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CHAPITRE I CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIE

1.1 Définitions conceptuelles

1.1.1 Régime de citoyenneté

Le régime de citoyenneté désigne « les arrangements institutionnels, les règles et les représentations qui guident simultanément l’identification des problèmes par l’État et

les citoyen[ne]s, les choix de politiques, les dépenses de l’État, et les revendications des citoyen[ne]s » (Jenson, 2001, p. 46). Tel que mentionné précédemment, la citoyenneté est une institution liant les membres d’une communauté politique à un État qui est structurée par des normes, règles et pratiques établies dans le temps.

Cette notion proposée par Jenson (2001) provient d’un dialogue entre politique comparée, institutionnalisme historique et économie politique. Il s’agit d’une manière d’analyser les changements ayant lieu dans les institutions, les discours et les pratiques entourant la citoyenneté (Paquet et al., 2018). Ainsi, le régime de citoyenneté souhaite dénoter, à un moment précis et dans un lieu précis, une certaine stabilité dans la configuration des relations entre État, marché, communauté et famille, qui sont tous des sites de (re)production de la citoyenneté (Jenson, 2001). De cette manière, il est possible de saisir la notion de citoyenneté non pas seulement comme étant une production de l’État, mais comme tant une production des interactions entre acteurs multiples, de comprendre la citoyenneté comme le produit d’actions politiques et de relations sociales (Paquet et al., 2018). Tel que présentement théorisé, le régime de citoyenneté se décline en quatre dimensions (Jenson, 2001, 2006) :

o Responsabilité de la construction du bien-être social distribuant les tâches liées à cette responsabilité entre l’État, le marché, la communauté et la famille.

o Droits et responsabilités (sociale, civile et politique – collectifs et individuels) qui définissent les limites de l’intégration et de l’exclusion de la communauté politique. o Voies d’accès aux débats, à la décision publique et à la représentation politique –

mécanismes de gouvernance (mécanismes institutionnels qui donnent accès à l’État) et modes de participation à la vie civique (voies d’accès à la définition des enjeux publics).

o Dimension identitaire et question du sentiment d’appartenance à la communauté politique nationale.

Il est suggéré de penser l’articulation de ces quatre dimensions en forme de losange pouvant prendre différentes configurations au fil de temps. Voici le schéma proposé par Bérangère Marques-Pereira (2011, p. 217) :

Bien entendu, ces dimensions sont constamment sujettes à des redéfinitions liées aux temps et aux lieux d’application. La tâche d’analyser le régime de citoyenneté revient à identifier les espaces de citoyenneté afin d’observer ses contractions et expansions, pas uniquement en lien avec les droits et responsabilités, mais également à travers les arrangements de la gouvernance et les définitions de l’appartenance à la communauté politique (Jenson, 2007). De cette manière, le régime de citoyenneté permet de penser la matérialisation des différents rapports sociaux dans un lieu et une époque précise, ce à quoi cette recherche s’attèle.

Le territoire est un des lieux privilégiés de matérialisation des rapports sociaux et de démonstration des asymétries dans la capacité des différent.es citoyen.nes de peser sur

le processus de définition du commun national. C’est pourquoi il est question dans ce projet de recherche de rendre compte de la place qu’occupe le territoire au sein de la construction d’un régime de citoyenneté, bien que la littérature actuelle n’accorde pas de place visible à cet aspect.

Il va sans dire qu’un régime de citoyenneté s’inscrit au sein d’un territoire et le mobilise d’une certaine manière ce qui a pour effet de le transformer. Cependant, la relation au territoire que les citoyen.nes et non-citoyen.nes du territoire développent à travers leurs interactions quotidiennes avec lui aura également pour effet d’influencer le régime de citoyenneté. Tel que nous l’aborderons plus en profondeur à la section 1.1.2, le territoire et la citoyenneté sont co-constitutifs. Cette affirmation renvoie au fait qu’un régime de citoyenneté se développe ou s’impose au sein d’un territoire, mais que la manière dont ses citoyen.nes ou autres individus vivant sur territoire habiteront ce dernier influencera également les lisières et frontières du régime de citoyenneté.

