Les simulations de gaz sur réseau permettent de calculer exactement l’évolution
d’un état initial particulier du gaz et d’obtenir l’état microscopique complet avec
une résolution spatiale et temporelle infinie (pour un réseau de taille finie). Le nom
*11 est important de signaler qu’une variante de cette méthode a été introduite par l’équipe du
laboratoire Shell d’Amsterdam [Rem et Somers 1989]. Leur méthode consiste à calculer l’écart entre
le nombre de particules entrantes et sortantes sur la frontière et à ajuster continuellement le nombre
de particules entrantes pour obtenir le flux désiré. Si la frontière est étanche, leur méthode se réduit
aux conditions de rebond. Pour un flux non-nul, cette technique est équivalente aux conditions de
soufflerie si l’on suppose que les distributions d’équilibre sont exactes sur la frontière.
*Cet effet apparaît également dans les souffleries réelles où l’écoulement effectivement réalisé
dépend de l’obstruction créée par les maquettes, de la nature des parois et de la distance entre
l’injection et les obstacles. L’introduction brutale de l’obstacle produit une onde de choc qui doit
s’amortir avant que l’écoulement se stabilise et atteigne un régime constant.
6. Réalisation des mesures
117
bre de particules et la vitesse locale en un nœud sont mesurables exactement à
tous les temps avec une précision parfaite (puisque tous les calculs sont effectués
sur des nombres entiers). Il peut sembler paradoxal que ce résultat tel quel ne
présente en général pas d’intérêt scientifique, sauf si l’on étudie des problèmes tels
que l’ergodicité. En effet, nous ne connaissons jamais l’état microscopique exact
d’un système physique réel et nous ne sommes intéressés que par les propriétés
“moyennes” mesurables macroscopiquement. “Moyenne” a ici le sens d’une moyenne
sur l’ensemble de tous les états microscopiques compatibles avec les observables ma
croscopiques initiales ; cette moyenne est définie mathématiquement par la rela
tion (1.3.28) à partir de la probabilité P{s,,t) de tous les états possibles du réseau.
Les grandeurs macroscopiques p, u et 0 sont donc définies (relations (I.3.33)-(I.3.36))
à partir des occupations microscopiques moyennes par lien X,-, Y{ et Ni définies par
les moyennes d’ensemble (I.3.29)-(I.3.32). Les coefficients de transport apparaissent
également comme des moyennes d’ensemble (relations (1.6.47), (1.6.48), (1.6.63),
(1.6.62)) ou comme des relations de proportionnalité entre des moyennes d’ensemble
(relations (1.5.12), (1.5.14)). Le problème est que ces grandeurs moyennes ne pour
raient être obtenues exactement par simulation qu’en calculant l’évolution de tous
les états initiaux 5. possibles, les valeurs moyennes étant obtenues par une somme
pondérée à partir des probabilités de chacun des états initiaux P(s.,0) (ces prob
abilités peuvent être calculées, du moins formellement, grâce aux résultats de la
section I.4.a, si l’état initial est un état d’équilibre uniforme caractérisé par les gran
deurs p(r, 0), u(r,0) et 0(r,O)). H est cependant exclu, pour des raisons évidentes de
temps de calcul, de simuler l’évolution des 2*"^^ états initiaux possibles d’un réseau
de nœuds. Les moyennes d’ensemble ne sont donc effectuées que sur un petit nom
bre de réalisations indépendantes obtenues à partir de conditions initiales différentes
(générées en amorçant le générateur de nombres pseudo-aléatoires avec une nouvelle
valeur pour chaque simulation), mais ayant les mêmes valeurs moyennes initiales
Xi, Yi, Ni- Toutefois, il faut veiller à exclure des opérations de moyennage des
systèmes ayant subi des brisures de symétrie différentes suite au bruit microscopi
que initial, puisque les moyennes d’ensemble ne peuvent se faire théoriquement qu’à
l’équilibre et entre des états caractérisés par les mêmes grandeurs macroscopiques.
