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La région sans qualificatif : limite, taille et cohérence interne

Chapitre 1. Régionalisation et découpages de l’espace

A. La région : de la notion au concept ?

A.2. La région sans qualificatif : limite, taille et cohérence interne

Les différents qualificatifs montrent à quel point malgré l’ancienneté de la notion, la polysémie demeure (Nonn H., 1998). Dans leur dictionnaire critique de géographie, R. Brunet et R. Ferras (Brunet R., Ferras R., Théry H., 1992) rappellent que « région » peut aussi signifier en littérature « quelque part ». Cette utilisation dénote pleinement le double flou régional : celui de son contenant et de son contenu. Nous avons vu par les qualificatifs précédents que différents critères semblaient définir une région : économie, nature, industrie… Les délimitations de ces « types » de régions ne sont pas toujours explicitement posées et ne sont pour la plupart d’entre elles pas très nettes. Dans la recherche possible d’un concept, on s’accorde à penser que « rien n’est plus difficile que

la délimitation objective d’une région » (George P., 1970). André Dauphiné (1979) nous

rappelle même que certains géographes ont considéré le problème de la délimitation « comme un faux problème ». Ce problème de limites peut-il être résolu ? La région peut- elle, pour reprendre l’expression de A. Frémont (1976), « se définir dans un espace bien

délimité » ? Il semble que le problème des limites ne soit guère soluble. Selon A.

Frémont, cette délimitation régionale n’est « en aucune manière » possible. Il est bon de rappeler à ce propos que, dès 1917, Vidal de La Blache considérait les limites régionales comme peu nettes : « Il faut concevoir la région comme un espace d’auréole qui s’étend

sans limites bien déterminées, qui encercle et qui avance. » (Vidal de la Blache, 1917). Il

y a là non seulement l’idée de limites floues mais également celle de frontières mouvantes22. C’est cette solution du flou qui est retenue par un certain nombre de géographes ou économistes (Ponsard C., 1976 ; Tran Qui P., 1978 ; Rolland-May C., 1986 ; de Ruffray S., 200123) alors que d’autres ne voient pas dans le flou une solution au but opérationnel de la région (Thisse J.-F., 1997). Mais est-ce à dire qu’il existerait des régions théoriques, aux limites floues, et des régions observées ou observables, aux limites nettes ? Bien utile pour une étude régionale de phénomènes, la région floue est difficilement « pratique quand il faut structurer un territoire donné » (Thisse J.-F., 1997)

22 Vidal de la Blache sentit donc une certaine dynamique qui sera prise en compte comme rouage essentiel

de la notion de région dans les années 70 avec l’approche systémique.

23 Communication lors du séminaire « Les espaces flous » du groupe R.A.S. (Réflexion sur l’Analyse

et difficilement opératoire lorsqu’il s’agit d’apporter une aide à la décision aux politiques et aux aménageurs, par exemple24.

Pour tenter d’en savoir plus sur la région, il est intéressant de savoir ce qui distingue la région d’autres unités spatiales particulières en matière de dimensions spatiales. R. Ferras (1998) souligne que « …la géographie réfléchit sur l’espace, son organisation, et

propose sa propre explication du monde ; la géographie régionale en fait de même, sur un espace circonscrit, pour comprendre l’organisation et les différenciations de l’espace, en soulignant la spécificité de chaque ensemble dans sa cohérence interne et dans ses distances externes, double condition pour qu’il y ait « région » ». Ces deux conditions

sans lesquelles il ne peut y avoir région concernent donc la taille de la région et sa

« cohérence interne » qui est le résultat d’une certaine forme d’organisation

(homogénéité, polarisation, etc.).

En ce qui concerne la taille, et un « espace circonscrit », Paul Claval (1968) situe la région juste entre le niveau national et le niveau local. La taille est cependant variable puisque dans des régions économiques ou politiques, on parle de régions pour des entités d’une assez vaste dimension spatiale. Que penser alors lorsqu’on évoque des régions d’un niveau supérieur ? Ce qui est le cas, comme le souligne A.S. Bailly (1998), des divisions politiques en différentes zones des Nations unies avec la « région européenne », « la

région américaine » par exemple. Ce qui lui fait dire que « selon l’échelle géographique qui est privilégiée, la région fait référence à une logique locale ou à une logique globale… » (A.S. Bailly, 1998). Nous commencions à y voir un peu plus clair, mais avec

ces grandes régions du monde qui peuvent atteindre parfois des dimensions continentales, le « flou » revient.

La cohérence interne de la région, qui forme le contenu de la région, suscite également des incertitudes et des divergences (Beaujeu-Garnier, 1971). Et si la taille supposée « réduite » de la région était imposée par la nécessité de déceler une certaine cohérence (homogénéité) qui devient de plus en plus difficile à trouver dans les grands espaces tant les caractères, pris en compte pour qualifier des régions, sont de plus en plus nombreux et complexes ?

Le caractère complémentaire de la taille et de la cohérence est la contiguïté des espaces qui composent la région. C’est sûrement la seule caractéristique qui soit admise par tous. Cette contrainte de contiguïté, elle aussi essentielle, considère qu’il ne peut y

24 Certains acteurs politiques acceptent toutefois la modélisation de certains phénomènes régionaux à partir

de la théorie des sous-ensembles flous et des espaces flous (S. De Ruffray, 2001), notamment autour de villes car « … sur les marges, les populations se partagent entre plusieurs centres qui sont en

avoir des régions composées de deux entités spatiales séparés par une autre région, sinon ces entités forment deux régions différentes.

Le flou qui entoure la région ne permet pas de parler de « concept », mais à partir des années 1960, la notion de région tend à se transformer en concept avec le développement de l’approche systémique. Nous reviendrons sur cette vision de la région après avoir exposé les fondements de cette approche qui, aujourd’hui encore, tient une place prépondérante dans l’analyse spatiale (cf. p.62).

Tant elle paraît floue, cette notion de région nous conduit à penser qu’elle n’est peut-être pas si centrale. La régionalisation est-elle l’action qui conduit à trouver, à déterminer ou localiser une « région », quel que soit le qualificatif qu’on lui accole, qu’elle soit floue ou nette ? Tout comme la région, la régionalisation paraît être sans ambiguïté.

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