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CHAPITRE II DIMENSIONS DES DROITS ET DE L’ACCÈS À L’ÉTAT DU

2.3 Régime de citoyenneté libéral (1948 – 1980)

2.3.1 Orientations politique et économique

Durant la Guerre froide, le Costa Rica est devenu un allié des États-Unis26 dans la lutte anticommuniste et cette alliance a eu pour effet d’accélérer l’industrialisation du

26 Le Costa Rica a également été inclus dans le Plan Baker de 1985, profitant d’une diminution de leur dette nationale sous obligation de faciliter l’implantation du marché libéral et la monétarisation de

secteur agroalimentaire, grâce aux capitaux étrangers en provenance de l’Agence internationale de développement des États-Unis (USAID) (Raymond, 2007). À la même époque, la tension monte au Costa Rica. D’une part, cela est dû à une perte de confiance généralisée dans les institutions nationales accusées d’être corrompues. D’autre part, il s’agit également du reflet des tensions sociales qui existent entre les intérêts politique et économique de la petite bourgeoisie propriétaire et ceux des classes prolétaires et rurales. Suite à l’annulation des élections de 1948, sous prétexte d’invalidité du résultat à cause d’un incendie qui aurait brûlé plusieurs boîtes de bulletin de vote, la guerre civile qui durera 44 jours et causera plus de 4000 morts, éclate (Molina et Palmer, 2017).

Tel que Lehoucq (1991) le mentionne, il existe plusieurs interprétations de cette guerre civile. Cela dit, il s’agissait d’un affrontement entre deux visions politiques incarnées par des tensions entre classes sociales. D’un côté, il y avait la petite bourgeoisie conservatrice et les institutions catholiques. De l’autre se trouvaient les réformistes- progressistes provenant davantage du milieu agricole ou du prolétariat27 ayant des affinités avec le mouvement communiste. Après un mois et demi de conflit armé, la signature du Pacte Figueres-Ulate conduit à un gouvernement temporaire de 18 mois qui marquera le pays à jamais, notamment à travers l’instauration d’un régime de protection sociale. Par exemple, le gouvernement transitoire de Figueres a aboli l’armée, ajouté un palier d’imposition aux riches pour réduire le pouvoir de la

l’économie, et le Plan Brady, une nouvelle stratégie adoptée en 1989 par les États-Unis proposant la réduction de dettes de pays largement endettés suite aux échecs des PAS (Vãsquez, 1996, p. 233). 27 À noter que si le Costa Rica ne connaît pas une ère d’industrialisation à grande échelle, il existe tout de même un petit prolétariat urbain dont la migration a été provoquée par l’accaparement terrien par de grandes entreprises locales ou des multinationales.

bourgeoisie agraire sur les banques, nationalisé les banques et réformé la Constitution de 1871 (Mitchell et Pentzer, 2008).

N’ayant pas connu de phase d’industrialisation massive, la mise en place d’un filet social au Costa Rica est le résultat simultané des politiques sociales universelles et de l’investissement public jumelé à l’intervention étatique, selon une approche kéneysienne, dans le secteur productif (Martínez Franzoni et Sánchez-Ancochea, 2013). L’État-providence costaricien repose sur le régime de protection universel dont les quatre piliers sont l’éducation gratuite, l’accessibilité au soin de santé, les pensions et l’accès au logement. Malgré la dépendance du secteur économique costaricien, qui s’appuie encore aujourd’hui sur l’exportation de matières premières, l’abolition de l’armée et la bourse du carbone qui arrivera au courant des années 1990 permettent de soutenir ce régime de protection sociale28.

