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CHAPITRE II DIMENSIONS DES DROITS ET DE L’ACCÈS À L’ÉTAT DU

2.5 Conclusion du chapitre II

Ce chapitre analytique porte sur la vision du territoire, des ressources naturelles et des femmes autochtones qui émane des discours juridique et sociopolitique de l’État costaricien, à la lumière de la territorialité et du régime de citoyenneté. Rappelons que

44 Malgré les différences entre les différents peuples, il est possible de dénoter une spiritualité se rejoignant au niveau de la croyance en l’existence d’un être suprême à respecter et en d’autres entités spirituelles chargées de la protection des ressources naturelles, d’où l’intérêt d’adopter une pratique d’exploitation de subsistance, afin de ne pas provoquer de pénurie et d’assurer l’avenir des générations futures (Téofilo Da Silva, 2014).

de régime de citoyenneté désigne « les arrangements institutionnels, les règles et les représentations qui guident simultanément l’identification des problèmes par l’État et les citoyen[ne]s, les choix de politiques, les dépenses de l’État, et les revendications des citoyen[ne]s » (Jenson, 2001, p. 46). L’objectif était d’historiciser les politiques économiques et d’inclusion ethnoculturelle du Costa Rica et de contextualiser les réalités juridiques, économiques, culturelle et sociopolitique des Peuples autochtones afin de faire émerger un modèle de territorialité imposé par l’État.

Tel que constaté, le Costa Rica est bon élève des recommandations internationales, tant au niveau économique que des droits humains. L’appareil législatif actuel semble offrir des structures permettant l’autonomie et le respect des communautés autochtones. Toutefois, l’épreuve des faits démontre que maints enjeux nient l’accès à une citoyenneté pleine et entière chez les Autochtones. Cela est, entre autres, causé par la situation de marginalisation culturelle et de précarité économique, par un appareillage bureaucratique qui sape les modes d’organisation traditionnels, la non-détention des titres officiels de leurs terres et la non-reconnaissance ou un système d’éducation nationale qui n’inclut pas les identités, pratiques et narrativités autochtones.

La réalité du monisme étatique et l’hégémonie culturelle rendent difficile l’accommodation de la différence culturelle, malgré l’adoption de politiques multiculturelles (Díaz-Azofeifa, 2012). Cette emphase sur la reconnaissance des différences culturelles omet de rendre visibles l’asymétrie des relations de pouvoir entre cultures et les dynamiques d’exclusion qui résultent de l’appauvrissement historique de ces populations, de leur marginalisation culturelle et de leur subordination politique (Bello, 2004). Pour des raisons liées aux enjeux de colonialisme interne, la diversité culturelle est perçue comme un obstacle au développement de la nation. L’orientation des politiques d’inclusion de la diversité ethnoculturelle au sein du

régime de citoyenneté passe par des iniatives tantôt assimilationnismes, tantôt paternalistes ancrées dans une logique de protection/domination (Papillon, 2005) de mise en tutelle qui consacre la relation de dépendance à l’État au sein du cadre juridique et la conception fondamentale de la place des Autochtones au sein du régime de citoyenneté.

Cela s’incarne, entre autres, à travers les droits et voies d’accès actuelles à la participation citoyenne. Historiquement exclus du régime de citoyenneté, rappelons que l’apparition discursive des Peuples autochtones survient en raison de la volonté de sécuriser l’intégrité territoriale du Costa Rica afin d’assurer le respect de ses frontières externes et de ne pas créer de frontières internes (Lansing, 2014). L’invisibilisation historique des Peuples autochtones dans les textes constitutionnels est une violence symbolique et politique qui entraine l’exclusion par la négation de l’existence. Dans son processus de consolidation territorial et étatique, le Costa Rica impose effectivement une dynamique d’inclusion/exclusion qu’il est possible d’analyser à l’aide du concept de lisière interne (Jenson et al., 2007). Juste au niveau du développement et du régime territorial, il est possible de voir le double mouvement à l’œuvre : inclusion comme sujet de l’État, mais exclusion des lieux d’accumulation du capital et de prise de décision sur les orientations politiques de la nation. Les autochtones sont considéré.es comme citoyen.nes de seconde zone puisque subissant encore nombre de discriminations systémiques et des restrictions d’accès au régime de citoyenneté imposé par l’État.

