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Positionnement personnel et interrogations dans une pers- pers-pective éducativepers-pective éducative

Analyse des controverses

4.4 Positionnement personnel et interrogations dans une pers- pers-pective éducativepers-pective éducative

4.4.1 Les nanotechnologies : un ensemble de pratiques et d’objets hétéro-clites qui trouvent leur unité au travers d’un projet politique

Si comme nous l’avons mentionné au paragraphe 4.2.1, nous avons réalisé cette analyse des controverses en nous efforçant d’être le “plus symétrique possible” dans notre examen des prises de positions et des arguments des acteurs, nous ne parlons pas pour autant de nulle part. Il est ainsi indispensable d’éclaircir ce que nous entendons personnellement par nanosciences et nanotechnologies, ne serait-ce que parce que la vision que nous en avons pèse sur les orientations éducatives que nous avons proposées dans le reste de notre recherche.

Pour nous, les nanosciences et les nanotechnologies sont un ensemble de pratiques et d’ob-jets scientifiques et technologiques hétéroclites qui, bien que fédérés par une échelle de taille, n’existent d’abord, comme le souligne Laurent (2010), qu’au travers de politiques scientifiques et technologiques et donc de projets de gouvernance de la recherche et de l’innovation.

Elles surgissent ainsi de la conjonction entre - une volonté politique,

- l’existence de nouveaux instruments permettant d’observer et de manipuler la matière aux petites échelles

- et l’intéressement d’une grande quantité d’acteurs : scientifiques, industriels, consomma-teurs...

Les nanosciences et les nanotechnologies surgissent par ailleurs à un moment donné, dans une société mondialisée marquée par une compétitivité exacerbée entre les pays, compétition aussi bien scientifique qu’économique. Ce climat de concurrence trouve un écho et se ren-force au travers des discours qui clament l’impérieuse nécessité de prendre part à la course à l’innovation et l’inéluctabilité de ces développements.

Les nanosciences et les nanotechnologies surgissent enfin dans un contexte où l’activité scientifique et industrielle est marquée par les idéologies néo-libérales (Bensaude-Vincent, 2009; Pestre, 2003). La commission européenne promeut depuis les années 2000 le développe-ment d’une société et d’une économie de la connaissance. Des chercheurs s’interrogent sur le droit de propriété intellectuelle, puisqu’on dépose des brevets sur la matière inerte et le vivant (Azam, 2008; Bensaude-Vincent, 2009).

Ces éléments contribuent à façonner les nanosciences et les nanotechnologies. Le projet de leur développement se concrétise au travers

- du déblocage de fonds importants (National Nanotechnology Initiative, Plan NanoInnov pour ne citer que les programmes états-uniens et français),

- de la mise en place de réseaux (comme le C’Nano en France, la Fondation Nanosciences à Grenoble),

- de la mise en place d’outils de communications (sites Internet d’information du type

Nanowerk33, revues scientifiques comme Nature nanotechnology, de conférences scientifiques comme l’American Physical Society meeting “Trends in Nanoscience 2013” ou encore toutes celles répertoriées sur le sitenanoconferences34),

33. www.nanowerk.com 34. www.nanoconferences.com

- de l’obtention de résultats scientifiques et de la mise au point de nouveaux objets nano-fonctionnalisés,

- et des dépôts de brevet.

Et au fur à mesure de cette concrétisation, le développement des nanosciences et des nano-technologies contribue dans le même mouvement à modeler le social au travers d’un faisceau de normes, de lois, de la mobilisation de militants associatifs, de nouveaux choix politiques effectués par des gouvernements qui décident d’investir à leur tour dans les nanotechnologies. Nous estimons donc que les nanotechnologies relèvent d’un projet politique qui ne peut-être pensé en dehors de son contexte d’émergence. Et ce projet est un projet porteur d’une profonde recomposition du social. C’est la raison pour laquelle il nous semble primordial qu’il soit débattu, négocié, remodelable et qu’il ne soit pas posé d’entrée de jeu comme inéluctable. C’est aussi la raison pour laquelle nous pensons que l’éducation aux sciences doit permettre aux élèves de “s’initier à la politique des nanotechnologies” pour reprendre l’expression de Larochelle et Désautels (2006) qui proposent d’initier les élèves à “la politique des technos-ciences”.

