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Récapitulation des gestes et des marques prosodiques rencontrés sur les ligateurs les plus fréquentsligateurs les plus fréquents

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 141-146)

“Le paragraphe oral anglais”

4.2 Les ligateurs

4.2.3 Récapitulation des gestes et des marques prosodiques rencontrés sur les ligateurs les plus fréquentsligateurs les plus fréquents

Dans un article récent, G. Calbris (2002)28 a montré comment la gestuelle venait nuancer le contenu verbal. Elle étudie trois ligateurs de sémantisme proche “et puis”, “mais aussi” et “en même temps” relevés dans des entretiens télévisés de personnes connues et présente dans un premier temps un tableau où figure le pourcentage pour chaque ligateur composé, d’absence de geste, de présence de geste “non spécifique” (c’est-à-dire non lié au sémantisme du discours) et enfin de présence de geste spécifique (c’est-à-dire directement lié au sémantisme du ligateur). Après avoir donné une interprétation de tous les contextes dans lesquels les ligateurs sont accompagnés d’un geste lié au sémantisme du discours, elle montre que les trois ligateurs, de sémantisme pourtant proche, se distinguent lorsque l’on prend la gestualité en considération. Elle en arrive aux conclusions suivantes!:

“Le connecteur “et puis” a une valeur verbale de simple successivité “puis”, le geste insiste sur celle de complément “et” et peut lui conférer en outre une valeur adversative. “Mais aussi”, qui devrait, lui, bénéficier de la valeur théoriquement oppositive de “mais”, n’est guère renforcé par le geste que

28!Calbris, G. (2002). “Sémantisme des connecteurs : nuancement du verbal par le gestuel”. In Colletta, J.-M., & Millet, A. (Eds.), Lidil, 26, “Gestualité et syntaxe”. Grenoble 3: Lidilem, Université Stendhal.

pp. 139-153.

dans le sens d’une complémentation “aussi”. À l’inverse, dans le cas de “(et, mais) en même temps”, le geste intervient pour apporter à l’énoncé l’idée d’une contrepartie adversative.” (op. cit., p.!152)

Nous ne sommes pas en mesure de présenter le même type de comparaison entre des ligateurs composés au sémantisme proche, car dans un corpus de conversation à bâtons rompus, à la différence des corpus d’entretiens télévisés, les ligateurs composés sont relativement peu variés, mais, en guise de conclusion sur les ligateurs composés, nous aimerions présenter le tableau suivant, qui récapitule tous les indices pour les 6 ligateurs composés les plus fréquents dans notre corpus. Il montre entre autres que la gestualité intervient dans des pourcentages relativement élevés pour la plupart des ligateurs, et que l’on observe, pour quatre d’entre eux, de réelles régularités prosodiques, qui vont faire pencher le ligateur plutôt vers un sémantisme ou un autre.

Tableau 1!: Régularités gestuelles et prosodiques de 6 ligateurs composés29

Ligateur Total Sans geste Avec geste

divers!: 4

Le tableau donne les 6 ligateurs composés ainsi que le nombre d’occurrences rencontrées dans le corpus pour chaque ligateur. Il donne ensuite le nombre de fois où le ligateur a été produit (nombre et pourcentage) sans geste du tout (c’est-à-dire où le regard et la tête restaient dans la même direction entre les deux rhèmes reliés par le ligateur), puis le nombre d’occurrences où le ligateur était accompagné d’un geste, mais où ce geste n’était pas lié au sémantisme du ligateur (par exemple lorsque la locutrice anticipe par le geste le rhème qu’elle va ensuite introduire) et le nombre de fois où le ligateur est au contraire accompagné d’un geste qui en oriente l’interprétation (nous nous sommes appuyée, pour définir cette spécificité sur notre analyse dans tout le chapitre). Enfin, la dernière colonne indique les régularités prosodiques que nous avons pu rencontrer, et qui vont elles aussi déterminer l’orientation du ligateur. Certains gestes liés au sémantisme du discours et certaines régularités prosodiques peuvent apparaître dans le même ligateur, qui peut être par exemple allongé et prononcé avec une forte intensité, ou encore réalisé avec un mouvement de tête et un geste de la main. Ceci contribue à accentuer telle ou telle composante du ligateur, ou bien encore à donner un poids gestuel plus important sur une composante alors que l’autre composante sera accentuée par la prosodie.

