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1. La LCSFV : son histoire, sa philosophie

1.1. La réflexion québécoise sur l’AMM avant l’adoption de la LCSFV

Au Québec, c’est à l’occasion de la conférence de presse organisée par le CMQ, le 3 novembre 2009, que le débat public sur les demandes d’euthanasie a été relancé. Lors de cette conférence de presse, le CMQ a fait connaître sa position en suivi de la réunion ordinaire de son conseil d’administration, où le document proposé par le Groupe de travail en éthique clinique du CMQ et intitulé Pour des soins appropriés au début, tout au long et en fin de vie (CMQ, 2008) avait été adopté. Dans ce document, par rapport à l’article 58 du Code de déontologie des médecins (Québec, 2002), le Groupe de travail affirmait que, dans certaines circonstances exceptionnelles, l’euthanasie pouvait être considérée comme un soin approprié. L’article 58 du Code de déontologie des médecins précise en effet que « [l]e médecin doit agir de telle sorte que le décès d’un patient qui lui paraît inévitable survienne dans la dignité. Il doit assurer à ce patient le soutien et le soulagement appropriés ». La même année, est publié le document complémentaire intitulé Le médecin, les soins appropriés et le débat sur l’euthanasie (CMQ, 2009), qui était centré sur la question des soins de fin de vie et qui soulignait l’importance d’aborder, au Québec, la question de l’euthanasie. Plusieurs organismes ont réagi à ce document. Le 4 décembre 2009, l’Assemblée nationale du Québec a alors décidé de créer la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité.

La Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité a été instituée par le gouvernement du Québec, dont le champ de compétence se limite, en matière de soins de fin de vie, aux domaines de la santé et des services sociaux. Pendant la période où elle a tenu ses travaux, entre 2010 et 2011, la Commission spéciale a entendu 32 spécialistes et experts ainsi que 250 particuliers et représentants d’organismes et de groupes. La Commission a également reçu 273 mémoires. C’est le 22 mars 2012 qu’elle a déposé son rapport, intitulé « Mourir dans la dignité » (2012). Ce rapport a été signé par 9 députés et fait état de 24 recommandations10. Parmi ces recommandations, plusieurs portent sur la reconnaissance des directives anticipées et l’exercice antérieur

10 Les neuf signataires sont Maryse Gaudreault, Véronique Hivon, Noëlla Champagne, Francine Charbonneau, Benoit Charette, Germain Chevarie, Amir Khadir, Pierre Reid et Monique Richard.

du consentement libre et éclairé, et sont toujours pertinentes au regard du mandat du Groupe d’experts.

Le 12 juin 2013, à la suite des recommandations formulées par la Commission spéciale et divers autres groupes de travail et d’experts mis sur pied entre 2010 et 2013, et grâce aux efforts de coopération exceptionnels déployés par les députés des différents partis siégeant à l’Assemblée nationale, le projet de loi no 52 sur les soins de fin de vie a été présenté à l’Assemblée nationale du Québec.

Dans la foulée du dépôt de ce projet de loi, le gouvernement du Québec a lancé des consultations publiques à travers la province de Québec afin de prendre le pouls de la population, des usagers du système de santé et de services sociaux ainsi que de divers groupes et associations issus de la société civile et du milieu communautaire. Il faudra attendre près d’une année de plus, soit le 22 mai 2014, pour que le projet de loi, après des modifications mineures résultant de compromis, soit à nouveau présenté à l’Assemblée nationale, pour finalement être adopté le 5 juin suivant et sanctionné cinq jours plus tard.

La LCSFV est finalement entrée en vigueur le 10 décembre 2015. Avec l’adoption de cette loi, « l’euthanasie » réinterprétée comme une « aide médicale à mourir » s’est inscrite dans des pratiques de soins de santé et de fin de vie (Marchand, 2017)11. Cela a permis au Québec de ne pas outrepasser ses compétences provinciales, en plus d’éviter le vocable « euthanasique », qui ne gagnait pas d’emblée la faveur de l’opinion publique.

L’article premier de la LCSFV se lit plus précisément comme suit :

La présente loi a pour but d’assurer aux personnes en fin de vie des soins respectueux de leur dignité et de leur autonomie.À cette fin, elle précise les droits de ces personnes de même que l’organisation et l’encadrement des soins de fin de vie de façon à ce que toute personne ait accès, tout au long du continuum de soins, à des soins de qualité adaptés à ses besoins, notamment pour prévenir et apaiser ses souffrances.

Les soins de fin de vie comprennent, selon la LCSFV, les soins palliatifs et l’AMM, des soins qui répondent à des besoins différents. La sédation palliative continue est un soin compris dans les soins palliatifs.

11 On doit aussi noter que, contrairement au Code criminel, qui réglemente l’euthanasie au fédéral, la LCSFV n’autorise pas le suicide assisté, mais seulement l’AMM.

La mise en place du régime des DMA découle de cette loi et reconnaît la primauté des volontés exprimées clairement et librement pour les soins souhaités, à l’exclusion, toutefois, de l’AMM.

L’adoption de la LCSFV, incluant l’AMM, a institué la CSFV, qui a pour mandat d’examiner toute question relative aux soins de fin de vie et de surveiller l’application des exigences particulières relatives à l’administration de l’AMM. La CSFV devait transmettre, selon l’article 75 de la LCSFV, un rapport sur la situation des soins de fin de vie au Québec après la troisième année de mise en vigueur de la Loi. Ainsi, le 3 avril 2019, la ministre de la Santé et des Services sociaux, madame Danielle McCann, a déposé à l’Assemblée nationale le premier rapport sur la situation des soins de fin de vie au Québec produit par la CSFV (CSFV, 2019).

Plusieurs questions ont été laissées en suspens depuis l’entrée en vigueur de la LCSFV et depuis l’application, au fédéral, des dispositions sur l'AMM prévues dans le Code criminel. Plus précisément, il s’agit des questions concernant l’accès à l’AMM aux mineurs matures et aux personnes ayant des troubles de santé mentale qui affectent leur aptitude au consentement, ainsi que des questions sur l’acceptabilité morale et la mise en pratique des DMA12. À l’automne 2017, le ministre Barrette a formé le Groupe d’experts sur la question de l’inaptitude et l’aide médicale à mourir pour réfléchir aux enjeux de l’élargissement de l’AMM aux personnes en situation d’inaptitude à consentir à ce soin et formuler au gouvernement des recommandations en la matière. Le présent rapport est le fruit des réflexions du Groupe d’experts.

12 Au Canada, on avait demandé que, dans les 180 jours suivant la date de sanction royale de la Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir) (en juin 2016), le ministre de la Justice et le ministre de la Santé « lancent […] un ou des examens indépendants des questions portant sur les demandes d’aide médicale à mourir faites par les mineurs matures, les demandes anticipées et les demandes où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée » et que soient déposés dans les deux ans un ou des rapports indépendants qui comporteraient des analyses et réflexions sur ces trois questions.

Le Conseil des académies canadiennes a ainsi déposé en décembre 2018 ces trois rapports (L’état des connaissances sur l’aide médicale à mourir pour les mineurs matures, L’état des connaissances sur les demandes anticipées d’aide médicale à mourir et L’état des connaissances sur l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué).

1.2. Les soins compris dans la LCSFV