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La distribution de tailles dans chaque type de HIPE

8. Résultats et discussions

8.1 Le comportement macroscopique d’une HIPE vs sa composition

8.1.4 La distribution de tailles dans chaque type de HIPE

Hermann et al. (2012) ont démontré par la simulation numérique que l’on peut remplir l’espace à une fraction volumique presque 1 avec sphères en utilisant une distribution de tailles qui suit une loi de puissance.70 On a donc utilisé la diffraction du laser pour mesurer ( ), la distribution des

diamètres dans nos HIPEs pour vérifier si c’est bien le cas. Ces résultats sont présentés en double logarithmes afin de mettre en évidence des lois de puissance (Figure 33).

Figure 33 : la distribution des diamètres mesurée par la diffraction du laser d’une HIPE liquide (bleu), une HIPE hybride (rouge) et une HIPE solide (vert) à 0,6%, 5% et 20% de C12E6 solubilisé dans la phase continue. On trouve que les distributions de taille sont effectivement des lois de puissance.

Effectivement, les distributions de tailles sont de la forme : ( )~ étendues sur au moins 2 décades de diamètres. On estime ensuite l’exposante à partir de la pente de la courbe représentée en double logarithmes (Tableau 2). On a démontré dans le chapitre « 3.2.2.2 Revealing a power-law behaviour » ainsi que dans les Informations Supplémentaires, chapitre «11.1 Deducing from the double-log plot of Light Scattering measurements » que l’exposante donne directement la dimension fractale de l’échantillon.

Tableau 2: la distribution des diamètres des gouttes dans chaque HIPE suit une loi de puissance sur au moins deux décades de valeurs. et correspondent au plus petit et au plus grand diamètre mesurés pour chaque échantillon et , l’exposante de la loi de puissance, donne directement la dimension fractale, .

Type de HIPE (µm) (µm) =

Liquide, 0,6%C12E6 1,36 154 2,01

Hybride, 5%C12E6 0,82 225 2,28

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8.1.4.1 Comment juger la polydispersité pour une distribution en loi de puissance

On aurait pu croire que les mesures de diffraction du laser soient contradictoires aux interprétations des observations sous microscope dans le chapitre précédent, puisque la gamme des tailles des gouttes dans une HIPE solide semble plus étendue (donc plus polydisperses) que dans une HIPE liquide. Toutefois, il faut noter que les grandes gouttes de diamètre >20µm ne sont présent qu’à une proportion extrêmement faible pour l’HIPE solide, soit 7 x 10-10 – 2 x 10-5, ce qui veut dire qu’il suffit

d’avoir une seule goutte anormalement large à 484µm dans une population de 1,44 milliard de gouttes pour élargir artificiellement la distribution de tailles. En examinant la fréquence cumulée, cette « contradiction » disparaîtra : au 99ème percentile, des gouttes sont ≤ 15,4µm dans une HIPE

liquide ; pour une HIPE hybride, ≤ 6,3µm ; et pour une HIPE solide, ≤ 3,8µm. Ainsi, cela ne suffit pas de regarder la largeur de la gamme des tailles mesurées pour juger la polydispersité d’une population. Il sera d’autant plus juste d’examiner l’exposante (ou la dimension fractale) pour des lois de puissance.

Pour une loi de puissance, la polydispersité est définie par , qui est une fonction en décroissance de la dimension fractale (Figure 34) :

= − 2 /

pour > 2 (cf. chapitre « 11.2 Polydispersity as a function of fractal dimension » pour la preuve mathématique).

Figure 34 : la polydispersité, , en fonction de la dimension fractale, , pour une distribution en loi de puissance.

Ainsi, grâce à cette définition de polydispersité pour des distributions en loi de puissance, puisque croît en fonction de la quantité de tensioactif dans les HIPEs (Tableau 2), nos mesures de diffraction du laser sont bien cohérentes avec les observations sous microscope – une HIPE liquide pauvre en tensioactif est effectivement la plus polydisperse, tandis qu’une HIPE solide riche en tensioactif est la moins polydisperse. Cela implique qu’un gros excès en tensioactif engendre une population moins

polydisperse, ce qui est en accord avec l’observation courante que des tensioactifs fournisse d’excellente protection contre la coalescence des gouttes, un moteur qui conduît à la polydispersité dans des émulsions.

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8.1.4.2 La coalescence et la fragmentation dans les HIPEs

La coalescence provoque la polydispersité

On calcul la surface totale, , et le volume total, , pour chacun des émulsions. En supposant que chaque molécule de C12E6 occupe 52 – 55Å2 dans une monocouche de tensioactif stabilisant à

l’interface de la goutte d’huile43,45, on peut alors calculer , la surface hypothétique que toutes

les molécules de tensioactif auraient pu occuper, afin de déterminer le taux de couverture réel à l’interface. Chacune de ces quantités s’écrit de la façon suivante :

= ∑ ( ) ∙ 4 ( ⁄ ) 2

= ( ) ∙ (4/3) ( ⁄ ) 2

=( ∙ )(1 − ) ∙ %

avec = 905 / , = 0,95, et % 12 6 la concentration en masse du tensioactif dans la phase continue de l’HIPE;

= ∙ 55Å

où = 450,65 / la masse molaire du C12E6, et = 6,02 × 10 le nombre d’Avogadro.

