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Les réflexions en amont du développement de propositions d’enseignementd’enseignement

L’introduction des nanosciences et des nanotechnologies dans l’enseignement

2.2 Les réflexions en amont du développement de propositions d’enseignementd’enseignement

2.2 Les réflexions en amont du développement de propositions

d’enseignement

2.2.1 Les motifs invoqués pour justifier la mise en place de ces enseigne-ments

Beaucoup des auteurs d’articles de notre corpus reviennent sur les raisons qui, selon eux, motivent l’introduction des nanosciences et les nanotechnologies dans l’enseignement secon-daire. Les justifications invoquées peuvent être scindées en deux grandes catégories d’argu-ments.

De nombreux auteurs (voir par exemple : Blonder, 2010; Schanket al., 2007; Bryanet al., 2007; Tomasik et al., 2009; Healy, 2009; Stevens et al., 2009b; Lan, 2012; Daly et Bryan, 2007; Hutchinson et al., 2009; Delgadoet al., 2007) font référence aux discours sur la néces-sité économique de former les nanoscientifiques dont nos sociétés vont avoir besoin incessam-ment sous peu. Ils mettent en avant qu’il en va de la compétitivité d’un pays de former des scientifiques dans le domaine des nanosciences et des nanotechnologies. Ces arguments sont fréquemment appuyés par des références aux estimations du nombre de créations d’emplois d’ici 2015 ou aux écrits de Mihail Roco et pas seulement dans des recherches États-Uniennes. À titre d’exemple, dans un article de Lan (2012) qui s’intéresse à l’enseignement nanosciences et des nanotechnologies à Taïwan, on trouve de multiples références à différents textes de Roco pour justifier l’importance de promouvoir l’enseignement de ces nouveaux contenus à différents niveaux du système éducatif. Des efforts sont d’ailleurs déployés non seulement pour former les enseignants, mais aussi pour leur faire développer une attitude positive à l’égard des nanotechnologies (Lan, 2012).

Ce type d’arguments d’ordre économique pour promouvoir l’intégration des nanotechnolo-gies dans les curricula sont parfois évoqués seuls. Toutefois, il arrive qu’ils soient accompagnés du souci de faire acquérir à tous, indépendamment de leur carrière future, quelques notions sur les nanosciences et les nanotechnologies puisqu’il est dit que ces développements devraient impacter l’ensemble de nos sociétés. La seconde catégorie d’arguments mis en avant dans les textes de notre corpus pour motiver l’intérêt de l’introduction des “nanos” dans l’enseigne-ment secondaire, reprend ainsi l’idée que la société dans son ensemble est concernée par les nanosciences et les nanotechnologies (par exemple : Hutchinson et al., 2009; Schank et al., 2007; Stevens et al., 2009b,a; Jones et al., 2007a). Il s’agit alors, pour certains auteurs, de développer des enseignements qui contribueront à permettre aux futurs citoyens de prendre des décisions informées dans un monde pénétré de technologies (Delgado et al., 2007; Ste-venset al., 2009b; Joneset al., 2007a) ou de développer une “citoyenneté active” (Simonneaux

et al., 2012). Certains articles reprennent aussi le concept de “Scientific Literacy”(Schanket al., 2007; Kähkönen et al., 2011; Stevenset al., 2007a; Delgadoet al., 2007; Stevenset al., 2009b) ou de “literacy about technoscience” (Simonneaux et al., 2012), voire même introduisent la notion de “Nanoscale Science and Engineering literacy” (Stevens et al., 2009a) ou de “na-noliteracy”(Blonder, 2010) sans toutefois vraiment discuter la signification de ces nouvelles expressions7.

En outre, puisque selon ces arguments, tous les étudiants sont concernés, certains plaident

6. La présentation des travaux correspondant à cette dernière catégorie sera un peu plus détaillée que celle des autres recherches, afin de mieux éclairer ensuite la manière dont nous avons problématisé notre travail.