Pratiquement, on se contente souvent d’une seule réalisation pour obtenir le com
portement typique par moyenne temporelle ou spatiale*. Le recours à des moyennes
temporelles est liée à la propriété d’ergodicité qui stipule qu’un système à l’équilibre
va de lui-même visiter l’ensemble de tous ses états possibles et ce, avec la bonne
probabilité P{s,,t) (notons cependant qu’il n’a pas été possible jusqu’à présent de
prouver que les systèmes physiques ou les gaz sur réseau sont ergodiques). H suf
firait donc de simuler un seul système pour obtenir le comportement typique en
* Cette situation est exactement la même que celle rencontrée dans les mesures de laboratoire où
les propriétés macroscopiques sont obtenues par des moyennes spatiales et temporelles inhérentes h
la résolution limitée des instruments de mesure (un exemple typique est la diffusion de lumière où
la résolution spatiale est de q~^ (q est le vecteur d’onde de la lumière diffusée) et qui nécessite des
moyennes temporelles très longues vis-à-vis du temps d’évolution microscopique pour obtenir des
résultats stables).
moyennant les états successifs (quelques pièges existent pourtant comme expliqué
ci-après). La justification des moyennes spatiales provient de l’hypothèse d’équilibre
local qui permet de supposer l’indépendance des nœuds situés à l’intérieur de régions
d’extension spatiale <; A, où A est l’échelle caractéristique de variation des gran
deurs macroscopiques. Nous obtenons donc les grandeurs moyennes en sommant les
grandeurs microscopiques et plusieurs nœuds appartenant
à la même région de l’espace, ce qui revient à considérer ces nœuds comme des
réalisations indépendantes de l’état moyen du réseau. Les estimateurs des grandeurs
macroscopiques p, u et sont donc donnés par
. . t+At-l
" WÂt ^ ^ (6.1)
r'€AT(r) t'=t i
, , t+At-l
Jf(r,t)ll(r,t) =-p— E (®-2)
r'6M(r) t'=t t
, , t+At-l
Xr,t)ff(r,t) = ^ ^x,(r',0 , (6.3)
r'eATlr) t'=t •
où At est le nombre de pas de temps utilisé pour le moyennage temporel, Af(r) est
la région de moyennage spatial centrée sur r et |AA est le nombre de nœuds contenus
dans A/’(r). La durée Ai des moyennes temporelles doit évidemment être courte
par rapport aux échelles de variation temporelle des écoulement étudiés lorsque ces
derniers ne sont pa£ stationnaires. La forme et la taille des régions A/’(r) doivent être
adaptées au problème considéré. Si l’écoulement n’a pas de symétrie particulière,
ces régions peuvent avoir la forme d’une cellule élémentaire du réseau ou une forme
quasi-rectangulaire (carrée pour le modèle HPP, (hyper-)cubique pour le modèle
FCHC et quasi-rectangulaire pour le modèle FHP) de manière à réaliser un pavage
sans recouvrement du domaine de simulation. Si le système a une symétrie partic
ulière (par exemple, s’il est intrinsèquement unidimensionnel) ou que les échelles de
variation spatiale des grandeurs macroscopiques sont très différentes selon la direc
tion de l’espace, les régions peuvent être ajustées aux symétries du problème (pour
un problème unidimensionnel, il est ainsi préférable de réaliser les moyennes sur
des cellules ayant la même largeur que le réseau). Il est même possible de varier le
maillage en fonction du temps pour s’adapter aux structures de l’écoulement, exac
tement comme dans les méthodes d’éléments finis avec la différence que le maillage
doit appartenir au réseau.
