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Chapitre 1. Régionalisation et découpages de l’espace

B. Régionalisation et zonage de l’espace

B.1. La régionalisation des territoires

La régionalisation est autant un processus que le résultat qui en découle. Elle est autant une action que la portion de l’espace ainsi mis en évidence, le contenu et son contenant. Toute régionalisation impose des hypothèses préalables (Dumolard P., 1975). Ces hypothèses déterminent l’action et le résultat de la régionalisation. Elles influent sur la méthode ou la technique de régionalisation. Réciproquement, ces dernières influent sur les hypothèses. Le résultat d’une régionalisation se compose d’entités régionales qui ne pourront jamais être idéales et qui seront toujours arbitraires et dont le choix des limites reste problématique. Partant de ce constat, il n’est pas inutile de rappeler qu’il peut y avoir autant de découpages d’un espace que de personnes qui le découpent.

Le processus de régionalisation est l’action de regrouper ou de séparer des entités spatiales, des lieux, spatialement proches, selon un ou plusieurs attributs, un ou plusieurs critères, tout en respectant certaines contraintes. Celles-ci veulent que les unités spatiales

(points, lignes, ou aires) ainsi régionalisées, aient mêmes modalités d’attributs, appartiennent à un même réseau, participent à un même champ de force ou encore appartiennent à une même maille (Pumain D., Saint-Julien Th., 1997). Regrouper les unités spatiales revient à adopter une démarche inductive, dite « ascendante », alors que séparer revient à adopter une démarche déductive, dite « descendante ». Le processus de régionalisation nécessite alors « de définir un ensemble de lieux, un ensemble

d’attributs » (Griggs D., 1965). Ces premiers éléments définis, les hypothèses et la

finalité de la régionalisation peuvent être posés.

Alors que le processus de régionalisation (hypothèse, technique et méthode) dépend directement des lieux et de leurs attributs, le résultat de ce processus conduit toujours vers des ensembles particuliers d’entités spatiales qui constituent un maillage de l’espace. Retenons simplement ici qu’un maillage est un découpage en unités spatiales adjacentes couvrant l’ensemble de l’espace : « chaque lieu se trouve alors dans une unité spatiale et

une seule » (Dumolard P., 1975). Nous reviendrons plus en détail sur cette notion plus en

avant (cf. p.48). De fait, lorsqu’on adopte une méthode ascendante, la condition indispensable à une régionalisation est la proximité spatiale (en règle générale, contiguïté spatiale d’ordre 1, à partir d’unités spatiales aréolaires). Dans le cas d’une méthode descendante, la condition ne se pose pas puisque par définition toutes les unités spatiales forment un bloc unique.

L’entité régionale ainsi composée par regroupements d’unités spatiales possède alors une certaine cohérence interne. Cette recherche de cohérence interne spatiale conditionne les hypothèses de régionalisation. Elle suit principalement deux orientations, celle, d’une part, de la recherche d’une homogénéité à partir d’un ou plusieurs critères (ou variables), et celle, d’autre part, de la mise en évidence d’une polarisation dans les inter- relations. C’est relever des discontinuités dans l’homogénéité ou dans la polarisation.

L’homogénéité régionale recherchée est « un ordre spatial correspondant [souvent]

à un ordre thématique » (Dumolard P., 1975) qui se traduit par une plus grande

ressemblance, similarité, similitude, ou uniformité, des unités spatiales internes à une région qu’avec celles de l’extérieur. Elle correspond à une analyse statique. Cependant, la recherche d’une cohérence interne dans la diachronie, permet de mettre en évidence une homogénéité temporelle. Ce sont les trajectoires des variables qui déterminent la régionalisation..

Les thématiques de la recherche de l’uniformité ou l’homogénéité, touchent autant aux critères économiques (production, consommation…), aux critères géographiques (ressources naturelles, topographie, climat…) qu’aux critères socioculturels (identité locale, comportement social, choix politique…) (Richardson H.W., 1969). L’homogénéité dépend toujours de l’échelle de l’observation : un ordre spatial à une certaine échelle, devient désordre à une autre échelle (Paelinck J., 1994). Aussi la cohérence interne est

plus difficile à mettre en évidence « aux extrémités de l’échelle » (Dumolard P., 1975). Enfin, lorsque plusieurs critères sont introduits pour définir des régions homogènes, il se pose inévitablement des problèmes de « marge et de cœur » de région (Dumolard P., 1975) qui renvoient vers les délimitations régionales floues (Tran Qui P., 1978 ; Ponsard C., 1984 ; Rolland-May C., 1986). Il devient difficile voire impossible, dans de nombreux cas, comme souligne H. Nonn (1998) ou G. Di Méo (2002), de construire la région susceptible de représenter toutes les discontinuités, et d’obtenir un degré d’homogénéité régional identique (Pumain D., 1988).

