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La « réception » de politiques importées : les limites de la notion de « modèle » dans les policy transfer

L’ELABORATION D’UNE POLITIQUE PUBLIQUE

C. La « réception » de politiques importées : les limites de la notion de « modèle » dans les policy transfer

Un autre point qu’il est important de questionner est celui de la « réception » des politiques publiques issues de policy transfers. Les transformations de l’environnement qui « reçoit » une politique publique, les effets en matière de complexification de ce contexte d’accueil, l’impact des « greffes » dans la durée, notamment en matière de choix de réponses ou de modalités d’analyse des problèmes d’action publique qui se posent, sont quelques-uns des sujets qu’abordent les PTS. Dans ces recherches, il apparait que les résultats des transferts dépendent de nombreux facteurs et en particulier de la nature des mécanismes ou instruments qui sont mobilisés pour effectuer le transfert ou la question déjà évoquée des niveaux de transfert, en particulier le caractère contraint ou volontaire de l’importation, par exemple (Delpeuch, 2009).

Pourtant, l’analyse des mécanismes de transfert ne permet pas d’anticiper l’impact possible sur l’environnement de réception, la diversité de ses effets « à l’arrivée » et les résultats attendus d’un point de vue institutionnel et social, dans les cas d’un processus d’import en train de se faire. Un tel exercice prédictif pourrait éventuellement être envisagé avec des modèles qui seraient en quelque sorte « prêts au transfert » (et à l’emploi) que les candidats à l’import choisiraient et appliquerait. Or les conclusions des nombreux travaux empiriques que constitue le corpus des PTS montrent, au contraire, d’abord des transformations sensibles du « modèle » utilisé dans le transfert dans son implémentation. Par ailleurs, même si les dispositifs ou instruments objet de transfert n’étaient pas condamnés à être « dénaturés » ou

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« altérés » au cours du processus de transfert, on observe que les cadres et les modalités de l’action publique du contexte de réception déterminent pour beaucoup l’ampleur de l’impact de l’assimilation des nouveaux modes d’intervention qu’apporte le policy transfer (Bonnal et alt., 2016).

Un certain nombre d’études, notamment celles qui portent sur l’européisation des politiques publiques dans les pays de l’Union Européenne20, privilégient, en dehors du concept

d’apprentissage précédemment évoqué, des notions telles que « l’hybridation », déjà recensée par Rose, ou la « convergence » qui rendent justement compte du fait qu’à la réception, la relation au modèle se construit par des processus souples d’adaptation et de mixage et pas du tout de reproduction à l’identique. Dans les études de cas européens où la circulation des politiques publiques est orchestrée par des institutions à vocation intégratrice, en l’occurrence celles de l’UE, et médiatisée parfois par des compensations financières conditionnées tels que le système des fonds, programmes et aides économiques communautaires servies aux pays membres, et où ont lieu les transferts censés être les « plus normés », se posent de toute façon de manière évidente des questions sur la contrainte-volonté de l’importation pour les acteurs de la réception, ou sur la conformité-dissemblance des politiques appliquées au modèle importé.

L’autre point soumis à controverse quand on se penche sur la question de la réception des politiques objet de transfert, est la tendance des PTS à privilégier une explication exogène du changement politique et social. Au fond, avec l’approche des PTS, on peut avoir tendance à interpréter les processus de circulation des politiques publiques comme ayant pour objectif général (ou celui qui prévaut dans la grande majorité des cas), la transposition de modèles qui chercheraient in fine l’homogénéisation des référentiels de l’action public (Delpeuch 2008). Or, il est aisé de constater qu’en dehors des processus d’européisation, peu de policy transfer sont inscrits dans des dynamiques de régionalisation ou de construction d’institutions supranationales, et que pour les acteurs protagonistes le résultat attendu de l’implémentation d’une politique publique importée n’est pas l’adéquation d’une certaine pratique institutionnelle localisée à un référentiel normé. Comme on l’a indiqué, de nombreux exemples montrent que le processus de transfert se lit de prime abord à l’aune de la résolution d’un « problème politique » posé préalablement en local dans l’environnement récepteur.