Tableau 3 : calcul du taux maximum de couverture à l’interface par les molécules de C12E6 dans chaque type de HIPE.

HIPE %C12E6 (10-12 m 2) (10-18 m 3) (10-14 g) (10-12 m 2) Taux maximum de couverture à l’interface (= ) Liquide 0,6 87,5 273 7,79 57,2 65,4% Hybride 5 25,5 72.0 17,1 126 494% Solide 20 7,65 6,85 6,53 48,0 600%

À partir des valeurs calculées présentées dans le Tableau 3, seulement 65,4% des interfaces sont couvertes par des molécules de tensioactif dans une HIPE liquide, tandis que les taux de couverture pour des HIPEs hybride et solide sont largement supérieur à 100%. Autrement dit, les interfaces dans ces dernières sont bien saturées et il y a même un gros excès en tensioactif. Ainsi, la coalescence peut avoir lieu dans une HIPE liquide à cause d’une protection incomplète, alors qu’elle est gravement inhibée dans les HIPEs hybrides et solides. Si un pore s’ouvrait de manière aléatoire

entre deux gouttes d’huile côte à côte, on aurait une abondance de tensioactif dans des HIPEs hybrides et solides pour réparer ce défaut ; dans une HIPE liquide, on est en manque de tensioactif. Prenant en compte la mesure de polydispersité dans le chapitre précédent, on perçoit une corrélation entre la coalescence dans le système et une polydispersité plus importante.

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La fragmentation engendre une distribution de taille en loi de puissance dans toutes les HIPEs

Cependant, si la présence de beaucoup de tensioactif inhibera la coalescence dans nos HIPEs hybrides et solides, pourquoi ont-elles des distributions de tailles en loi de puissance ? On expliquera la raison pour laquelle nos échantillons ne sont pas monodisperses par leur procédé de fabrication : la fragmentation à haute énergie sous cisaillement par un mixeur à hélice.

Des études menées sur le mécanisme de fragmentation des matériaux granulaires trouvent souvent des distributions de tailles log-normales ou en lois de puissance. On obtient des distributions log- normales lorsque les grains sont fragmentés de manière indépendant l’un et l’autre à la même fréquence, et on obtient des lois de puissance par la fragmentation continue (et parfois explosive) où la rupture d’une particule dépend des forces transmises par ses voisines (Herrmann et al.)105,106.

L’exposante alors obtenue sera entre 2,0 et 2,8 et dépend du nombre de voisines les plus proches (Steacy et Sammis, 1991)107. C’est donc évident que dans une HIPE où les gouttes d’huiles sont

tellement serrées qu’elles sont toutes en contact, la fragmentation indépendante soit très improbable dans une telle structure. Ce mode de fragmentation indépendante peut expliquer

pourquoi on retrouve souvent des distributions log-normales ou normales pour les émulsions polydisperses à faible fraction volumique – les gouttes colloïdales sont suffisamment espacées – et pourquoi des distributions en loi de puissance sont rarement rencontrées.

Il s’avère que l’agitation prolongée des HIPEs (de type « Lissant » stabilisées par beaucoup de tensioactif) raffine la distribution de tailles des gouttes pour donner une population monodisperse51,75. Notre protocole de fabrication diffère à ce stade car on a arrêté l’agitation dès

que la dernière goutte d’huile soit ajoutée, ce qui explique pourquoi on observe toujours des lois de puissance dans nos HIPEs hybrides et solides.

Ainsi, on propose que toutes les HIPEs passent par un stade lors de l’émulsification où la distribution de tailles est une loi de puissance, à cause de la fragmentation des gouttes dans un milieu confiné. Dans des HIPEs hybrides et solides, on peut préserver chaque goutte créée par la

fragmentation grâce à l’abondance de tensioactif. Si on prolonge l’agitation, les tailles de gouttes deviennent de plus en plus homogène et stabiliseront à la plus petite taille créée par la fragmentation.

Une nouvelle approche: la coalescence et la fragmentation simultanée dans les HIPEs liquides

Pour les HIPEs liquides, le système est en manque de tensioactif. Cela veut dire que les petites gouttes créées par la fragmentation ne sont pas préservées, et elles peuvent coalescer entre elles pendant l’émulsification. La nouveauté de notre approche est donc laisser produire la coalescence et la fragmentation en même temps dans une structure aussi bondée comme une HIPE à φ = 0,95.

En effet, tous les ouvrages cités dans cette thèse que l’on peut trouver dans la littérature cherchaient toujours à supprimer la coalescence dans les HIPEs. Par ailleurs, l’approche usuelle des études dans le domaine des colloïdes est de favoriser un seul procédé à la fois – la fragmentation ou la coalescence – et de les considérer indépendamment avec des conséquences opposantes : la fragmentation mène à un nombre important de gouttes aux tailles plus petites, tandis que la coalescence a un effet opposé108.

On pense donc que c’est grâce à cette nouvelle approche qu’on a pu obtenir un empilement Apollonien dans nos HIPEs liquides. On a nommé ce mécanisme « la coalescence-fragmentation » qu’on discutera de manière plus détaillées.

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