Cette nouvelle orientation de l’État privilégie les objectifs communs de la nation et ne répond pas aux besoins spécifiques des populations autochtones, c’est pourquoi si la Constitution de 1949 consacre de nombreux articles aux droits et garanties individuelles, sociales et politiques, elle n’élabore pas sur le cas spécifique des Peuples autochtones. Cela pourrait laisser croire qu’ils font partie intégrante de la nation puisqu’il est question d’assurer l’accès de toute la population du Costa Rica au service de soins de santé et à l’éducation en plus de promouvoir l’intégration du marché économique mondial, le tout s’inscrivant dans une plus large optique de modernisation

28 Cela étant dit, avec l’accélération de la libéralisation de l’économie et la compétition désormais accrue entre le secteur public et le secteur privé, il est possible de constater une dégradation du système de protection sociale (Voorend et Venegas Bermúdez, 2014 ; Martínez Franzoni et Sánchez-Ancochea, 2013).

de l’État29. Avec cette réforme vient le droit de vote des femmes, des Autochtones et de la population Afro-Caribéenne30. Toutefois, cette présomption n’est qu’illusoire pour les autochtones qui ne seront pas inscrits au Registro Civil jusqu’en 1991, ce qui entraine la privation de cédula31 et donc d’accès au droit civique de participation politique (Pailler, 1992).

L’expansion de l’État-providence représente une incorporation formelle des Autochtones et des femmes au régime de citoyenneté à travers les droits universels. Toutefois, aucune consultation n’a été menée auprès des communautés autochtones au sujet de cette inclusion qui se présente comme une forme d’une éthique égalitariste centrée et promue d’une part par le pouvoir étatique et, de l’autre, par l’expansion du marché dans les relations sociales (Papillon, 2007). De plus, cela ne modifie pas le fait que l’intégration à la nation, afin d’incarner le modèle-type du citoyen, passe par l’intégration au marché. Autrement dit, la négation des modèles de gouvernance autochtone et de leurs rapports aux territoires, donc leur territorialité, nuit à leurs possibilités de participation et de représentation politique au sein du nouvel État.

Dans son processus de modernisation de l’État, au courant des années 1950-1960, le Costa Rica cherche à s’industrialiser. Symbole d’indépendance, l’industrialisation représentait un projet national à la fois inspirant et très couteux. À cette fin, le Costa

29 À noter que si processus de modernisation de l’État se traduit de manière sociale par la mise en place d’un régime de protection universel, il s’incarne aussi, économique, via des politiques d’investissement dans les secteurs économiques nationaux et des politiques d’industrialisation par substitution aux importations (ISI).

30 Par ailleurs, si beaucoup d’enjeux sont vécus par les personnes afrodescendantes et issues des différentes minorités ethnoculturelles au Costa Rica, l’espace restreint du mémoire ainsi que la question de recherche ne nous permet pas de nous étendre sur cette question et ces problématiques toutefois pertinentes.

Rica, comme bien d’autres pays latinoaméricains, choisit d’adopter des politiques d’industrialisation par substitution aux importations (ISI) (Mitchell et Pentzer, 2008). Ces politiques culminent au courant des années 1960 avec la mise en place du Marché commun centraméricain (MCCA) en 1963. Ce processus est onéreux et la grande majorité du financement provient de l’extérieur du pays puisque le contexte économique international est tel qu’il est aisé d’accéder à un bas crédit afin de promouvoir le développement socioéconomique des pays dits du « tiers-monde » (Isla, 2015).

Les années 1970 sont marquées par d’intenses progrès tant au niveau de l’éducation, la santé que de l’économie. L’élection de José Figueres en 1970 entraine l’adoption d’une nouvelle orientation économique où l’État investit directement dans les entreprises jugées nécessaires à l’ISI. La fondation de la Corporación Costarricense de Desarrollo (CODESA), en 1972, vise justement à gérer ces investissements. Cette volonté politique combinée au bas prix de la banane et du café sur le marché international a fait exploser les emprunts du Costa Rica au courant des années 1970 (Mitchell et Pentzer, 2008).

Le Costa Rica n’est bien entendu pas le seul État « en voie de développement » à vivre de ces emprunts, ce qui mènera la plupart de ces pays vers la crise économique au tournant des années 1980. Il faut toutefois rappeler que ces emprunts ne sont pas le résultat de l’irrationalité des pays « en voie de développement », mais que « l’économie d’endettement international est avant tout un mode de financement permettant de soutenir les exportations des pays capitalistes développés » (Ominami, 1986, p. 97).