologique lorsqu’une même séquence de lettres (par exemple, "ENS" ou "IX"), placée dans deux mots différents (ex. : GENS/SENS ou DIX/PRIX), conduit à deux séquences de phonèmes différentes (/JA)/ et /sA)s/ ; /dis/ et /pri/).

La question de la régularité se pose lorsque l'on tente de mettre en correspondance les sous-unités orthographiques (lettres ou groupes de lettres) avec les sous-unités phonologi-ques (phonèmes), unités reliées au sein de chaque mot d'une langue donnée (Hanna, Hanna, Hodges, & Ruderf, 1966 ; Venezky, 1970 ; Wijk, 1966). La notion de graphème a été

propo-sée afin de résoudre l'absence d'isomorphisme entre représentation orthographique et repré-sentation phonologique. Un graphème est défini comme le correspondant orthographique d'un phonème (Berndt, Lynne D’Autrechy, and Reggia, 1994 ; Berndt, Reggia, and Mitchum, 1987 ; Coltheart, 1978 ; Henderson, 1985 ; Véronis, 1986). Ainsi, si l'on considère le pho-nème /o/, ce dernier est relié aux graphèmes suivants : O, AU, EAU.

Les premières définitions de la régularité établissent donc des règles de conversion des graphèmes en phonèmes, définissant pour chaque graphème le phonème lui étant associé le plus couramment dans le lexique (pour une discussion sur l'établissement de ces règles, voir Lange, 1997). Un mot irrégulier est alors un mot contenant au moins un graphème ne corres-pondant pas aux règles grapho-phonémiques établies.

L'une des premières démonstrations de l'influence de l'irrégularité grapho-phonémique sur le traitement des mots écrits vient d'une étude réalisée par Baron et Strawson (1976). Ces auteurs obtiennent, dans la tâche de prononciation, des latences de réponse plus élevées pour des mots irréguliers (PINT) comparés à des mots réguliers (MINT, TINT, LINT). Un grand nombre d'études ont répliqué par la suite cette effet de régularité sur les latences et les erreurs de prononciation (Andrews, 1982 ; Backman, Bruck, Hébert, & Seidenberg, 1984 ; V. Col-theart & Leahy, 1992 ; Content, 1991 ; Content & Peereman, 1992 ; Forster & Chambers, 1973 ; Frederiksen & Kroll, 1976 ; Glushko, 1979 ; Gough & Cosky, 1977 ; Jared, McRae, & Seidenberg, 1990 ; Laxon, Masterson, & V. Coltheart, 1991 ; Paap & Noel, 1991 ; Parkin, 1982, 1984 ; Parkin, McMullen, & Graystone, 1986 ; Rosson, 1985 ; Seidenberg, Waters, Barnes, & Tanenhaus, 1985 ; Stanovitch & Bauer, 1978 ; Taraban & McClelland, 1987 ; Waters & Seidenberg, 1985 ; pour des revues, voir Henderson, 1982 ; Humphreys & Evett, 1985 ; Venezky, 1981). Certaines études constatent, par ailleurs, une interaction avec la quence des mots, l'effet de régularité apparaissant uniquement pour des mots de basse fré-quence (Andrews, 1982 ; Backman et al., 1984 ; Kai & Bishop, 1987 ; Stanhope & Parkin, 1987 ; Seidenberg et al., 1984 ; Taraban & McClelland, 1987).

Glushko (1979) propose une définition plus précise des inconsistances entre orthographe et phonologie. Selon cette définition, un mot est irrégulier/inconsistant s'il existe au moins un autre mot ayant une séquence de lettres commune qui se prononce différemment. GENS et SENS sont ainsi, tous les deux, considérés comme deux mots irréguliers/inconsistants. De même, Jared (1997) et Jared, McRae, et Seidenberg (1990), suggèrent qu'une mesure encore

plus adéquate consiste à calculer, pour les mots présentant une inconsistance grapho-phonèmique, le nombre et la fréquence des mots "amis" (c'est-à-dire, les mots ayant la même correspondance grapho-phonémique que le mot cible) par rapport au nombre et à la fréquence des mots "ennemis" (mots n'ayant pas la même correspondance grapho-phonémique) (Zie-gler, Jacobs, & Stone, 1996 ; Zie(Zie-gler, Stone, & Jacobs, 1997). Jared (1997) démontre que l'effet de régularité-consistance apparaît également pour les mots de haute fréquence lorsque cette mesure est prise en compte (voir également, Treiman, Mullennix, Bijeljac-Babic, & Richmond-Welty, 195). En revanche, cet effet semble être moins robuste dans des tâches comme celle de décision lexicale (pour des études ne trouvant pas d'effet : Berent, 1997 ; Jared, 1997 ; Parkin et al., 1986 ; pour des études obtenant un effet : Stone, Vanhoy, & Van Orden, 1997 ; Ziegler, Montant, & Jacobs, 1997).

L'effet de régularité-consistance semble donc émerger lorsque les sujets doivent produire une séquence phonologique. Dans ce cas, la présence d'une inconsistance phonèmique ralentit le temps de traitement des mots. Le rôle de la consistance grapho-phonèmique est en revanche moins bien établi avec la tâche de décision lexicale. Toutefois, comme le notent McClusker, Hillinger, et Bias (1981) ainsi que Van Orden et al. (1992), l'im-possibilité de rejeter l'hypothèse nulle dans certaines expériences n'implique nullement le rejet de l'hypothèse alternative (i.e., l'effet de régularité).

Les relations entre orthographe et phonologie sont plus ou moins transparentes, du point de vue des correspondances graphèmes-phonèmes, selon les systèmes d'écriture. On distin-gue généralement les systèmes d'écriture "superficiels" ("shallow orthography"), comme le Serbo-Croate, l'Allemand, l'Italien ou l'Espagnol, où les correspondances grapho-phonémiques sont directes et sans ambiguïté, des systèmes d'écriture "profonds" ("deep or-thography"), comme l'Anglais, l'Hébreu ou le Français, où les correspondances présentent un certain nombre d’inconsistances (Carello, Turvey, & Lukatela, 1992 ; Frost, 1994). Plusieurs études indiquent que le degré de superficialité/profondeur d'une langue induit des différences au niveau du traitement des mots (Frost, 1998 ; Frost, Katz, & Bentin, 1987 ; Katz & Feld-man, 1983). Notamment, Frost et al. (1987) ont montré une graduation différente dans les latences de prononciation et de décision lexicale pour des stimuli hébreux, anglais et serbo-croates, soulignant ainsi les différentes relations entre orthographe et phonologie au travers de ces trois langues.

Deux études récentes indiquent par ailleurs non seulement l'influence de la consistance grapho-phonémique lors de la reconnaissance des mots, mais également une influence de la consistance phono-graphémique (Stone et al., 1997 ; Ziegler et al., 1997). Dans une tâche de décision lexicale, les latences de réponse pour les mots sont sensibles à ces deux types d'in-consistance. Ces études mettent l'accent sur le rôle des irrégularités entre orthographe et pho-nologie, indiquant que les irrégularités entre phonologie et orthographe conditionnent égale-ment le traiteégale-ment des mots écrits (voir cependant Peereman & Content, 1998).

En résumé, la régularité-consistance des mots varie selon les systèmes d'écriture et semble induire des variations dans les processus de traitement des mots. Les mots ayant une sé-quence orthographique dont la prononciation est inconsistante avec celle d'autres mots sont prononcés moins rapidement que des mots totalement consistants. De même, les latences de décisions lexicale paraissent également sensibles à la régularité-consistance ortho-phonologique.