Par ailleurs, il n’est pas présumé ici que l’inclusion sous forme d’intégration ou d’assimilation aux régimes de citoyenneté soit nécessairement quelque chose de positif ou d’essentiellement négatif. Il est plutôt question de se demander comment les rapports entre État et citoyennes, dans le cas présent les femmes autochtones, se négocient. Afin de porter cette analyse sera mobilisé le concept de lisières internes de la citoyenneté (Jenson et al., 2007). Il va sans dire que les limites de la citoyenneté ne s’incarnent pas uniquement aux frontières politiques de la nationalité ou au territoire géographique. Des inégalités entre citoyen.nes ont toujours séparé les citoyen.nes renvoyant certain.es membres à une citoyenneté de seconde zone (Jenson et al., 2007 ; Young, 2002). C’est ce continuum d’inclusion/exclusion que le concept de lisière de la citoyenneté permet de rendre visible, c’est-à-dire les inégalités de traitement entre les citoyen.nes d’un État.

Cela nécessite de faire appel aux analyses féministes de citoyenneté qui critique un prétendu universalisme en soulevant que tout.e citoyen.ne ne sont pas réellement en situation d’égalité devant l’État et ses institutions (Lister, 1997). Historiquement et encore aujourd’hui les femmes, les personnes racisées, les personnes issues de l’immigration, les personnes de la diversité sexuelle et de genre, les personnes en situation de handicap et les Peuples autochtones (pour ne nommer que ceux-là) peine à bénéficier de la protection de la loi, de pouvoir mettre cette protection en action et à être en mesure de façonner cette protection via l’exercice des droits (Bérangère Marques-Pereira, 2003). Autrement dit, il est question d’être inclus.e dans un régime politique de citoyenneté via le statut decitoyen.ne, mais d’être simultanément exclu.es de certaines sphères d’application de la citoyenneté et ainsi ne pas être considéré.e comme des membres à part entière de la communauté politique. Cette exclusion partielle peut être causée par une discrimination systémique produite par le système juridique ou encore les stéréotypes sociaux. Par ailleurs, une analyse en termes de lisière interne de la citoyenneté ne peut faire l’économie d’adopter une perspective intersectionnelle5, c’est-à-dire la prise en considération de l’imbrication des différents systèmes d’oppression.

5 En refus au positivisme et aux luttes univoques universalisantes, la perspective intersectionnelle (Crenshaw, 1989 ; Hill Collins, 1990 ; Bilge, 2015) propose un changement de paradigme épistémique qui « recentre le sujet au cœur de l’analyse en valorisant sa capacité à produire une connaissance ancrée dans la réalité et l’expérience quotidienne » (Hill Collins dans Riverain, 2011, p. 57). Cette proposition provient des mouvements féministes noirs, des militantes qui dénonçaient le problème de représentativité des revendications des femmes noires tant au sein des mouvements antiracistes qu’antisexistes. De ce point de départ a pu évoluer les théorisations de l’imbrication des rapports sociaux de sexe, de race et de classe, pour ensuite s’étendre à d’autres systèmes d’oppression.

La mobilisation du concept de lisière interne participe de la relecture de la notion de régime de citoyenneté à la lumière d’une approche féministe du rapport entre territorialité et citoyenneté. Au niveau du régime de citoyenneté, dans le cadre de ce mémoire, il est question de se limiter à deux dimensions afin de les lier et les analyser à la lumière de la territorialité (voir figure 1.2). La première dimension propose d’unifier les pôles des droits et des voies d’accès à la représentation et à la participation à l’État. Cette dimension renvoie principalement à l’aspect vertical et structurel de la citoyenneté. La seconde dimension est celle du sentiment d’appartenance et de l’identité par rapport à la communauté culturelle et politique. Dans ce cas, c’est l’aspect horizontal de la citoyenneté, l’agencéité des actrices qui sera mise de l’avant. La prochaine section abordera de qu’elle manière ce cadre s’opérationnalise lorsqu’y est jointe la notion de territorialité.