20 Bomberg, Peterson (2000) ; Saurugger, Surel (2006) ; Bulmer et alt. (2007) ; Chevallier (2014) ; Delpeuch,

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En même temps, la définition a priori d’un objectif « externe » (la construction européenne, par exemple) ou « interne » (l’optimisation du financement du développement local ou la modernisation des institutions juridiques ou du système éducatif d’un pays, par exemple), ne semble pas marquer de manière déterminante la nature du processus de transfert. Autrement dit, la généalogie d’un policy transfer, et en particulier la définition des objectifs ou des résultats attendus par le transfert tels que le posent Dolowitz et Marsh (2000), se présente souvent comme un compromis entre ce que les acteurs qui participent au transfert « veulent » et ce qu’ils « doivent » faire, la « volonté » et le « devoir » pouvant être alternativement du côté de la conformité au modèle ou des contraintes qu’impose le contexte de réception. On pourrait dire que pour les acteurs engagés dans une démarche concrète de changement politique par

policy transfer, le « désir » de transfert ou mise en circulation d’une politique publique, se

trouve finalement à la croisée de logiques exogènes et endogènes qu’il convient de mettre en évidence, pour chaque cas, avec toutes leurs contradictions, complexités et transversalités.

La question de la réception dans les policy transfer révèle surtout, selon nous, le caractère équivoque de la notion de « modèle » : dans les situations concrètes, les acteurs aux prises avec « l’importation » tout comme ceux en situation « d’exportateurs », mettent en œuvre la transplantation d’une politique publique dans un laborieux process de traduction, d’interprétation, d’emprunt sélectif ou d’adaptation, et cela quel que soit « l’objet qui circule », dispositifs juridiques et réglementaires, principes, méthodes ou savoir-faire au service d’un processus d’apprentissage institutionnel (Chevallier, 2014) ou si on veut, en empruntant les catégories de la typologie de Bonnal et alt (2016) qu’il s’agisse de hard, middle ou soft transferts. Les effets induits par le processus de circulation des idées ou des politiques sur l’objet même du transfert et sur l’environnement de réception, conduisent donc à problématiser la notion de « modèle » qui est pourtant aussi essentielle que celle de « transfert » dans les PTS. On le voit lorsqu’on observe que le schéma du policy transfer construit une représentation de la circulation des politiques publiques qui renvoie à une forme de linéarité des rapports sociaux ou politiques, assimilable au schéma canonique de la communication mis en évidence par Abraham Moles en 1986. Il est frappant de voir que le psycho-sociologue français définissait la communication dans des termes très proches de ceux employés par Dolowitz & Marsh en 1996 à propos des policy transfer :

« (La communication est) l’action de faire participer un organisme ou un système, situé

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ou système, situé en un autre lieu et à une autre époque, en utilisant les éléments de connaissance qu’ils ont en commun » (Moles, 1986, p.15).

Le policy transfer décrit un process de diffusion qui fait circuler un objet (en l’occurrence des politiques publiques, des arrangements, des institutions, des idées) d’un point à un autre, la particularité étant que ce processus est posé comme un transfert, c’est-à-dire la transmission d’un « modèle » qui aboutit à un objet politique autre, transformé à-et-par la réception dans un nouvel environnement d’assimilation. On doit donc se saisir des acquis des sciences de l’information et de la communication, pour analyser des situations de policy transfer en action et suivre les transformations de l’objet pris comme modèle, en gardant en vigilance des questions telles que celles des codes partagés entre les acteurs engagés dans la diffusion d’une politique21, la problématique de la « fidélité » (les notions de feed-back et de « bruits ») dans les

échanges des contenus qui circulent dans les processus de policy transfer, et les notions de « flux » et de « cycle » (Castells, 1998).

La dimension communicationnelle des processus de circulation des idées et des politiques publiques nous semble négligée dans les PTS tout comme l’est la dimension spatiale.

D. La mobilité des politiques publiques : une approche critique des policy transfer