7. Pour une analyse critique de la multiplicité de définition de l’expression “scientific literacy” voir Albe (2011); Roberts (2007); Laugksch (2000).

en faveur d’une conception novatrice de ces enseignements afin qu’ils réussissent même dans les écoles où les méthodes traditionnelles ont échoué (Stevens et al., 2009b). Cela implique d’adapter les activités au public concerné et de sélectionner avec soin des contenus adaptés :

“Knowing, however, that not all students will choose to further their studies of nanoscience past high school, what are the ideas that we want students to leave with ?” (Schanket al., 2007, p. 284)

Certains auteurs se sont d’ailleurs emparés de cette question et ont proposé une première réponse dans un livre intitulé “The Big Ideas of Nanoscale Science and Engineering” (Stevens

et al., 2009b) destiné aux enseignants du secondaire.

2.2.2 Big Ideas of Nanoscale Science and Engineering : Une réflexion sur les concepts à enseigner et la progression à suivre tout au long du secondaire

Pour favoriser l’introduction des nanosciences et des nanotechnologies dans les curricula états-uniens, la NSF a financé une série d’ateliers entre 2006 et 2007. L’objectif poursuivi était triple :

“(1) aboutir à un consensus sur des “idées clés” de nanoscience et de nano-ingénierie ;

(2) trouver des solutions pour relever les défis posés par l’introduction en classe de la nanoscience et de la nanoingénierie émergentes ;

(3) créer un document faisant consensus (ce livre) qui pourrait être utilisé par les éducateurs, les chercheurs et les personnes développant les curricula.” (Stevens

et al., 2009b, p. 3)8

Le premier atelier s’est déroulé en 2006 et a réuni des scientifiques, des chercheurs en éducation aux sciences, des représentants de la NSF et de l’American Association for the Ad-vancement of Science (la liste de ces acteurs est présentée sur la figure 2.1). Leur objectif était d’identifier les “idées clés de nanoscience et de nano-ingénierie” pour les grade 7 à 129

, l’ex-pression “Big Ideas” désignant des concepts fondamentaux permettant aux élèves d’expliquer des phénomènes au sein des disciplines et par delà les frontières disciplinaires10.

Suite à ce premier atelier, une autre session de travail a été organisée en août 2006 pour identifier les idées clés des nanosciences et des nanotechnologies appropriées au niveau

uni-8. Notre traduction.

9. Les élèves de grade 7 ont environ 12-13 ans. Quant à ceux de grade 12, ils sont âgés d’à peu près 17-18 ans.

10. Lors de ce premier atelier, les participants ont procédé en quatre étapes. Ils ont identifié et articulé les différents concepts et principes clés de nanoscience et de nano-ingénierie, tout en justifiant pourquoi ils avaient été reconnus comme tels. Six “idées-clés” ont ainsi émergé :

– la taille et l’échelle,

– les propriétés de la matière, – la nature particulaire de la matière, – les outils et la modélisation,

– les forces dominantes et l’auto-assemblage – l’aspect technologie et société.

Chaque participant a ensuite explicité et clarifié la signification de chacune de ces idées-clés.

Des “learning goals” ont été associés à chacun des niveaux du 7ème au 12ème grade, pour chacune de ces idées clés. Ces objectifs d’apprentissage devaient par ailleurs explicitement favoriser les connexions interdisci-plinaires. Leur développement s’est déroulé en deux temps :

– identifier les connaissances prérequises pour les atteindre

– puis spécifier les savoirs à acquérir et la manière dont les élèves devraient être capables d’utiliser leurs apprentissages.

Finalement, les participants ont procédé à un examen des “national standards” ainsi que des “benchmarks” pour identifier quels concepts de nanoscience et de nano-ingénierie y figuraient. Ils se sont alors efforcés de pointer les insuffisances de ces documents pour l’enseignement des nanosciences et des nanotechnologies.

Figure 2.1 – Acteurs participants au premier atelier “Nanoscience Learning Goal Workshop” (En bleu figurent ceux qui effectuent leur recherche en éducation aux sciences et en gris les représentants de la NSF).

versitaire, du grade 13 au grade 1611. Le produit de ces deux ateliers a été ensuite examiné et discuté à la rencontre du NCLT en novembre 2006. Les participants ont alors harmonisé ces deux ensembles d’idées-clés.

