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Des réflexions thermodynamiques

8. Résultats et discussions

8.3 Discussions sur des HIPEs Apolloniennes

8.3.2 D’où vient la métastabilité d’une HIPE Apollonienne ?

8.3.2.3 Des réflexions thermodynamiques

Les calculs faits se trouvent dans le chapitre « 4.3.2.3 Thermodynamic considerations ». On donne un résumé qualitatif ci-dessous.

La variation d’énergie libre de Gibbs pour une émulsion s’écrit : ∆ = ∆ − ∆

où ∆ représente la variation d’énergie interne du système à volume et température constants. est la température du système, aussi supposée constante, et ∆ est la variation d’entropie du système.

∆ dans une structure Apollonienne

En 1877, Boltzmann a publié son équation qui lie l’entropie dans un système au nombre de micro- états accessibles au système.136,137 Aujourd’hui, l’équation s’écrit couramment sous la forme :

= ln

avec la constant de Boltzmann et le nombre de micro-états. Puisque est la somme de toutes les permutations configurationnelles permises à chaque objet du système, il est clair que l’entropie dépendra du nombre total d’objets, ainsi que le degré de liberté pour chaque objet.

Dans une émulsion Apollonienne, les gouttes étant sphériques ont plus de degrés de liberté que d’autres géométries à facettes – celles-là peuvent se mettre en rotation et en translation, preuve en est l’écoulement Newtonien, tandis que des gouttes polyédriques des HIPEs du type « Lissant » sont coincées et présentent un seuil d’écoulement. Donc, pour le même nombre de gouttes, une émulsion Apollonienne maximisera l’entropie par rapport aux HIPEs solides ou hybrides.

De plus, comme le démontre notre algorithme des Lapins (Figure 58), chaque événement de coalescence entre deux gouttes engendre plus de gouttelettes finales. Si on considère alors l’évolution d’une HIPE liquide, en faisant l’approximation simpliste où est le nombre de gouttelettes dans le système, alors ∆ est clairement une fonction croissante avec le temps.

dans une structure Apollonienne

L’énergie interne d’une HIPE est principalement composée de l’énergie élastique stockée dans les interfaces et l’énergie de surface de toutes les gouttes :

∆ = ∆ + ∆

Énergie élastique

Une HIPE Apollonienne possède une quantité minimale d’énergie élastique en raison de ses gouttes sphériques non déformées. Par contre, les HIPEs solides ou hybrides à facettes stockent beaucoup d’énergie élastique dans les films minces de tensioactif (et elles ont donc des ’ plus élevés). Cette

128 tension subie par les gouttes déformées fait que ces HIPEs solides et hybrides soient facilement diluées. Princen a aussi observé ce comportement pour ses HIPEs (solides) et il l’a expliqué que la dilution soulagera la pression osmotique élevée dans les régions entre les gouttes déformées14,20; la

pression de Laplace est alors neutralisée et les gouttes déformées peuvent récupérer leur forme sphérique.24 Cette explication de Princen est soutenue par nos calculs de l’énergie de flexion d’un

film mince comparée à celle d’une gouttelette de la même surface dans le chapitre « 4.3.1.2 – Free energy is reduced by creating small droplets rather than maintaining flat films ».

Nos calculs montrent de plus qu’une fois sphérique, il n’est pas favorable thermodynamiquement de déformer la goutte en créant des films plats. Dans nos HIPEs Apolloniennes, dès qu’un chevauchement se produise entre des gouttes, l’évolution a lieu par la coalescence-fragmentation. On crée ensuite des gouttelettes sphériques qui respectent des contraintes de tangence, ce qui garde l’énergie élastique à son minimum donc ∆ < 0.

Énergie de surface

Princen et Levison (1987) ont calculé l’énergie de surface du tétrakaidécaèdre minimal de Kelvin – la géométrie d’une cellule unitaire dans une mousse idéale. Autrement dit, la forme polyédrique d’une goutte de HIPE solide possède une surface 9,7% plus grande qu’une sphère du même volume.11

Recourant à l’argument géométrique, une émulsion Apollonienne aura une énergie de surface plus petite qu’une HIPE solide ou hybride si elles possèdent toutes le même nombre de gouttes.

Si on examine maintenant l’évolution des émulsions Apollonienne, malgré la création des microémulsions à courbure spontanée, considérées comme sans énergie de surface, nos résultats expérimentaux indiquent une croissance de surface totale avec le temps (Figure 42 et Figure 50) à cause des nombreuses gouttelettes créées par la coalescence-fragmentation. Ainsi, ∆ est une fonction en croissance avec le temps, puisque :

∆ = ∆ + ∆ = ∆

Par conséquent, l’évolution d’une émulsion Apollonienne permet au système de s’approcher à une structure Apollonienne de plus en plus « parfaite ». Or, le gain en entropie est contrebalancé par l’augmentation de l’énergie de surface :

∆ = ∆ − ∆

D’après nos raisonnements, on pense que ce va-et-vient entre ∆ et ∆ fait osciller ∆ dans une structure Apollonienne, donnant effectivement un minimum local qui peut expliquer la métastabilité prolongée des émulsions Apolloniennes. On propose alors la voie d’évolution pour une HIPE liquide à φ = 0,95 dans la Figure 67.

Figure 67 : la voie d’évolution proposée pour une HIPE liquide vers la séparation macroscopique des phases.

