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CHAPITRE 6. DISCUSSION GENERALE

6.5. Réflexions et ouvertures sur la question de l’anticipation de la douleur faisant

Des études avaient précédemment démontré que l’anticipation de la douleur, composante cognitive de l’expérience de douleur, active des régions cérébrales et induit des modulations de l’excitabilité corticospinale similaires à celles observées lors de l’expérience de douleur (Ploghaus et al., 1999; Porro et al., 2003; Koyama et al., 2005; Fossataro et al., 2018). Les résultats de l’étude 3 ont mis en évidence pour la première fois que l’anticipation de la douleur affecte l’excitabilité corticospinale associée à la préparation motrice, les temps de réaction et les pics de vitesse, soulevant plusieurs questions devant d’être discutées. Dans les sous-sections suivantes, la spécificité des conséquences induites par l’anticipation de la douleur sera abordée. Puis, les régions cérébrales communes à la préparation du mouvement et à l’anticipation de la douleur seront discutées au regard de la littérature et des observations de l’étude 1.

6.5.1. Spécificité des conséquences induites par l’anticipation de la

douleur (vs. de la douleur réelle)

Dans l’étude 3, les mesures de MEPs et de temps de réaction étaient réalisées avant que la stimulation nociceptive ne soit appliquée. Toute différence observée repose donc sur un effet spécifique de l’anticipation de la douleur, toute condition étant égale par ailleurs. Il est intéressant de constater que des études ayant également utilisé des paradigmes similaires (mouvements de flexion et d’extension du coude), mais des moments d’applications ou des modalités de douleur expérimentale différents ont obtenu des résultats opposés à ceux obtenus dans l’étude 3. Par exemple, Misra et al. (2017) ont appliqué des stimulations thermiques nociceptives pendant la phase de préparation motrice, ce qui a conduit à une diminution des temps de réaction, lorsque comparé aux essais sans douleur. Les auteurs ont interprété ce résultat au regard des données EEG enregistrées lors de la préparation motrice, qui révèlent une suppression des ondes beta au niveau du cortex pré-moteur induite par la douleur, ce qui faciliterait l’initiation du mouvement (Misra et al., 2017). Dans une étude plus ancienne, Ervilha et al (2004) avaient montré que l’application d’une douleur tonique au niveau du biceps (non-spécifique au mouvement), induisait également une augmentation des temps de réaction, mais à l’inverse une diminution des pics de vitesse et d’accélération, de même que de l’amplitude des mouvements du coude. Les constatations opposées entre l’étude 3 de la présente thèse et les résultats de ces deux études précédentes suggèrent un effet spécifique de l’anticipation d’une douleur associée au mouvement, puisqu’une douleur appliquée pendant la phase de préparation motrice (Misra et al., 2017) ou une douleur non-spécifique au mouvement (Ervilha et al., 2004) semblent conduire à la mise en place de stratégies de protection différentes.

Pour aller plus loin dans cette réflexion, une analyse spécifique des pics de vitesse a été réalisée afin de vérifier si ces derniers étaient réellement affectés par l’anticipation de la douleur, ou plutôt par la stimulation nociceptive appliquée pendant la réalisation du mouvement, période correspondant également à l’enregistrement des pics de vitesse. Les résultats de cette analyse ont révélé qu’en moyenne, les pics de vitesse avaient été mesurés 65,2  23 ms après l’application de la stimulation laser. Or, la littérature portant sur les réflexes induits au niveau du membre supérieur par une stimulation nociceptive survenait avec une latence moyenne d’environ 100 ms (Peterson et al., 2014). Il semble donc difficilement envisageable que l’augmentation des pics de vitesse observée pour la direction du mouvement qui déclenche la douleur et ce particulièrement

pour le groupe ayant reçu la douleur lors de la flexion, soit attribuable au fait que la stimulation nociceptive ait induite un réflexe de retrait vers la flexion. De plus, l’induction d’un tel réflexe vers la flexion aurait eu pour conséquence une réduction du pic de vitesse pour le groupe ayant reçu la douleur lors de l’extension, ce qui n’a pas été le cas, les pics de vitesse étant également augmentés pour ce groupe, lorsque comparés aux pics de vitesse mesurés lors de la réalisation d’extension sans douleur associée. Cette analyse tend à confirmer un effet spécifique de l’anticipation de la douleur sur les aspects liés à la réalisation du mouvement.