Quelle doit être la taille minimum des régions sur lesquelles sont effectuées les
moyennes ? Nous désirons que les estimateurs (II.6.1)-(II.6.3) constituent une bonne
approximation des grandeurs moyennes correspondantes pour un petit nombre de
réalisations de l’écoulement (à la limite, une seule réalisation). Les états d’équilibre
uniforme étant spatialement décorrélés, nous pouvons facilement obtenir dans ce
cas particulier l’expression de la covariance des occupations par lien pour un état
6. Réalisation des mesures
119
d’équilibre à vitesse nulle. Elle est donnée par
(7i,(r)nj(r')> = + d(l - d)6ij6{r - r') (6.4)
qui provient du principe d’exclusion et qui est valable pour un gaz de Fermi à
l’équilibre. Nous pouvons en déduire immédiatement la fluctuation quadratique des
occupations par lien
= d(l _ d) (6.5)
et la variance par nœud des estimateurs (II.6.1)-(II.6.3) s’obtient aisément comme
= bd{l - d) (6.6)
{ê^ipUa,)) - ^ d{l d) (6.7)
(^s^ipe)) = bde{i - de). (6.8)
Nous constatons à partir de ces expressions que les gaz sur réseau sont des systèmes
très bruyants. Les fluctuations relatives de l’occupation par site sont supérieures
à 100% pour toutes les densités inférieures à 1/2 (cette limite sur la densité est
nécessaire si l’on veut que g{p) > 0) et la fluctuation de densité relative par nœud
dp!P = ■y/(l — d)fbd' atteint quasiment 60 % pour une densité d = 0.3 dans le modèle
FHP. Il faut réaliser des moyennes sur plus de 133 nœuds indépendants pour que les
fluctuations de densité deviennent inférieures à 5%. Si l’on ne fait aucune moyenne
temporelle, ceci signifie qu’il faut faire des moyennes spatiales sur des régions de
« 12 X 12 nœuds pour avoir un niveau de bruit acceptable (pour réaliser un pavage
exact des domaines ayant souvent des tailles qui sont des puissances de deux, on
utilise le plus souvent des régions de 8 x 8 ou 16 x 16 nœuds qui conduisent à un
bruit sur la densité estimé respectivement à 7% et 4%). Lorsque l’on combine les
moyennes spatiale et temporelle, le gain en variance est généralement plus faible
que le produit lAfAt car les régions successives sont corrélées. Il est donc
préférable de choisir une seule de ces moyennes. Nous avons dans ce travail utilisé
le plus souvent des moyennes spatiales, sauf pour l’étude des marches aléatoires
sur réseau. Même si l’on utilise des moyennes spatiales, il est illusoire d’effectuer
des mesures à des temps séparés d’une durée inférieure à la taille caractéristique
des régions, puisque les grandeurs macroscopiques restent corrélées dans des régions
d’extension A sur des temps d’ordre A/cg et les mesures successives ne seraient donc
pas indépendantes (le raisonnement inverse s’applique si l’on utilise des moyennes
temporelles). Si l’on effectue des moyennes sur des régions de 16 nœuds, l’état du
système ne doit donc être mesuré au plus que tous les 25 pas de temps (et en
général beaucoup moins souvent, typiquement tous les 100 ou 200 pas de temps), ce
qui explique que, même si les opérations de moyenne nécessaires à la mesure sont
relativement complexes, elles ne représentent qu’une fraction négligeable du temps
de simulation.
Le prix à payer pour obtenir une amélioration du rapport signal/bruit des simula
tions est donc une réduction de la résolution spatiale ou temporelle. Cette réduction
dépend du nombre b de liens par nœud et de la dimension D de l’espace. De ce
point de vue, le modèle FCHC est donc beaucoup plus performant que le modèle
FHP qui est lui-même meilleur que le modèle HPP. H est intéressant de remar
quer que la donnée du rapport signal/bruit exigé des simulations fixe une séparation
d’échelles minimale entre la longueur des liens et l’écheUe de variation des grandeurs
macroscopiques (et donc également un nombre minimum de pas de temps de simu
lation) puisque la taille des régions doit être petite vis-à-vis de cette échelle. Comme
l’amplitude des gradients dépend de la taille des obstacles (ou du réseau lui-même),
la taille minimale des obstacles et du réseau, ainsi que le temps de calcul, dépendent
donc de la précision attendue des simulations. Heureusement, comme nous venons
de l’évaluer ci-dessus, un comportement quasi-macroscopique est déjà atteint pour
des régions ne contenant que w 1000 liens (soit typiquement 300 particules et des
régions de 12 x 12 nœuds pour le modèle FHP). La rapidité de la convergence vers un
comportement hydrodynamique et la validité de l’approximation de milieu continu
à des échelles aussi petites (quelques dizaines de libre parcours moyen seulement)
constituent une excellente justification de la théorie du chapitre I tout en fixant ses
limites de validité.