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CHAPITRE 2. METHODOLOGIE GENERALE

2.3. Modèle de douleur expérimentale : laser

Dans la présente thèse, un laser Néodyne:Yttrium-aluminium-pérovskite (Nd :Yap) (Deka: Stimul 1340, Electronic Engineering, Florence, Italy) a été utilisé afin d’induire une douleur expérimentale auprès de participants en santé. Avant d’expliquer le fonctionnement, les grands

principes techniques et physiologiques de ce type de laser et son utilisation en contexte expérimental, il convient de décrire les avantages et inconvénients des modèles de douleur expérimentale et de justifier le choix de la technique utilisée.

2.3.1. Avantages et inconvénients de la douleur expérimentale

Les patients qui souffrent de douleur peuvent présenter des facteurs psychologiques, cognitifs ou physiologiques qui constituent de potentiels biais non-isolables dans le cadre d’études visant à comprendre les mécanismes de la douleur. L’utilisation d’une modalité de douleur expérimentale rend possible le contrôle de la nature, de la localisation, de l’intensité, du moment d’application, de la fréquence et de la durée du stimulus nociceptif et constitue en cela un avantage méthodologique certain (Staahl & Drewes, 2004). Elle évite également les problématiques liées par exemple à l’utilisation de médicaments ou au manque de sommeil qui sont fréquents chez les personnes souffrant de douleur. Par conséquent, l’utilisation d’un modèle de douleur expérimentale auprès de sujets en santé permet d’établir des relations directes, claires, reproductibles et isolables des effets induits par la douleur (ou son anticipation), sur les variables d’intérêts mesurées (Bank et al., 2013). Des stimuli nociceptifs de multiples modalités (mécanique, thermique, électrique ou chimique) peuvent être appliqués au niveau cutané, musculaire ou viscéral pour évaluer, quantifier et différencier les réponses psychologiques, comportementales ou neurophysiologiques qui régissent l’expérience de la douleur en générale ou plus spécifique à une modalité (Reddy et al., 2012). De plus, ces stimuli présentent l’avantage de pouvoir être quantifiés, en termes d’unités physiques telles que l’intensité, la durée ou la distribution spatiale, permettant à la communauté scientifique de réutiliser les paramètres utilisés dans les précédentes études, mais aussi de définir des paramètres de sécurité d’utilisation stricts pour éviter l’induction de tout dommage tissulaire (Plaghki & Mouraux, 2003; Madden et al., 2016).

Il convient toutefois d’insister ici sur le fait que l’utilisation de modalités de douleur expérimentale ne permet pas de reproduire à l’identique la douleur présente chez des populations cliniques. Par exemple, la durée de la douleur est beaucoup plus importante chez les patients alors qu’elle se limite à la durée de l’expérimentation en contexte de laboratoire. Par conséquent, les mécanismes plastiques induits par une douleur prolongée (e.g. sensibilisation centrale) n’entrent pas en jeu de manière comparable. De plus, la cause de la douleur est parfois inconnue

chez la population clinique alors qu’elle est explicite en situation expérimentale. Il convient donc de considérer avec prudence l’interprétation et plus encore la généralisation des résultats obtenus.

2.3.2. Justification de la modalité de douleur expérimentale sélectionnée

En contexte d’étude des interactions entre systèmes nociceptif et moteur, les stimulations électriques, mécaniques, ou thermiques sont majoritairement utilisées pour induire une douleur de type phasique. Les stimulations électriques et mécaniques, bien que peu coûteuses, portatives et ne nécessitant pas de formation de sécurité préalable à leur utilisation (Hird et al., 2017) présentent le désavantage de venir activer les fibres somatosensorielles de type Aβ en plus des fibres nociceptives de type Aδ (Perchet et al., 2012). Il en est de même concernant l’utilisation de la thermode qui nécessite un contact avec la peau pour pouvoir induire une douleur et par conséquent active les fibres afférentes des mécanorécepteurs connues pour moduler la transmission spinale des informations nociceptives (Nathan et al., 1986; Plaghki & Mouraux, 2003). L’utilisation de la thermode présente également le désavantage de nécessiter un temps important pour que la température délivrée augmente jusqu’à atteindre un seuil suffisant pour induire une douleur. Finalement, la largeur de la surface fixe et rigide de la thermode devant être en contact avec la peau limite parfois son utilisation.

Dans l’objectif de déterminer les effets de l’anticipation d’une douleur spécifiquement associée à un mouvement, l’utilisation d’un laser Nd :Yap est donc apparue comme étant la plus judicieuse, grâce à la possibilité de pouvoir appliquer une stimulation nociceptive brève, au sein de l’environnement du KINARM à un moment et endroit d’intérêt précis, en l’occurrence lors de l’exécution d’un mouvement, au niveau de l’épicondyle et sans l’activation concomitante des mécanorécepteurs (voir Figure 2.2).

Figure 2.2 : Photo illustrant le montage expérimental utilisé qui combine la stimulation magnétique transcrânienne, l’exosquelette couplé à un environnement virtuel 2D et le laser pour induire les stimulations nociceptives.

La flèche rouge indique la zone cutanée où les stimulations laser étaient appliquées par l’expérimentateur, correspondant à l’épicondyle droit du participant.

