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Deux problèmes pour la modélisation des rapports entre or- or-thographe et phonologie

Modèles de la perception visuelle des mots

4.0. Deux problèmes pour la modélisation des rapports entre or- or-thographe et phonologie

Afin de pouvoir réaliser correctement la transcription grapho-phonémique de toute sé-quence de lettres en une sésé-quence de phonèmes, un lecteur adulte doit être en mesure de ré-soudre deux problèmes majeurs : (1) le problème de la régularité/consistance grapho-phonémique et (2) le problème de la prononciation des non-mots. Concernant le premier pro-blème, comme nous l'avons déjà vu au chapitre précédent, les systèmes alphabétiques tels que l'Anglais et le Français comportent un certain nombre de mots irréguliers (ou inconsistants) du point de vue de leurs correspondances grapho-phonémiques. Prenons le cas du mot CLUB (prononcé /klπb/). On constate ici que la lettre U est prononcée /π/ dans ce mot, alors que dans la plupart des autres mots (comme BULLE, DUNE, LUGE) la lettre U est pronon-cée /y/. Le mot CLUB fournit ainsi un exemple de mot irrégulier. Il s'agit maintenant de savoir

comment un lecteur adulte parvient à prononcer correctement ce mot et non à produire la sé-quence : /klyb/. De même, et c'est le second problème, face à une séquence alphabétique telle que TUBLE, comment un lecteur parvient-il à retrouver la séquence phonémique /tybl/ corres-pondant à ce non-mot ? En d'autres termes, par quels processus un lecteur est-il en mesure de généraliser sa connaissance des transcriptions grapho-phonémiques à l'ensemble des séquen-ces de lettres qui ne forment pas un mot ? On constate que les travaux visant à modéliser les rapports entre orthographe et phonologie au cours de la lecture, et plus particulièrement la question de la prononciation des mots écrits, portent principalement leur attention sur la ré-solution de ce double problème.

Si l'on considère uniquement les réponses apportées par les modèles schématiques, on peut distinguer deux types de réponses à ce double problème. Le premier type de réponse suggère qu'il existe deux sous-systèmes au sein du système de lecture, chaque sous-système permettant de résoudre l'un des deux problèmes (Baron & Strawson, 1976 ; Coltheart, 1978, 1985 ; Forster & Chambers, 1973 ; Frederikson & Kroll, 1976 ; Kay & Bishop, 1987 ; Morton & Patterson, 1980 ; Norris & Brown, 1985 ; Paap & Noel, 1991 ; Patterson & Morton, 1985). Dans tous ces modèles, la séquence phonologique d'une suite de lettres (mot ou non-mot) peut être produite soit en accédant à la représentation phonologique du mot en mémoire (par sa représentation orthographique), soit en utilisant des règles de correspon-dance graphèmes-phonèmes établies au cours de l'apprentissage de la lecture. Patterson (1982) appelle la première procédure, la procédure d'adressage, et la seconde, la procédure d'assemblage. Toutefois, bien que ces modèles partagent tous l'idée d'un système à double voie, ils diffèrent quant à la manière dont fonctionne la procédure d'assemblage (et sur le type de connaissance utilisée dans cette procédure) et, également, sur la façon dont ces deux voies se combinent pour produire une prononciation. Par exemple, Coltheart (1978) suggère que la procédure d'assemblage est réduite aux correspondances graphèmes-phonèmes. D'autres auteurs, comme Kay et Bishop (1987), Norris et Brown (1985) ou Morton et Patterson (1980), proposent que d'autres correspondances peuvent également intervenir, comme les correspondances entre la rime orthographique et phonologique. De même, dans sa forme initiale, ce type de modèle envisage une sorte de compétition entre les deux voies ("horse race"). Les deux voies sont ainsi complètement indépendantes et la prononciation en sortie est déterminée par la voie la plus rapide. Cette hypothèse d'indépendance n'est cependant plus

retenue dans les versions plus récentes de ce modèle, comme nous le verrons avec le modèle de Coltheart et al. (1993), et les deux voies participent conjointement et de manière interactive à la production de la sortie finale.

Le second type de modèle schématique propose de résoudre le double problème d'in-consistance/généralisation avec un système unique analogique. C'est notamment le point de vue développé par Glushko (1979) dans un modèle de la lecture qui suppose une activation parallèle de différents codes ortho-phonologiques. Ces codes peuvent correspondre à des lettres, des mots entiers, des groupements orthographiques partagés par un grand nombre de mots ou encore aux correspondances entre graphèmes et phonèmes. L'information activée est ensuite synthétisée dans un seul programme articulatoire. Une version alternative de ce sché-ma à une voie est proposée par Marcel (1980) ou encore Kay et Marcel (1981). Selon ces auteurs, la prononciation d'un mot ou d'un non-mot s'effectue par référence aux informations lexicales stockées en mémoire. Dans ce modèle, chaque mot est représenté de manière seg-mentée aux niveaux orthographique et phonologique. Ainsi, lorsqu'une nouvelle entrée vi-suelle est fournie au système de lecture, elle est également découpée en segments orthogra-phiques. Chaque segment active alors les différents segments lexicaux. Pour les mots, c'est la représentation du mot entier qui l'emporte sur les segments plus petits. Pour les non-mots, la prononciation finale s'effectue en fonction de la fréquence des segments activés. Les seg-ments partagés par le plus grand nombre de mots dictent la prononciation en sortie. Ainsi, la conversion du texte en parole s'effectue uniquement par un système lexical et ne fait pas appel à un sous-système indépendant non-lexical.

Comme nous allons le voir maintenant, les récents modèles computationnels de la recon-naissance et de la production des mots écrits reprennent en grande partie les distinctions ef-fectuées par les modèles schématiques en termes de simple ou double voie de traitement or-tho-phonologique. Nous ne réduirons cependant pas notre présentation des modèles compu-tationnels aux modèles tentant de résoudre le double problème d'inconsistance/généralisation. Nous parlerons aussi de modèles n'incluant pas de processus phonologiques (Grainger & Jacobs, 1994, 1996 ; Jacobs & Grainger, 1992 ; McClelland & Rumelhart, 1981). Ces mo-dèles nous permettront d'introduire directement la modélisation décrite au chapitre 5.