Comparons les trois ligateurs “and hem”, “and uh” et “and like”, dont nous avons dit plus haut dans la section qui les concernait qu’ils marquent le lien entre l’énoncé précédent et le rhème qu’ils introduisent, dans un souci de marquer la chronologie et que tous trois sont composés d’une marque de TdF. Cependant, les pourcentages d’accompagnement d’un geste sémantiquement lié et les régularités prosodiques montrent qu’ils ne sont pas marqués de la même façon. Sur le plan de la gestualité, c’est “and hem” qui marque le plus le travail de recherche de la formulation avec un taux de 87,5!%

d’accompagnement par un geste lié à son sémantisme (nous avons vu que le regard vers le bas et la tête penchée étaient des indices gestuels indiquant le repli sur soi évident dans un travail de recherche de la formulation). En revanche, ce ligateur est peu marqué sur le plan prosodique, où nous n’observons aucune régularité. Dans ce cas, gestualité et prosodie sont complémentaires (la gestualité est mise en œuvre au détriment de la prosodie). Sur

“and uh”, on observe déjà plus de régularités prosodiques avec 2 allongements sur

“and”, ce qui tend à marquer prosodiquement la recherche de formulation, et des pics d’intensité dans 3 occurrences (ce qui va également dans le sens d’une recherche de la formulation, car le locuteur qui cherche ses mots redoute de se voir prendre la parole et augmente l’intensité pour prévenir une intervention de l’interlocuteur), mais on retrouve également (dans un pourcentage cependant moins élevé que pour “and hem”!: 57, 1!%) un accompagnement gestuel qui va pourtant dans le même sens que celui du ligateur précédent!: regard vers le bas, tête penchée. Dans ce cas, le sémantisme du ligateur étant sans doute beaucoup moins nettement orienté du côté de la recherche du travail de

formulation (la marque “uh” est de manière générale beaucoup moins utilisée seule que la marque “hem”), prosodie et gestualité se complètent pour marquer plus encore le repli sur soi du locuteur. En revanche, pour “and like”, prosodie et gestuelle jouent un rôle beaucoup moins important pour marquer le travail de recherche de la formulation, ce qui correspond à nos diverses analyses d’exemples, où nous avons vu que ce ligateur est également employé pour marquer la focalisation et comme introducteur de discours rapporté. Ceci explique sans doute qu’on ne trouve que dans 50!% des cas un geste sémantiquement lié pour accompagner le ligateur, et parmi ces gestes, aucun n’est lié précisément à la recherche de formulation (ils correspondent plutôt à la focalisation). De plus, on n’observe aucune régularité prosodique sur ce ligateur. Ainsi, “and like”, qui n’est marqué ni sur le plan gestuel, ni sur le plan prosodique, va-t-il possèder une grande autonomie et un sémantisme très variable que n’auront pas “and hem” et “and uh”.

“And then” est différent dans la mesure où l’on rencontre trois cas de figure!: soit

“and” seul est mis en relief (configuration la moins fréquente, 4 occurrences sur 33), et cette mise en relief passe en général par un regard orienté vers le bas (3 cas sur 4) et un pic d’intensité sur “and” (3 cas sur 4). Dans ce cas, la locutrice met l’accent sur la continuité discursive de son intervention. Ou bien alors, c’est “then” qui est mis en relief (13 occurrences), et il sera marqué prosodiquement (c’est le cas dans 10 occurrences) soit par un allongement de sa durée, soit par un pic d’intensité, soit encore par une intensité plus élevée que “and” ou une F0 montante par rapport à “and”. Ces trois indices n’apparaissent pas en même temps (bien qu’ils soient parfois couplés). Sur le plan mimo-gestuel, c’est alors “then” qui va être mis en relief (7 gestes spécifiques allant dans le sens de “then”), soit par une hausse des sourcils, soit par un hochement de tête. Le haussement de sourcils va dans le sens d’une focalisation (il sert essentiellement à marquer la mise en relief et à la faire voir à l’interlocuteur), mais le hochement de tête va bien dans le sens d’un ajout sur le plan chronologique. Nous avons également rencontré une occurrence où Zoe, tout en prononçant “then” décrit avec sa main droite un arc de cercle (figurant un bond) allant de la droite vers la gauche (TU!544). Il y a bien ici une idée de chronologie et de déplacement dans le temps, mais la chronologie nous semble inversée si l’on considère cette remarque de G. Calbris (op. cit.)!: “la suite logique, conformément au sens de l’écriture en Occident, s’exprime normalement de gauche en droite.” (p.!144), et cette autre remarque de G. Barrier (1996)!: “dans notre culture, le système de lecture et d’écriture est résolument ancré dans une dynamique de mouvement gauche-droite”, c’est-à-dire l’inverse de ce que fait Zoe. On pourrait donc en déduire que Zoe fait ainsi un lien avec un énoncé “antérieur” dans le temps, et donc met l’accent plutôt sur “and” que sur “then”, mais ce qui semble compter ici pour Zoe réside plutôt dans la différence entre intérieur et extérieur, car le geste est réalisé vers l’extérieur par rapport à son propre corps. Nous sommes donc d’avis que c’est bien une suite

chronologique que Zoe représente de cette manière. Nous avons relevé un autre exemple d’inversion de ce type, et où le geste va pourtant dans le sens d’une mise en relief de la chronologie plus que dans le sens du lien avec le discours qui précède!: Zoe, tout en disant