Sans entrer ici dans des considérations techniques, les méthodes employées pour relever l’homogénéité reviennent à repérer des discontinuités par la nature ou la présence de structure, de fonction, de répartition différentes, soit de l’hétérogénéité. Les principes les plus usités sont l’agrégation ou la désagrégation par l’analyse de la variance, constatation de différences entre deux ensembles voisins, ou le principe de la similarité des lieux (Beguin H., 1995), pour lequel la différence des ensembles voisins est relative « à la situation moyenne observée dans l’ensemble du système étudié » (Grasland Cl., 1997).

La recherche de la polarisation relève de l’analyse des liens, des échanges, des flux, de la connexité. Elle se rattache à la notion de dynamique. La région polarisée, région fonctionnelle, traduit une forme d’organisation spatiale dans laquelle une majorité de relations se fait à l’intérieur de la région plutôt qu’avec l’extérieur (Lajugie J., Delfaud P., Lacour Cl., 1979 ; Pumain D., 1988). Tantôt région nodale, région fonctionnelle, elle renvoie au pouvoir d’attraction, à l’influence, d’un lieu sur d’autres lieux. Les thématiques sont également variables : flux de populations, de biens de services, des communications, du trafic… (Richardson H.W., 1969). Ces « étroites interconnexions » font des régions métropolitaines « le type principal » de régions polarisées, atteignant « le

plus haut degré de polarisation régionale », selon H.W. Richardson (1969). La

délimitation de la région polarisée est tout aussi difficile que celle de l’homogénéité, et « il y aura, évidemment, autant de frontières que de types de flux ; il conviendra de les

combiner pour tracer les contours de la sphère d’influence la plus générale possible. »

(Lajugie J., Delfaud P., Lacour Cl., 1979). Il est possible par ailleurs de trouver plusieurs types de polarisations, celle autour d’un pôle, autour de deux pôles voire plusieurs pôles, régions polarisées bipolaires voire multipolaires dont les mesures se font sur des mesures fonctionnelles (échanges, liens) et leurs intensités.

Quoi qu’il en soit, les recherches d’homogénéité et de polarisation régionale sont subjectives car souvent dépendantes de seuils minimaux fixés autour d’une moyenne ou d’un écart-type (Dauphiné A., 1979). Homogénéité ou polarisation, le choix de multicritères combinés conduisent inévitablement des cœurs, des marges, vers du flou. Enfin, signalons que nous pouvons trouver de la polarisation dans de l’homogénéité

spatiale, tout est une question d’échelles d’observation. Dans le cas des lieux centraux selon le modèle de W. Christaller, une région polarisée peut être homogène (Dumolard P., 1975) (cf. p.109).

Évidemment d’autres types de régions existent. Certains auteurs proposent une classification de régions également bien différentes par leur nature et leur caractéristique. Ainsi A. Dauphiné (1979) range les régions en régions homogènes, polarisées, et régions anisotropiques. Alors que J.R. Boudeville (1970) et Harry W. Richardson (1969), définissent quant à eux trois types de régions : la région homogène ou uniforme, la région polarisée ou nodale, et la région plan ou programme, région à but opératoire administratif, politique et d’aménagement du territoire.

De ce point de vue politique et administratif, la régionalisation est sans aucune ambiguïté, tout comme les Régions administratives qu’elle crée. La régionalisation est alors le résultat du processus de décentralisation, dont le but est de régionaliser les pouvoirs, de mieux organiser le territoire national en donnant une autonomie administrative aux Régions administratives (GDEL, 1982). Cette régionalisation politico- administrative du territoire conduit à des ensembles formant des maillages territoriaux pour de la gestion (départements, communes). Si ces Régions forment bien un maillage de l’espace, elles n’ont cependant que très peu de cohérence locale, voire aucune. Plus généralement, qu’elles soient institutionnelles ou fonctionnelles, les régionalisations ont toutes le même but, celui de délimiter un territoire de manière à en faciliter la gestion (Brunet R., Ferras R., Théry H., 1992). Cependant, grâce aux hypothèses posées lors de sa réalisation, et aux explications reposant sur des notions telles que localisation, diffusion ou interaction, la régionalisation, tout en servant de cadre de gestion territoriale, reste un outil susceptible de mieux comprendre l’organisation de l’espace (Béguin H., 1995), par l’analyse des structures régionales et de leur évolution (Lajugie J., Delfaud P., Lacour Cl., 1979), par la détermination de discontinuités spatiales et des effets de barrières…

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