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C- Limite de mon travail

2. La structure organisationnelle du système scolaire haïtien

2.2 La réforme Joseph C Bernard

Nous citons la réforme de 1979, communément appelé "Réforme Bernard114". Cette réforme a commencé officiellement en 1979 et a été arrêtée par décision ministérielle trois ans plus tard, en 1982. Ce moratoire a duré de 1982 à 1986. Il faut aussi rappeler que par décision du ministre de l'éducation d'alors, ce moratoire a été maintenu de 1986 à 1987 sous prétexte que la conjoncture sociopolitique du pays n'était pas propice à la reprise des activités relatives à la réforme éducative.

. Cette réforme de 1979 a trois grands objectifs115 :

a) Le premier objectif est d’éradiquer l’analphabétisme en assurant à tous une formation de base polyvalente et solide. En outre, elle vise la rénovation de l’enseignement de base afin de réduire les redoublements des élèves et les abandons scolaires avant les quatre années de l’école primaire… C’était un objectif très louable, mais les contextes économiques et politiques de l’époque ne permettaient pas de le concrétiser un tel objectif surtout ce n’était pas la priorité du gouvernement d’alors de mettre l’éducation au premier plan.

b) Le deuxième objectif consistait à favoriser la participation et l’adaptation des enfants scolarisés dans leur milieu de vie. C’est dans un but précis : permettre à chaque individu d’assumer ses responsabilités de manière autonome.

Cette réforme a proposé une réorganisation du système éducatif basée sur la mise en place d'une école fondamentale de neuf (9) ans et un enseignement secondaire de 4 ans. Cette période de neuf ans est décomposée en trois cycles dont le premier est de (4) quatre ans; le second de (2)

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Ce plan de réforme en éducation fut initié par M. Joseph C. Bernard vers les années 1980, Ministre de l’éducation ; d’où le concept, « Reforme Bernard ».

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deux ans; et le troisième cycle de (3) trois ans. Cette « École fondamentale a pour vocation essentielle de promouvoir une formation générale de dix ans qui doit conduire le maximum d’enfants à un niveau de connaissances générales et d’initiations aux techniques, indispensables à leur accession aux établissements de niveau secondaire ou à leur entrée dans un processus de production 116». Au terme de ce cheminement, l'élève doit accéder à un nouveau secondaire de trois ans aboutissant à un baccalauréat général ou spécialisé dit technique ou pédagogique. Enfin, après le baccalauréat, les bacheliers peuvent entrer dans une faculté pour continuer leurs études supérieures. Ce cycle d’études dure quatre années et dans certaines de ces facultés le niveau de maîtrise est offert dans certaines disciplines.

c) Le troisième objectif de la reforme consistait à introduire la langue créole dans l’enseignement à fin de favoriser le bilinguisme (français-créole) et de surmonter le handicap linguistique dans l’enseignement haïtien. C’est la toile de fond de cette reforme. Joseph C. Bernard a pris une loi qui ouvre l’enseignement de la langue créole dans tous les établissements de la république au niveau des quatre années du cycle fondamental. Cette loi stipule en son article 1er : « L’usage du créole, en tant que langue parlée par 90% de la population haïtienne, est permis dans les écoles comme langue instruments et langue d’ enseignement117

». Cet article était mal vu par presque toutes les couches sociales de la population (la classe intellectuelle, les enseignants, les familles aisée et la classe populaire) parce qu’on considère le créole comme une langue inférieure par rapport au français. On a fait une mauvaise interprétation de cet article. Pourtant le ministre Joseph C. Bernard l’a si bien expliqué et a apporté des précisions dans son texte pour dire que : « Dispenser l’enseignement en créole ne signifie pas renoncer au

français. Les deux langues sont enseignées en même temps : le créole comme langue maternelle et le français enfin abordé comme langue étrangère118 ». En effet, ce manque

d’adhésion des différentes couches sociales de la population haïtienne a boycotté cette reforme surtout les enseignants. Appuyons notre réflexion sur Joint qui a raconté le comportement des enseignants. « … beaucoup d’instituteurs auraient « manœuvré pour le

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MENJS :(1982), La réforme éducative, éléments d’information, Port-au Prince, Février, p. 27.

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Sic, Discours de Joseph C. Bernard, Ministre de l’éducation Nationale, le 20Janvier 1979, cité par Louis Auguste Joint, (2006), Système éducatif : inégalité sociale en Haïti, Paris, L’Harmattan, p.121.

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déchoucage (destruction) des livres de la reforme » qui retiraient leur « privilège »

d’enseigner en français et qui « dévalorisaient » leur statut119

».