Une synthèse a ensuite été publiée par la National Science Teacher Association sous forme d’un livre intitulé “The Big Ideas of Nanoscale Science and Engineering” (Stevens et al., 2009b). Partant de deux postulats, celui de l’échec présumé du système scolaire américain et celui de l’urgence d’introduire les nanos dans le secondaire pour préparer les élèves et étudiants à vivre dans une société pénétrée de nanotechnologies, ce document résume les réponses formulées au travers de ces ateliers aux questions :

Quels sont les objets d’étude les plus importants ? Lesquels peuvent être intégrés dans le curriculum ?

À quel niveau est-ce approprié d’introduire tel ou tel concept ?

Comment construire des séquences pédagogiques telles que l’enchaînement de l’introduc-tion des concepts soit logique ?

Comment ces idées sont-elles connectées à celles déjà présentes dans le curriculum tradi-tionnel ?

Quelles idées importantes de nanosciences et de nano-ingénierie peuvent être considérées comme prioritaires sur certains concepts “plus traditionnels” de science et pourquoi ? (Stevens

et al., 2009b)

Finalement, pour l’enseignement secondaire, les participants se sont entendus sur un en-semble de neufs idées-clés. Il s’agit de :

1. la taille et les échelles (Size and Scale)

2. la structure de la matière (Structure of Matter) 3. les forces et interactions (Forces and Interactions) 4. les effets quantiques (Quantum Effects)

5. les propriétés dépendantes de la taille (Size-Dependent Properties) 6. l’auto-assemblage (Self-Assembly)

7. les outils et l’instrumentation (Tools and Instrumentation) 8. les modèles et la simulation (Models and Simulation)

9. l’aspect science, technologie et société (Science, Technology, and Society).

Ces idées clés et leurs objectifs d’apprentissage correspondants semblent avoir reçu un cer-tain écho dans la communauté des chercheurs en didactique, en particulier aux USA. Ainsi, plusieurs articles (Par exemple : Schank et al., 2007; Stevens et al., 2009a; Daly et Bryan, 2010; Choi et al., 2011; Taylor et Jones, 2009; Magana et al., 2012; Kähkönen et al., 2011) ou résumés d’interventions lors des conférences de la NARST en 2007, 2008 et 2009 y font référence.

2.2.3 Interdisciplinarité et prise en compte des contraintes du système éducatif

Au travers du processus de définition des idées-clés, les participants aux ateliers de la NSF ont prêté une attention particulière aux trois points suivants :

– Prendre en compte l’interdisciplinarité intrinsèque de la nanoscience et de la nano-ingénierie12;

– Tenir compte des contraintes propres au système éducatif états-unien et notamment des standards existants ;

11. Ce qui correspond aux quatre premières années d’enseignement universitaire. 12. Nous reprenons ici la terminologie employée par Stevenset al.(2009b)

– Rassembler une équipe interdisciplinaire de scientifiques et de chercheurs en éducation pour mettre en place des curricula permettant d’aborder de façon pertinente les nano-technologies dans l’enseignement secondaire, en tenant compte du niveau exigé dans ces classes, du matériel disponible, et sans omettre d’aspect scientifique majeur ;

Ces trois éléments se retrouvent dans d’autres textes que nous avons consultés.

L’interdisciplinarité des nanosciences et des nanotechnologies est ainsi mise en avant, tout comme l’importance de tenir compte des contraintes du système éducatif par exemple par Bryan et al. (2007). Ces auteurs étudient de plus un programme de formation d’enseignants pour lequel ils indiquent qu’il a été mis en place grâce au concours d’une équipe interdisci-plinaire de scientifiques, de chercheurs en éducation, de “spécialistes de l’évaluation” et d’un enseignant de lycée.

Ce souci de réunir une équipe “interdisciplinaire” pour concevoir des enseignements sur les “nanos” se retrouve aussi dans un article du Journal of Geoscience Education. 12 auteurs (Maddenet al., 2007) y présentent une expérience de développement d’un curriculum mis sur pied par des chercheurs des départements de Géosciences et de “Teaching and Learning” de l’université Virginia Tech ainsi que des enseignants. L’objectif de leur article est d’ailleurs pré-cisément de montrer que le partenariat “scientific/educator” a été essentiel pour la réalisation de leur programme.