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9. Conclusion

En réduisant de manière significative la disponibilité des tensioactifs, on a permis aux émulsions à haut rapport de phase interne (HIPEs) de coalescer, ce qui a engendré un nouveau type de HIPE inconnu auparavant. Ce nouveau type d’émulsion possède une structure qui remplit tout l’espace avec un ensemble de sphères très polydisperses, selon les principes prescrits par Apollonius de Perge il y a plus de 2000 ans. En son honneur, on a nommé ces HIPEs à fraction volumique interne proche de l’unité des « émulsions Apolloniennes ». Leur fabrication est à la fois très simple et reproductible : il suffit d’ajouter lentement, sous agitation continue, de la phase interne à une phase externe qui contient du tensioactif stabilisant, tout comme la recette d’une mayonnaise. Contrairement à la fabrication des HIPEs classiques qui ont préoccupé la communauté de la physicochimie jusqu’à présent, ces émulsions Apolloniennes nécessitent très peu de tensioactif et il suffit de les laisser évoluer spontanément après émulsification.

La distribution de tailles des gouttes sphériques dans une émulsion Apollonienne prend la forme d’une loi de puissance à l’exposante −( + 1), où la dimension fractale, , est toujours très proche de celle d’un empilement Apollonien, soit = 2,47. On a ensuite effectué des mesures par la diffusion aux petits angles des rayons-X, et on les a comparées à un empilement Apollonien généré par la simulation numérique. Le bon accord entre les résultats expérimentaux et la simulation nous a permet de conclure que nos émulsions possèdent une structure Apollonienne. On a déduit également que des gouttes sphériques dans nos émulsions Apolloniennes ne sont pas séparées par des films minces. Cela assure la minimisation de l’énergie élastique dans le système et par conséquent, des émulsions Apolloniennes coulent spontanément comme un liquide Newtonien alors que d’autres émulsions concentrées sont typiquement rhéofluidifiantes. L’écoulement Newtonien résulte probablement du comportement sans interactions entre les gouttes d’une émulsion Apollonienne où chaque goutte considère les autres comme étant un fluide homogène : en effet, on a trouvé que la viscosité effective d’une émulsion Apollonienne suit l’équation d’Einstein qui décrit des dispersions diluées si on considère la phase continue soit constituée des autres gouttes d’huile. Il n’y a aussi pas de seuil d’écoulement pour des HIPEs Apolloniennes, au contraire aux autres HIPEs étudiées jusqu’à présent qui se comportent comme des gels.

Nos résultats expérimentaux suggèrent que le mécanisme d’évolution dans ces HIPEs liquides pauvre en tensioactif est très différent du mécanisme de coalescence dans des émulsions diluées typiquement rencontrées. Dans celles-ci, la coalescence typique engendre de moins en moins de gouttes mais de taille de de plus en plus large afin de diminuer la surface totale. Des tensioactifs en excès sont expulsés après chaque événement de coalescence et elles disparaissent dans le réservoir de phase continue. Dans des HIPEs liquides, la surface totale augmente avec le temps, ce qui implique la création de beaucoup de petites gouttelettes. On a utilisé la simulation numérique pour reproduire nos systèmes expérimentaux et on a démontré que chaque coalescence entre deux gouttes donne beaucoup de gouttelettes « filles ». On a donc appelé ce mécanisme particulier la « coalescence-fragmentation » (ou l’algorithme des lapins pour être plus humoristique). Les gouttelettes créées logent des tensioactifs rejetés puisque ces molécules ne peuvent pas être accommodées par le petit volume de phase continue disponible dans une HIPE liquide, à risque de provoquer une augmentation conséquente du potentiel chimique. On a également déterminé les trois conditions de la coalescence-fragmentation à respecter : la conservation du volume, le remplissage optimal des vides en maximisant les rayons des gouttelettes « filles », et la non création

130 des films minces qui sont coûteux en énergie libre. Si ces trois conditions sont respectées, on obtient des structures construites localement selon les principes Apolloniens, ce qui donne un empilement global Apollonien dans une HIPE liquide. À partir de nos résultats de SAXS, on a trouvé que des gouttelettes créées par la coalescence-fragmentation peuvent prendre la forme des micelles gonflées, qu’elles soient à la courbure spontanée ou un peu plus grandes.

Dès qu’une HIPE atteigne sa structure Apollonienne, elle démontre une métastabilité exceptionnellement stable, au contraire des attentes usuelles pour des émulsions à une fraction volumique aussi élevée stabilisées par aussi peu de tensioactif. Tandis que la coalescence usuelle épuise le nombre de gouttes total en faisant croître les tailles des gouttes, la coalescence- fragmentation permet aux émulsions Apolloniennes de s’alimenter en créant des petites gouttelettes, ce qui donne l’impression d’une HIPE qui reste émulsifiée pendant un temps très long. On a également déterminé que la cinétique de coalescence pour une HIPE Apollonienne peut être prédite par le modèle Smoluchowski au noyau Brownien pour des émulsions polydisperses. Cela peut sembler paradoxal puisqu’une structure Apollonienne est autosimilaire alors que le modèle de Smoluchowski est un modèle de champ moyen.

On a ensuite interprété la métastabilité exceptionnelle d’une émulsion Apollonienne comme un minimum local thermodynamique, où l’augmentation en énergie libre est partiellement compensée par une augmentation entropique grâce à la création de nombreuses gouttelettes. Le système finira par la création des gouttes tellement larges qu’elles se séparent du reste de l’émulsion par la séparation gravitationnelle. Au final, le système perdra sa structure Apollonienne et descend la courbe d’énergie libre, vers le minimum global qui donne la séparation macroscopique entre l’huile et la phase aqueuse.

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