: « L’enjeu du français dans l’enseignement et la société haïtienne : la langue de promotion sociale et de relation internationale120 ». C’est cela le paradoxe, comment imaginez 90% de la population parlent une langue et contribuent à la détruire ? On va à l’école pour parler le français résume bien leur pensée. Quand vous parlez la langue de Molière, vous avez un autre statut social, vous ne faîtes pas partie du bas peuple. Quand vous vous exprimez en français, cela vous donne un prestige social, une ascendance sociale. Le refus de la langue créole dans l’enseignement est boycotté par deux catégories sociales de la population

- Les couches sociales aisées fuyaient la réforme à cause de l’introduction du créole dans l’enseignement. Elles croyaient aveuglement que c’est seulement le créole qui est enseigné à l’école et qu’on mette de coté le français. Du coup, elles retiraient leurs enfants dans les écoles publiques pour les mettre dans des écoles privées qui boudaient la réforme121.

- Les familles des classes populaires, à leur tour, considéraient cette reforme comme une tentative des classes dirigeantes d’enfermer leurs enfants dans un « ghetto créole », leur empêchant toute promotion sociale122.

Avant de conclure, nous avons deux exemples qui pourraient bien illustrer le mépris de la langue créole pour le français. Le premier exemple est une anecdote racontée par un professeur qui avait un camarade de classe au primaire. Faute de moyens économiques suffisants, celui-ci avait abandonné ses études pour apprendre un métier manuel. Celui qui est devenu professeur, après avoir terminé ses études classiques et universitaires, a obtenu une bourse d’études en France où il a décoché une maîtrise. De retour en Haïti et pendant qu’il travaillait à la faculté linguistique, il a été choisi par son ancien camarade et ami pour être le parrain de sa noce. Pendant son discours de circonstance, remarquant la composition des invités, il a présenté son discours en créole pour la compréhension de tous. Le lendemain matin, le marié était allé se

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Louis Auguste Joint, Op. cit, p.129.

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Louis Auguste Joint, Op. cit, p.137.

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Louis Auguste Joint, Op. cit, p.127.

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plaindre auprès du parrain de sa grande déception. Il ne pouvait imaginer qu’un homme aussi brillant qui a fait des études en France comme son parrain fasse un discours en créole à son mariage.

Le second exemple, nous le tirons du texte de Joint qui disait : « dans l’administration haïtienne, le français est utilisé pour marquer la distance ou la supériorité. Dans une administration, l’usager qui parle en français est gratifié d’un traitement spécial123

». Dans ce cas ci, nous pouvons comprendre que la fonction première de toutes les langues qui est de communiquer n’est pas le cas. Cette langue sert de préférence pour faire la distinction discriminante et obscurantiste entre le peuple haïtien.

Voilà de manière très suscinthe, la deuxième reforme éducative en Haïti. Elle apportait des éléments nouveaux dans le système éducatif mais aussi des éléments qui détruisent le système. Prenons en quelques exemples pour expliquer notre point de vue. L’introduction de la langue créole dans l’enseignement est un élément très positif même si c’était la langue que les opposants de la reforme avaient utilisé pour empêcher l’applicabilité de la reforme. En outre, c’était à partir de cette reforme que les constituants haïtiens lors de l’élaboration de la nouvelle Constitution haïtienne du 29 mars 1987, intègre la langue créole comme une langue officielle. Elle stipule dans son article 5 cinq : « Tous les Haïtiens sont unis par une langue commune le Créole. Le Créole et le Français sont les langues officielles de la République124 ». Restons toujours dans la même idée qu’aujourd’hui de sérieux efforts se réalisent pour structurer une académie de la langue créole en Haïti. Article 213 de la Constitution stipule qu’ « une Académie haïtienne est instituée en vue de fixer la langue créole et de permettre son développement scientifique et harmonieux125 ». Elle a donné naissance à une augmentation exponentielle du nombre d’écoles privées due à une grande demande de la population pour le pain de l’instruction. Cette éclosion d’écoles a offert un marché d’emplois aux jeunes. Et du même coup, on assiste à une montée vertigineuse de gens qui s’improvisent enseignants juste pour échapper aux rigueurs du chômage endémique. Ces dits « enseignants » sont non préparés à la tâche pour remplir cette mission. Ils

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Louis Auguste Joint, Op. cit, p.131.

124Constitution de la République d’Haïti, 29 mars 1987, amendée le 9 mai 2011, Port-au-Prince, Éditions Fardin,

Aout 2012, article 5.

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se contentent d’avoir un gagne-pain, ils ne cherchent pas à faire œuvre qui vaille pour doter la société de citoyens responsables et qualifiés. Maintenant voyons la troisième réforme connue sous le Plan national d’éducation et de formation (PNEF).