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CHAPITRE 2 : REVUE DE LITTÉRATURE

2.2 Les signaux faibles comme objet de recherche

2.2.3 La réalisation du potentiel stratégique des signaux faibles : prérequis et

Dans cette section, nous démontrons et expliquons : que la réalisation du potentiel stratégique des signaux faibles implique la présence d’une capacité organisationnelle de traitement des signaux faibles; qu’afin de leur attribuer un sens, le diagnostic et la détection des signaux faibles sont nécessaires, ce qui nécessite une sensibilité organisationnelle aux signaux de l’environnement et donc une capacité de traitement de ces mêmes signaux; que l’attribution d’un sens ou l’interprétation des signaux exigent d’en lier les aspects concrets et les aspects plus abstraits; comment les signaux interprétés permettent aux organisations confrontées au danger d’éviter la crise. Finalement, nous concluons sur l’importance stratégique que revêt la présence d’une capacité de lecture et d’assemblage des signaux faibles pour les organisations.

On peut affirmer d’entrée de jeu que puisque les organisations sont continuellement confrontées à l’incertitude et qu’elles doivent pour fonctionner tenir compte de l’ambiguïté de leur environnement, il est donc important qu’elles disposent d’une capacité de lecture des signaux internes et externes permettant l’exercice d’une capacité d’adaptation stratégique (Ansoff, 1975; March et Olsen, 1976; Mendonça

environnementales jouent un rôle important dans l’établissement des préconditions de l’accident et dans la concrétisation des événements déclencheurs menant à la crise (Shrivastava et al., 1988, p. 290).

En conséquence, pour pouvoir éviter la crise, il faut pouvoir établir un diagnostic de la situation. Il n’existe pas de définition claire du diagnostic, mais plusieurs définitions impliquent la collecte d’information concernant un problème ou une opportunité de changement. Dans l’ensemble des définitions, deux thèmes majeurs reviennent, soit la compréhension analytique de la situation, ainsi que l’identification et la clarification des dysfonctions organisationnelles se manifestant sous la forme de symptômes (Lundberg, 2008, p. 139). Il en découle que les symptômes sont des signes extérieurs d'une situation, d'un mal ou d'une difficulté qui demandent à être interprétés pour qu’il y ait diagnostic. Ce qui veut dire qu’avant même de pouvoir diagnostiquer un problème et d’entrevoir des ajustements stratégiques possibles, l’organisation doit pouvoir en détecter34 les

signes.

Cette détection nécessite alors une sensibilité aux signaux de l’environnement : « Cook [45] notes that "environmental scanning is the practice of searching a wide array of information sources on a regular basis for symptoms of change." » (Kaivo- oja, 2011, p. 12). Et, la capacité de l’organisation à faire face à la crise est liée à la capacité de reconnaître la présence d’une menace, soit le Threat Sensing (Mitroff, Alpaslan et Green, 2004, p. 181)35.

La sensibilité aux opérations courantes peut se définir comme une préoccupation de saisir les erreurs du moment, une lutte pour la vigilance, et comme un souci envers les fausses interprétations, les surcharges, les leurres, les distractions, les

34 Pour les besoins de la cause, les termes détection et perception sont considérés comme des

synonymes.

signaux mixtes, les surprises, les quasi-événements, les mauvaises interprétations, les avertissements, les anomalies, la vigie, les indices et les négligences :

The importance of sensitivity to current operations is reflected in much of the terminology associated with HROs [High Reliability Organizations]. Descriptive words such as struggle for alertness, misinterpretation, overload, decoys, distraction, mixed signals, surprise, vigilance, near misses, warnings, anomalies, lookouts, clues, and neglect, all portray the concern to catch errors in the moment (Weick et al., 1999, p. 97).

L’attribution d’un sens aux signaux détectés impose d’être en mesure de pouvoir les interpréter36 correctement en liant les aspects concrets, plus évidents, et les

aspects plus abstraits sous-tendant la crise (Weick, Sutcliffe et Obstfeld, 2005, p 412). Cette interprétation, la plus plausible, des situations cindyniques crisogènes peut être faite en utilisant les concepts de sensemaking et d’enactment (Weick et

al., 2005, p. 414), lesquels permettent de comprendre la construction du sens

partagée par les acteurs des événements, que ce soit avant ou pendant la crise (Roberts et al., 2007) ou même après celle-ci lors des enquêtes publiques (Gephart, 2007, p. 123). De plus, le concept de sensegiving, lequel est une variante du

sensemaking, peut être utilisé pour attribuer le sens donné, aux événements, par un

groupe d’acteurs plus ciblé (Weick et al., 2005, p. 416).