Enfin, un autre trait caractéristique du programme des nanotechnologies est la prise en compte explicite d’une anticipation des réactions potentielles de la société à son développe-ment dans le processus de mise en œuvre de ce programme. En ce sens, nous adhérons à l’idée de “projet politique global” proposée par Laurent (2010). Comme cet auteur le dit lui-même, le programme de développement des nanotechnologies mobilise les sciences humaines et so-ciales et embarque avec lui l’idée de participation du public, public parfois subversif qui, dans certains cas comme celui de PMO, refuse de se plier à l’exercice “participatif”. Cet enrôle-ment de la société dans les politiques des nanotechnologies fait d’ailleurs partie intégrante de la controverse. Les acteurs ne s’interrogent pas seulement sur les productions des nano-technologies : certains questionnent l’appropriation par les citoyens des orientations sciences et des techniques ; certains critiquent les procédures de débats mises sur pied ; certains enfin remettent en cause le modèle économique et social qui contribue à modeler le programme de développement des nanotechologies.

Cette manière d’envisager ce que sont les nanosciences et les nanotechnologies n’est pas sans conséquence sur les enjeux éducatifs que nous assignons à leur introduction dans l’ensei-gnement secondaire.

4.4.2 Interrogations dans une perspective éducative

Sur le plan éducatif, le contenu de notre analyse des controverses effectuée à partir des cahiers d’acteurs de la CNDP et d’un des nombreux textes produits par PMO pose au moins une question.

Pour aborder les interrogations soulevées par les nanosciences et les nanotechnologies en classe, peut-on examiner une seule des dimensions de la controverse de manière autonome, en la coupant du reste des questionnements fédérés par le préfixe nano ?

La réponse que nous apportons à cette question après cette étape d’analyse et d’éclair-cissement de notre positionnement personnel est négative. En tronquant artificiellement les débats, on perdrait, en isolant certains objets ou certaines pratiques, la notion de programme politique qui nous semble capitale pour comprendre ce que sont les nanosciences et les nano-technologies. De plus, selon nous, une éducation aux sciences pour la citoyenneté passe par l’appréhension des controverses telles qu’elles existent dans la sphère publique, dans toute leur complexité. Il nous semble ainsi essentiel de retenir une approche globale, sans laquelle la compréhension des raisons pour lesquelles les “nanos” provoquent des débats en société (et parfois des oppositions vives), risque d’échapper aux élèves.

Ce choix éducatif soulève par ailleurs une difficulté. Comment aborder l’ensemble des questionnements soulevés par les développements des nanosciences et des nanotechnologies sans en donner un traitement orienté ?

La réponse que nous proposons consiste à présenter aux élèves un éventail de prises de positions et d’arguments respectant la diversité des thèses soutenues par les acteurs prenant part à la controverse. Ce respect de la multiplicité des points de vue s’appuie et est rendu possible par notre analyse des controverses préalable à l’élaboration d’outils pédagogiques.

En outre, ce choix de conserver la diversité des prises de position sur les nanotechno-logies a une conséquence sur la manière dont nous avons introduit les nanosciences et les nanotechnologies en classe. Nous avons choisi d’introduire les controverses soulevées par les nanosciences et les nanotechnologies à l’école telles qu’elles existent en société, sans en pro-poser une reconstruction simplificatrice qui occulterait certaines thématiques discutées ou écarterait arbitrairement certaines prises de position.

Finalement, pour tenir ces deux exigences,

– celle d’aborder les questionnements soulevés par les nanosciences et les nanotechnologies sans en proposer une vision idéologiquement orientée,

– et celle de tenir compte de la variété des enjeux accompagnant les développements des nanotechnologies,

une solution peut être d’engager les élèves dans un travail d’exploration de ces controverses. C’est ainsi que nous avons entrepris d’échafauder une séquence pédagogique sur les nano-technologies avec l’ambition qu’elle permette à des élèves de lycée de comprendre les contro-verses soulevées par les “nanos” et de se forger un premier avis informé sur ces questions.