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La notion de « transfert » : variance dans la circulation des politiques publiques et des idées

L’ELABORATION D’UNE POLITIQUE PUBLIQUE

B. La notion de « transfert » : variance dans la circulation des politiques publiques et des idées

La notion de transfert est bien sûr centrale dans les PTS mais ses contours sont difficiles à délimiter.

Pour commencer, dans l’introduction du célèbre article de 1996, Dolowitz & Marsh prennent la précaution de distinguer le « transfert » de « l’apprentissage » (lesson drawing)19, et

de « l’imitation » (emulation : « adoption, with adjustments for different circumstances, of a

program already in effect in another jurisdiction », Newmark, 2002). Mais la littérature

scientifique présente de multiples tentatives de catégorisation ou de problématisation des questions que pose la circulation des politiques publiques qui s’emploient, au contraire, à montrer la proximité entre la notion de transfert et un certain nombre de termes analogues.

Par exemple, Richard Rose (1991) prenait en compte les écarts entre le modèle d’origine et l’application visée par le processus de transfert et en ressortait une typologie établissant un classement en cinq catégories de transferts par ordre décroissant de conformité avec l’original qui incorpore les notions que Dolowitz et Marsh cherchaient initialement à différentier :

- Le niveau de plus grande proximité est la « copie », adoption plus ou moins intacte d’un programme déjà appliqué dans une autre juridiction ;

- Le deuxième, « l’imitation », adoption avec des ajustements circonstanciels d’un programme déjà appliqué dans une autre juridiction ;

- Le troisième, « l’hybridation », combinaison d’éléments de programmes de plusieurs endroits ;

- Le quatrième, la « synthèse », combinaison d’éléments communs à plusieurs programmes déjà appliqués sur trois endroits ou plus ;

- Le cinquième, le plus éloigné de l’original étant « l’inspiration », programmes exogènes -ou venus d’ailleurs- qui sont utilisés comme stimulation pour le développement d’un nouveau programme sans équivalent ailleurs.

Dolowitz et Marsh eux-mêmes établissent en 2000, un classement des niveaux de transfert en utilisant comme critère de classification l’intensité de l’imposition ou de la contrainte exercée sur l’environnement de réception. Cette approche conduit en pratique à une

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typologie qui abandonne la stricte différentiation entre « transfert » et « apprentissage » pour poser l’existence d’un continuum de situations qui oscillent entre l’apprentissage volontaire et la transposition contrainte, dans le schéma linéaire ci-après.

Source : Dolowitz & Marsh, 2000

Les différentes tentatives de catégorisation des policy transfer recensées par Delpeuch (2008, p. 27 à 33) prennent en compte d’autres critères de différentiation :

- On peut s’intéresser à la nature des entités ou objets en circulation : la gamme des phénomènes étudiés est très large car « ce qui circule » peut aller des orientations politiques générales (éléments programmatiques ou savoirs en lien avec des problèmes publics, voire les idées, par exemple) aux « réponses » et instruments (textes législatifs, techniques organisationnelles, fiscales etc.) ;

- Ou bien, on peut prendre comme facteurs discriminants les conditions contextuelles du transfert, et en particulier, la déploiement géographique (sur lequel nous reviendrons plus longuement dans ce chapitre) selon que les transferts se passent sur des unités ou ensembles locaux régionaux, nationaux, internationaux ; ou bien les temporalités du transfert dans la mesure où le transfert peut concerner certaines séquences de l’élaboration d’une politique publique donnée (par exemple, la phase de conception et la programmation, c’est-à-dire la politique « en train de se faire ») ou bien intervenir ex-post comme facteur de légitimation ou comme un outil d’évaluation d’une politique ; ou bien encore le transfert peut concerner l’ensemble du processus d’élaboration de la politique publique.

La notion de transfert apparait ainsi in fine comme le point d’ancrage d’un champ cognitif ouvert qui s’intéresse, en revenant à Dolowitz & Marsh en 1996, à la circulation des « politiques, des arrangements administratifs et des institutions ». A ce type de transferts qui

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porte sur ce qu’on appelle dans la littérature scientifique les « hard transfers », c’est-à-dire les apprentissages institutionnels de dispositifs juridiques, réglementaires ou techniques, avec un caractère contrait et normatif, il conviendrait d’ajouter deux autres formes de transfert : les processus dit « middle » qui porteraient sur la mobilité d’expériences ou de méthodes, en dehors de toute contrainte ou obligation externe, favorisées par le jeux d’acteurs appartenant à l’espace d’importation où on « s’inspire » du modèle étranger librement choisi ; et les transferts dit « soft » qui concernent la propagation de principes, méthodes et savoir-faire, et cherchent à favoriser les apprentissages politico-sociaux dans le vaste territoire des idées, des idéologies et des concepts (Bonnal et alt., 2016).

On peut aussi indiquer que les trois modèles de cette dernière classification synthétique des types de transfert, jouent de complémentarité fréquemment, les transferts en train de se faire pouvant correspondre, selon les étapes du processus, de manière plus ou moins intense, successivement à l’un des trois types de transfert soft, middle, hard. On retrouve ce phasage dans les travaux de D. Stone (2000, 2004, 2010) sur les transferts des éléments constitutifs des politiques publiques qui circulent librement entre des acteurs non-étatiques dans le contexte de la globalisation, cette idée de variation adaptative dans le temps des formes du transfert appliquée à un même policy transfer particulier pouvant s’appliquer aux différentes tentatives de typologisation du phénomène.

La littérature des PTS, et notamment les diverses typologies de transferts, apporte des réponses aux questions que met en exergue synthétiquement le « système de transfert des politiques publiques » (policy framework) (Dolowitz, Marsh, 2000) à savoir :

- Pourquoi le transfert ? - Qui est associé au transfert ? - Qu’est-ce qui est transféré ? - A partir d’où ?

- Quels sont les niveaux du transfert ? - Quelles sont les contraintes du transfert ? - Qu’est-ce qui rend compte du transfert ? - Quels résultats du transfert ?

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Selon nous, les différentes tentatives de problématisation et de catégorisation des transferts de politiques publiques des PTS décrivent une forme de « variance » des processus de propagation des politiques publiques et des idées, et la notion de transfert par elle-même pose l’adaptabilité des formes de la transmission et la pluralité des situations concrètes de circulation et de changement de l’action publique. En reprenant la distinction de Newmark entre diffusion et transfert, on peut dire que les études sur la diffusion des politiques publiques apportent un schéma descriptif de la dissémination de l’innovation centrée sur les mécanismes de circulation des politiques, alors que dans les études sur le transfert qui adoptent la figure de « l’importation », les policy transfer apparaissent finalement comme des choix, plus ou moins volontaires, faits par un certain nombre d’acteurs pour répondre aux besoins de remédiation d’un problème de politique publique (Rose, 1991).

C. La « réception » de politiques importées : les limites de la notion de « modèle »