6.5.2. Anticipation d’une douleur pendant la phase de préparation

motrice : quelles régions cérébrales communes sous-tendent ces

deux processus ?

Il avait été précédemment montré dans une étude détaillée en partie introductive, que l’anticipation d’une douleur non associée à un mouvement (alors que le système moteur est au repos) ne module pas l’excitabilité corticospinale (Dubé & Mercier, 2011). Or, les résultats obtenus dans l’étude 3 démontrent, à travers la modulation de l’excitabilité corticospinale dépendante du rôle agoniste ou antagoniste du biceps, que des stratégies de protection sont mises en place pendant la phase de préparation motrice lorsque le participant est capable d’anticiper la douleur associée à un mouvement dans une certaine direction. Pris ensemble, les résultats de ces deux études suggèrent que des aires cérébrales additionnelles joueraient un rôle pendant l’anticipation de la douleur associée à un mouvement lors de la préparation motrice (vs. l’anticipation d’une douleur lorsque le système moteur est au repos) et pourraient avoir influencé les résultats obtenus. Au regard de la littérature, il est possible d’émettre plusieurs hypothèses quant à différentes zones impliquées tant lors de la préparation motrice que lors de l’anticipation de la douleur.

Tout d’abord, plusieurs études font état d’une implication de l’ACC dorsal lors de la préparation d’un mouvement volontaire (Hoffstaedter et al., 2013; Nguyen et al., 2014), lors du traitement central de la douleur (Apkarian et al., 2005; Duerden & Albanese, 2013) et lors de l’anticipation de la douleur (Ploghaus et al., 1999; Sawamoto et al., 2000; Atlas & Wager, 2012). Plus précisément, il a été démontré grâce à la neuroimagerie que les affects négatifs dont la douleur et son anticipation et le contrôle cognitif de l’action dont pourrait faire partie la préparation motrice, activeraient communément l’ACC dorsal (Shackman et al., 2011; Misra & Coombes, 2015; Coombes et al., 2018) (voir Figure 6.2). De plus, les études anatomiques ont révélé que

l’ACC dorsal constitue un carrefour où l’information sur les renforçateurs positifs ou négatifs d’une action peut être liée aux zones motrices qui permettent d’initier un comportement moteur approprié (Shackman et al., 2011). L’ensemble de ces éléments permettent de supposer l’implication de l’ACC dorsal lors de l’anticipation d’une douleur associée au mouvement au cours de la phase de préparation motrice. D’ailleurs, l’ACC, M1 et la moelle épinière sont étroitement connectés par de denses projections (Paus, 2001), suggérant une possible influence de l’ACC sur les mesures d’excitabilité corticospinale réalisées au cours de cette période.

Figure 6.2 : Résultats d’une méta-analyse de coordonnées regroupant 192 études mettant en évidence l’activation d’une région cérébrale commune entre les affects négatifs, la douleur et le contrôle cognitif (troisième panel) : l’ACC dorsal.

Reproduit de Shackman et al., 2011.

Une deuxième région possiblement impliquée lors de l’anticipation de la douleur associée au mouvement pendant la phase de préparation motrice serait le cervelet (Coombes et al., 2018). Confirmant cette idée, une récente étude décrite en partie introductive a démontré que des régions spécifiques du cervelet incluant les lobules VI et VIIb impliqués notamment dans l’intégration sensorimotrice, étaient engagées à la fois lors du traitement de la douleur mais aussi lors de la réalisation d’une tâche motrice (Coombes & Misra, 2015).

Si le rôle exact du cervelet joué lors du traitement de la douleur est encore mal défini, des études suggèrent que le cervelet permettrait d’ajuster la réponse motrice en présence de douleur ou lors de l’anticipation de la douleur, afin de protéger l’organisme (Ploghaus et al., 2000; Welman et al., 2018). De plus, le cervelet est également impliqué dans la préparation, l’initiation et l’organisation du mouvement et influence les neurones excitateurs et inhibiteurs de M1, de même que la réponse corticospinale (Allen & Tsukahara, 1974; Daskalakis et al., 2004). Là encore, l’ensemble de ces éléments permet d’envisager que le cervelet ait pu participer à la modulation de l’excitabilité corticospinale observée lors de l’anticipation de la douleur associée à la préparation motrice.