Dans le cas présent, comme dans bien d’autres cas d’ailleurs, les institutions étatiques ne sont pas construites sur des bases pluralistes de compréhension du territoire, mais reposent justement sur une vision territoriale moniste dont les ressources et les terres sont des unités exploitables et marchandisables, le tout renforcé par l’idée d’une

souveraineté étatique inaliénable (Schroeder et González, 2019). Par exemple, les réformes agraires et le processus de répartition des terres sont des dispositifs de pouvoir qui permet à l’État d’asseoir sa légitimité. En plus, avec l’accaparement des terres et l’industrialisation du secteur agraire et l’intégration économique des communautés autochtones entraine la dépendance économique et, conséquemment, une perte d’autonomie (Lariagon et Piceno, 2016a). Les territorialités occidentales s’imposent de diverses manières, notamment à travers les cartes et les divisions territoriales qui imposent une certaine vision du territoire, de ses frontières, des informations pertinentes d’y relever venant changer la manière de lire et comprendre le territoire (Barabas, 2004). Le territoire est donc compris comme étant un objet administratif, voire un outil de coercition, non pas un milieu de vie et de reproduction socioculturelle et matérielle. Ce régime territorial moderne (voir la note de bas numéro 43) imposé par l’État est antagonique aux discours territoriaux des femmes autochtones qui seront abordés au prochain chapitre, induisant une nouvelle forme d’exclusion d’accès à la représentation, dans ce cas-ci de leurs valeurs et de leur ontologie, au sein de l’État.

Ce statut ambigu, à la fois séparé et intégré à l’État-nation, est le résultat d’un processus contradictoire d’une souveraineté d’un État capitaliste dont la territorialisation ne transforme pas uniquement les espaces, mais construit également, via l’inclusion ou l’exclusion, des sujets politiques (Papillon, 2012 ; Lansing, 2014). Cela s’appuie encore sur logique civilisationnelle néocoloniale qui n’accorde pas de réelle valeur aux subjectivités autochtones, sinon des droits symboliques. Une volonté abstraite d’intégration des individus autochtones au sein du marché économique et de l’État sans considération pour une transformation de l’État aux vues des régimes territoriaux autochtones.

Cela dit, tel que mentionné plus tôt, la citoyenneté n’est pas qu’un statut octroyé par l’État dans un mouvement du haut vers le bas, mais c’est également un ensemble de pratiques horizontales entre acteurs sociaux (individus ou groupes) en interactions, souvent asymétriques, avec l’État. Ainsi, malgré diverses formes de marginalisation économique, politique ou épistémologique, les Peuples autochtones résistent et s’organisent afin de repenser l’étendue du pouvoir étatique sur leurs territoires et dans leurs communautés, questionnant par ce fait même la souveraineté territoriale de l’État- nation. Ils et elles vont même jusqu’à instrumentaliser les outils de coercition, comme le droit, à leurs propres fins, réclamant l’accès à la définition des règles de l’État et donc leur participation dans la définition des priorités et des règles politiques. En d’autres mots, les Peuples autochtones participent simultanément à la déconstruction et la reconstruction du régime de citoyenneté.

La territorialité de l’État Costa Ricain participe de la formation du régime de citoyenneté imposé aux Peuples autochtones du territoire. En dépit d’un État social fort, de nombreuses lisières internes existent et bon nombres affectent les Peuples autochtones. Ce « paradoxe » mériterait d’ailleurs plus d’attention lors de recherches subséquentes. Niant l’existence d’un régime de citoyenneté propre aux communautés précolombiennes, le gouvernement se confronte à des résistances à l’intégration complète due à des revendications liant autonomie culturelle à autonomie territoriale et politique. Cela pose les bases des questionnements pertinents concernant la négociation de l’inclusion/exclusion par rapport à l’État colonisateur effectué par les Peuples autochtones. Comme ce mémoire se penche sur la construction du régime de citoyenneté des femmes autochtones à Talamanca, le prochain chapitre portera plus spécifiquement sur les liens entre identité et territorialité au dans les discours et pratiques des membres de cette catégorie sociale.