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1.1 La problématique

1.1.4 La présence de cercles vicieux furtifs

Les rapports postcrises ne permettant pas toujours d’identifier les causes profondes des crises, dans cette section nous présentons certaines des lacunes qui nuisent à l’identification des mécanismes organisationnels à l’origine de la non-détection des signaux faibles par les organisations. Pour ce faire : premièrement, nous présentons le concept de cercle vertueux et sa possible transformation; deuxièmement, nous présentons le concept de cercle vicieux et ses origines organisationnelles; troisièmement, nous verrons ce que nécessite leur identification; et, finalement, nous identifions certaines lacunes des rapports postcrises qui empêchent l’apprentissage organisationnel.

La répétition d’une série d’activités considérées comme précieuses, qui viennent s’intégrer dans l’organisation en étant officiellement reconnues et encouragées, constitue un cercle vertueux (Hampden-Turner, 1992, p. 37–39). Celui-ci se présente sous forme d’une chaîne causale, de cause à effet, non nécessairement linéaire, et dont la répétition vise à améliorer l’efficacité et l’efficience de l’organisation. Toutefois, la répétition de ces cycles peut entraîner une incapacité de l’organisation à faire face aux facteurs déclencheurs de la crise, voire contribuer à la déclencher, changeant alors la nature du cercle vertueux en cercle vicieux. En effet, ce qui peut sembler vertu pour certaines parties prenantes de l’organisation, telles la rationalisation des effectifs susceptibles de traiter les signaux faibles, la réduction récurrente des budgets ou encore l’automatisation de fonctions et de tâches, s’avère souvent être des facteurs crisogènes en amenant une

réduction des marges de sécurité et du slack organisationnel (Galbraith, 1973; Nicolet, Carnino et Wanner, 1989). Dans de telles situations de rationalisations successives pathogènes, on ne doit donc plus parler de cercles vertueux, mais bien de cercles vicieux :

Ils élèvent fort haut les vertus, et les font paraître estimables par-dessus toutes les choses qui sont au monde; mais ils n'enseignent pas assez à les connaître, et souvent ce qu'ils appellent d'un si beau nom n'est qu'une insensibilité, ou un orgueil, ou un désespoir (Descartes, 1637, p. 8).

Le cercle vicieux est un phénomène organisationnel souvent peu visible, puisqu’il apparaît surtout à la suite de l’analyse des interactions systémiques dont les effets sont délétères et qui s’autoalimentent (Pauchant et Mitroff, 1992, p. 23, 1995a, p. 69). Les cercles vicieux sont définis comme des boucles d’amplification des déviations et ils constituent des boucles d’action aux résultats contre-productifs (Masuch, 1985, p. 16). En outre, ils sont issus des pièges de la bureaucratisation, du cloisonnement, des logiques d’investissement et de la rationalisation (logique d’escalade, de simplification et de dérive); ils sont fréquemment furtifs, puisqu’ils se cachent souvent sous des apparences de saine gestion (Bourrier, 2003, p. 21). L’identification des cercles vicieux est difficile, puisqu’ils présentent des caractéristiques de furtivité, de récurrence et de cumulation de leurs effets. Leur identification nécessite donc une approche systémique tenant compte des forces et des mécanismes qui les créent et de leurs multiples effets afin de dépasser le simple colmatage des failles systémiques qui se concentre uniquement sur les aspects les plus visibles de la crise (Deschamps et al., 1997, p. 109) – c’est-à-dire sur ses symptômes –, ce qui empêche alors l’apprentissage systémique (Deschamps, Lalonde, Pauchant et Waaub, 1997, p. 125) et perversement renforce les cercles vicieux pathogènes (Bateson, 1991, p. 296).

L’identification des cercles vicieux peut donc permettre aux organisations de dépasser les apparences et d’aller voir plus en profondeur l’origine de certaines des causes de la crise. Lorsque les rapports postcrises ne vont pas suffisamment « au fond des choses », ils ne permettent pas d’identifier les cercles vicieux créés par les

habitudes organisationnelles de saine gestion qui induisent une déviance des cibles de fiabilité. Il s’agit alors d’une lacune majeure des rapports postcrises, puisque cette identification permettrait de mieux comprendre les origines des pathologies organisationnelles que l’on retrouve sous deux principaux types, soit celui des bureaupathologies (King et Chilton, 2009), tel le malfonctionnement absurde de la bureaucratie (p. 5), et celui des dysfonctionnements organisationnels, tel un hyperconformisme aux règles entravant l’adaptation organisationnelle (Merton, 1997 [1953], p. 193).

Ainsi, il serait possible d’identifier d’autres lacunes plus profondes (ex. : la non- prise en compte des effets cumulatifs de mesures restrictives de gestion, des effets de l’attrition budgétaire, des effets croisés de multiples rationalisations organisationnelles, etc.), lesquelles passent inaperçues à première vue, et d’éviter de reproduire les conceptions simplistes du monde qui ont donné naissance à plusieurs crises dans des systèmes complexes (Pauchant et Mitroff, 1995a, p. 71). Pour prévenir les crises et trouver une solution à l’événement, en plus de traiter les défaillances majeures en matière de prévention et les déficits évidents d’organisation et de cohérence, il faut aussi traiter les failles « normales », soit les pathologies qui concourent à générer ou à dramatiser les crises (Lagadec et Guilhou, 2002, p. 188, 191).

Dans cette section, nous avons vu qu’afin de permettre un apprentissage organisationnel, les rapports postcrises auraient aussi avantage à identifier les cercles vicieux furtifs pour mettre en lumière les mécanismes à l’origine de la crise et de la non-détection des signaux faibles. Pour ce faire, nous avons : présenté le concept de cercle vertueux dont la répétition peut engendrer des cercles vicieux; présenté le concept de cercle vicieux comme étant la répétition d’une chaîne d’événements, ou de rationalisations, entraînant une dégénérescence; vu que l’identification des causes de la crise nécessite une approche systémique permettant de dépasser le colmatage des failles systémiques et d’identifier les mécanismes à son origine; et vu que l’absence d’identification des cercles vicieux dans les rapports postcrises constitue une lacune majeure nuisant à l’identification d’autres

lacunes, et que cette identification permettrait de mieux comprendre et de pouvoir traiter les origines des pathologies organisationnelles se présentant sous forme de bureaupathologies et de dysfonctionnements organisationnels, lesquels nuisent à la détection et au traitement des signaux faibles.