L’importance du croisement des expertises est également soulignée par Sweeney (2009) dans le texte de présentation du Journal of Nano Education. Dans l’article de cinq pages qui sert d’introduction au premier numéro de cette revue, il souligne la volonté de ce journal de ce poser comme interdisciplinaire en publiant des articles d’auteurs

“with “technical laboratory research” and “education/pedagogy research” back-ground” (Sweeney, 2009, p. 2).

Enfin la prise en compte de l’interdisciplinarité et des contraintes du système éducatifs est aussi discutée par Schanket al.(2007). Ces auteurs vont au reste un cran plus loin que ce que l’on peut lire dans l’ouvrage présentant les idées-clés de nanoscience et de nano-ingénierie. Ils considèrent ainsi que les nanosciences13 peuvent être le catalyseur d’une vraie réforme renouvelant en profondeur le système d’enseignement des sciences, des mathématiques et des technologies, mis à mal par les scores obtenus par les élèves de high school états-uniens, dans l’évaluation TIMSS14. Pour enseigner et comprendre les nanosciences, il est en effet nécessaire selon ces auteurs, de promouvoir un enseignement réellement interdisciplinaire et de décloisonner les cours traditionnels de chaque discipline15

. Il leur semble aussi indispensable de bousculer des standards inadaptés qui englobent peu ou prou, certaines idées charnières de nanoscience.

Par conséquent, dans l’immédiat, Schank et al. (2007) avancent des suggestions pour permettre l’interdisciplinarité :

Because most science education programs do not have an interdisciplinary component, connexions between the disciplines need to be made explicit. These connexions could take on a variety of forms, including weaving of nanoscience concepts and applications into existing curricula, creating a capstone-type course in the senior year of high school, devoting time at the end of each year to making connexions between disciplines, and identifying opportunities for high school stu-dents to take enrichment courses at a nearby university if such courses are not offered at the high school. (Schank et al., 2007, p. 282)

13. La “nanoscale science” pour reprendre la terminologie qu’ils emploient. 14. Trends in International Mathematics and Science Studies

15. On peut noter ici certaines similitudes entre ce plaidoyer et celui de Mihail Roco dans l’article de Nature Biotechnology (Roco, 2003) que nous avons mentionné dans ce manuscrit, au chapitre précédent.

Ils proposent aussi de réunir des scientifiques, des enseignants et des décideurs, rejoignant en cela les auteurs préconisant la mise en place d’équipes “interdisciplinaires”.

Enfin, à plus long terme, ces auteurs plaident pour qu’ait lieu une restructuration complète de l’enseignement des sciences aux États-Unis.

2.2.4 Discussion

Finalement, plusieurs analogies peuvent être établies entre la manière dont sont pensés les développements des nanosciences et des nanotechnologies et la façon dont est envisagée leur introduction dans l’enseignement secondaire.

Ainsi, de la même manière que les programmes de recherche prônent une organisation particulière de l’activité scientifique au travers du développement des nanosciences et des na-notechnologies, certains discours en éducation appellent à réformer l’enseignement des sciences au travers de la prise en charge des nanosciences dans le secondaire.

On peut par ailleurs dresser certains parallèles entre le contenu des discours portés sur le développements des “nanos” en général et ceux qu’on peut rencontrer sur leur introduction dans le monde scolaire. L’accent mis sur l’importance de l’interdisciplinarité pour dévelop-per les nanosciences et les nanotechnologies se retrouve au moment où il est question de les introduire dans l’enseignement. L’acuité de la compétition économique justifiant la mise en route de programmes de recherche sur les nanotechnologies est parfois invoqué pour justifier l’introduction de ces nouveaux contenus dans les curricula. Ou encore, le potentiel de trans-formation de nos sociétés justifiant l’intégration du public et des sciences humaines et sociales aux programmes nanotechnologiques est aussi mis en avant pour souligner l’importance de la prise en charge des “nanos” par l’école.

Enfin, alors que des instruments tels que les feuilles de route permettent “d’opérationnali-ser” des visions du futur en structurant l’organisation des recherches sur les nanotechnologies, les “idées-clés de la nanoscience et de la nano-ingénierie” nous semblent aussi assimilables à un outil contribuant à opérationnaliser l’introduction des nanosciences et des nanotechnologies le monde scolaire.

2.3 Des travaux sur les concepts pour développer avec plus de