“and then” décrit avec l’index de la main gauche un arc de cercle partant de l’extérieur et allant vers son corps (TU!743). Or, nous sommes d’accord avec D. Bouvet (2001) pour dire que selon notre expérience, nous avons construit une représentation qui situe le futur devant soi et le passé derrière soi. Pourtant, bien que “and then” possède en lui une notion de futur (un déroulement chronologique d’un récit implique qu’il y ait un futur par rapport à un passé, ce qui a déjà été dit), Zoe fait un mouvement qui ne s’éloigne pas de son corps mais s’en rapproche. Les deux exemples ne sont cependant pas contradictoires!: ils impliquent simplement que Zoe situe le repère énonciatif dans un endroit différent dans les deux cas. Enfin, les locutrices choisissent “and then” en tant qu’unité, où aucun élément ne prime sur l’autre (7 occurrences) et adoptent plusieurs stratégies!: soit la gestualité marque l’un des éléments alors que la prosodie marque l’autre (comme dans le cas où le pic d’intensité porte sur “and” et le haussement de sourcils sur “then”), ou bien on trouve deux gestes, l’un se rapportant à “and”, l’autre à

“then” (par exemple la tête penchée sur tout le groupe et les sourcils haussés ou un geste de pointage sur “then”, l’index levé étant un geste que l’on rencontre fréquemment dans ce contexte) et où les deux éléments du groupe portent le pic d’intensité.

Restent les trois ligateurs “yeah but”, “but yeah” et “no but”. Nous trouvons que l’ensemble “yeah but” et “but yeah”, que nous avions considéré dans un même groupe pour obtenir un plus grand nombre d’occurrences est parfaitement incohérent (c’est le groupe où l’on trouve le moins de gestes liés au sémantisme des ligateurs, 33,3 %, valeur que l’on retrouve d’ailleurs dans les deux autres colonnes) et après réflexion, il apparaît évidemment qu’étant donné le sémantisme très éloigné des deux ligateurs, on ne pouvait pas obtenir de régularité sur le plan gestuel, par contre, il apparaît sur le plan prosodique, que “yeah” porte le pic d’intensité dans la quasi totalité des cas (comme c’est aussi le cas de “no”). C’est donc dans les deux cas, la dimension énonciative du ligateur composé que les locutrices mettent en relief (nous avons vérifié, dans les autres cas de ligateurs comportant “yeah” ou “no”, comme “yeah cos”, “no cos” etc., c’est également le ligateur énonciatif qui porte en général le pic d’intensité). Le geste que l’on rencontre sur

“no but” met plutôt l’accent sur “no” (on trouve des mouvements de négation, une élévation de la tête, geste qui peut également signer le refus car il mime le rejet de la tête en arrière d’un nourrisson refusant la nourriture, ce qui explique que c’est ce geste que l’on trouve dans certaines cultures comme en Grèce pour signifier la négation), et également un rejet de la tête vers la droite (ce mouvement de départ de la tête peut aussi signer la négation). On ne trouve aucun mouvement ou geste allant dans le sens d’une prépondérance de “but” sur “no”.

Ce type de tableau qui récapitule les indices mimo-gestuels et prosodiques marquant le ligateur nous a permis de faire ressortir le fait que les mots ne suffisent pas à donner un sens à ses paroles, encore faut-il regarder le sens que nous apporte la prosodie et la gestualité30 et qui contribuent à donner une certaine orientation au discours. Ainsi, il n’est pas étonnant que G. Calbris (op. cit.) ne trouve pas dans le ligateur “mais aussi” de geste exprimant la valeur d’opposition de “mais”. En effet, si l’on prend en compte tous les indices!: (i) indice discursif — position de ligateur introduisant un changement de point de vue sur un objet de discours préalablement construit et partagé!; (ii) indices prosodiques!— ligateur discursif ne nécessitant pas de mise en place de la co-énonciation qui est posée comme acquise, pas de saillance prosodique sur “but”!; (iii) indices gestuels allant dans le sens de l’alternative ou du changement d’orientation avec totale absence de prise en compte de l’autre, on se rend bien compte que la manière dont les grammaires traditionnelles définissent “mais” ne prend pas suffisamment en compte tous les paramètres et ne peut aboutir qu’à une valeur logique de la conjonction hors de tout contexte d’utilisation.

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