2.3.3. Principes technique et physiologique du laser

La caractéristique inhérente à tout laser est la capacité d’émettre une énergie qui est confinée à un faisceau étroit d’ondes électromagnétiques monochromatiques (d’une seule longueur d’onde) de très haute intensité, en concordance de phase et donc approximativement parallèles. Les impulsions laser permettent d’activer de manière sélective les terminaisons nerveuses libres des fibres nociceptives et thermosensibles de type Aδ et C au niveau des couches superficielles de la peau (Bromm et al., 1984; Plaghki & Mouraux, 2003). Corroborant ce résultat, des études ont rapporté que les stimulations nociceptives induites avec un laser induisaient généralement deux sensations : une première douleur aiguë, « piquante » qui apparaît rapidement (~400 ms) après l’application de la stimulation, suivie d’une seconde douleur, plus diffuse, « brûlante » qui apparaît plus tardivement (~1 à 2 s) après l’application de la stimulation (Campbell & LaMotte, 1983; Schepers & Ringkamp, 2010). Ainsi, la première sensation de douleur serait induite par la stimulation des fibres Aδ à vitesse de conduction rapide alors que la seconde sensation de

douleur serait induite par la stimulation des fibres C à vitesse de conduction plus lente (Campbell & LaMotte, 1983; Bromm & Treede, 1991; Schepers & Ringkamp, 2010). La haute densité d’énergie du laser permet de produire une augmentation extrêmement rapide de la température de la peau, activant les nocicepteurs de manière synchrone. Cela rend possible l’enregistrement EEG de potentiels évoqués spécifiques qui reflètent l’activation séquentielle d’un réseau cortical particulier induit par la stimulation laser, à travers l’occurrence de trois potentiels évoqués spécifiques : la N100, la N200 et la P200 (Bromm & Treede, 1991; Garcia-Larrea et al., 2003; Plaghki & Mouraux, 2005; Legrain et al., 2011) (voir Figure 2.3).

Figure 2.3 : Potentiels corticaux nociceptifs évoqués par une stimulation laser.

Reproduit de Legrain et al., 2011. La stimulation laser est appliquée sur le dos de la main gauche et l’enregistrement électroencéphalographique s’effectue au niveau de Cz (électrode et tracé en rouge) et de l’électrode temporo-pariétale controlatérale à la stimulation (électrode et tracé en bleu). Sur l’axe des abscisses, t0 correspond au début de la stimulation laser. En bleu, un premier potentiel évoqué négatif (N1) émerge à partir de 150 ms au niveau temporo-pariétal, suivi d’un second potentiel évoqué négatif (N2) aux alentours de 230 ms au niveau du vertex. Enfin, un troisième potentiel évoqué positif (P2, en vert) est observé vers 360 ms après la stimulation également au niveau du vertex. La partie inférieure droite de la figure illustre la localisation des différentes sources qui contribuent aux potentiels évoqués mesurés. La plupart des études ont estimé que les cortex somatosensoriels primaire et secondaire (SI et SII), l’insula et le cortex cingulaire antérieur (ACC) étaient impliqués dans la génération des potentiels évoqués par stimulation laser.

2.3.4. Utilisation du laser en situation expérimentale

2.3.4.1. Définition des paramètres (taille du faisceau et intensité)

En situation expérimentale, il est indispensable de définir au préalable plusieurs paramètres qui dépendent de l’appareil utilisé. Le laser disponible au laboratoire à une longueur d’onde de 1340 nm et son utilisation nécessite la définition de l’énergie de l’impulsion laser émise (entre 0,5 et 15 J avec un pas de 0,25 J), de la durée de l’impulsion émise (de 1 à 20 ms avec un pas de 1 ms), et de la surface du faisceau (jusqu’à 15 mm, réglable manuellement). La marge entre l’énergie nécessaire pour évoquer une douleur et l’énergie qui risque d’induire une blessure est fine et implique que les paramètres soient déterminés avec précaution et testés préalablement (Madden et al., 2016). Dans le cadre de l’étude en cours, il s’agissait d’induire un niveau de douleur suffisant pour pouvoir induire une anticipation de la douleur suite à un apprentissage, tout en respectant des paramètres de stimulation sécuritaires. En se basant sur de précédentes études, la durée de l’impulsion émise a été fixée à 6 ms et la taille du faisceau à 5 mm (Iannetti et al., 2008; Hüllemann et al., 2013; Moayedi et al., 2015). Afin de générer une sensation de douleur similaire entre les participants, une étape de calibration était réalisée en début d’expérimentation. Des stimuli laser étaient appliqués au niveau de l’épicondyle avec une augmentation progressive de l’énergie délivrée. L’énergie la plus faible capable d’induire un score de douleur supérieur ou égal à 3/10 était sélectionnée pour le reste de l’expérimentation.

2.3.4.2. Éviter les phénomènes d’habituation et de sensibilisation

L’application répétée de stimuli nociceptifs avec un laser peut conduire à différents phénomènes tels que l’habituation et la sensibilisation des récepteurs. En contexte de douleur, l’habituation est définie comme étant une diminution des sensations douloureuses et des réponses cérébrales associées et qui résultent de la répétition des stimulations (plus que de leur intensité) sans impliquer une adaptation ou une fatigue sensorielle (Rankin et al., 2010), alors que la sensibilisation est définie comme une réactivité augmentée des nocicepteurs périphériques qui entraîne une diminution de leur seuil d’excitation. Pour prévenir ces deux phénomènes, l’expérimentateur déplace le faisceau du laser à la suite de chaque stimulation sur une grille de points préalablement tracée. De plus, un minimum de 15 s est laissé entre chacun des essais.

Chapitre 3. Stimulating the healthy brain to investigate