Que ce soit avant, pendant ou après la crise, la capacité active de traitement des signaux faibles par les organisations présente plusieurs avantages et elle leur est d’autant plus importante que ce n’est que lorsqu’ils sont interprétés, et donc lus et interreliés par l’organisation pour leur donner un sens (Brizon, 2009; Taylor et Lerner, 1996; Weick et al., 2005), qu’ils peuvent alors permettre aux organisations confrontées au danger d’éviter les crises (Gilbert, 2003, p. 60). Ils deviennent alors des hypothèses de changement (Mendonça et al., 2011; Rossel, 2012, p. 235) et possiblement des révélateurs d’événements qui peuvent contribuer à réduire l’incertitude, ce qui leur permet alors d’agir de façon proactive (Ilmola et Kuusi,

36 Interpréter, c’est expliquer ce qui a un sens caché : « The act of interpreting implies that

something is there, a text in the word, waiting to be discovered or approximated (see Draft et Weick, 1984) » (Weick, 1995, p. 13).

2006; Kaivo-oja, 2011, p. 1) en s’octroyant du temps et une certaine marge de manœuvre (Galbraith, 1973) afin d’éviter de se retrouver devant les faits accomplis, voire devant la crise. Le traitement des signaux faibles supportant alors l’apprentissage, la prise de décisions et les autres ajustements organisationnels (humains, monétaires, matériels, technologiques, etc.) nécessaires à l’ajustement stratégique (Ansoff, 1975; Galbraith, 1973; Hiltunen, 2010).

Vue dans son ensemble, la capacité active de traitement des signaux faibles présente le grand avantage de permettre aux organisations de réduire leur ignorance relative afin d’être en mesure d’agir stratégiquement pour pouvoir s’adapter aux différents changements, ou aux différentes menaces, qui peuvent leur être signalés par la présence de signaux faibles dans leur environnement (Kaivo-oja, 2011; Weick et

al., 1999). Nous voyons donc l’importance stratégique que revêt la présence d’une

capacité de lecture et d’assemblage des signaux faibles pour les organisations. Dans cette section, nous avons établi que la capacité de traitement des signaux faibles, internes et externes, est un prérequis à la capacité d’adaptation stratégique et donc à la réalisation de leur potentiel stratégique. Nous avons aussi présenté les avantages stratégiques, tels la réduction de l’incertitude environnementale, l’apprentissage, la prise de décision et l’action proactive, que confère à l’organisation l’exercice d’une capacité de traitement des signaux.

Pour y parvenir, nous avons démontré et expliqué : que devant l’incertitude de leur environnement, la réalisation du potentiel stratégique des signaux faibles implique la présence d’une capacité organisationnelle de traitement des signaux faibles, laquelle permet une adaptation stratégique; que le diagnostic et la détection des signaux faibles peuvent permettre de faire face à la menace et d’éviter la crise, mais que l’attribution de sens nécessite une sensibilité organisationnelle aux signaux de l’environnement et donc une capacité de traitement de ces mêmes signaux; que l’attribution d’un sens plausible nécessite préalablement d’en lier les aspects concrets et les aspects plus abstraits, et que les concepts de sensemaking, d’enactment et de sensegiving sont associés à cet aspect; que l’interprétation des

signaux peut permettre aux organisations confrontées au danger d’éviter la crise par le dégagement d’une marge de manœuvre, l’apprentissage et les ajustements organisationnels appropriés. Finalement, nous avons conclu sur l’importance stratégique que revêt la présence d’une capacité de lecture et d’assemblage des signaux faibles puisqu’elle permet aux organisations de réduire leur ignorance relative pour être en mesure d’agir stratégiquement face à la menace et au danger. Maintenant que nous avons expliqué ce que signifie et ce qu’implique la réalisation du potentiel stratégique des signaux faibles, nous expliquons dans la section suivante qu’un signal faible, pour être amplifié et pour avoir un impact stratégique, doit tout d’abord être soumis à la filtration.