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3.   L’AChE, CIBLE D’UN VASTE RÉPERTOIRE DE LIGANDS 32

3.1   Les organophosphorés 32

3.1.3   Réactivation de l’AChE inhibée par un OP 37

Les traitements

Le traitement prophylactique actuel (recommandé par les armées de l’OTAN) repose sur l’injection préalable de bromure de pyridostigmine, un composé appartenant à la classe des carbamates [R-N-(C=O)O-R]. La pyridostigmine vise à inhiber transitoirement l’AChE. Ce traitement est loin d’être parfait puisque ce composé ne franchit pas la BHE. Il a toutefois été utilisé au cours de la première guerre du Golfe en 1991 pour protéger les soldats en cas d’attaque chimique [Soreq & Seidman 2001]. La pyridostigmine est suspectée d’être, au moins partiellement, à l’origine des troubles cognitifs et physiologiques rapportés par les vétérans de cette guerre, et connus aujourd’hui sous le nom de syndrome de la guerre du Golfe. Le stress auquel étaient soumis les soldats aurait permis à la pyridostigmine de franchir la BHE. L’origine du syndrome a probablement, toutefois, des causes multifonctionnelles.

En cas d’intoxication par les OP, le traitement repose sur l’injection de trois composés pour pallier les défaillances vitales qui en résultent, en sus des procédures classiques de réanimation. Un anticonvulsivant (benzodiazépines telle que le diazépam) réduit l’excitabilité du neurone post-synaptique. L’atropine, un antagoniste cholinergique (antimuscarinique), permet le blocage des récepteurs cholinergiques muscariniques au niveau du SNC et du système nerveux autonome, mais pas au niveau des jonctions neuromusculaires. Une oxime, enfin, doit permettre la réactivation de l’AChE non encore vieillie.

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Schéma 4. Structures de sept oximes parmi les plus étudiées.

C’est l’inefficacité des antimuscariniques à restaurer la fonction cholinergique au niveau des jonctions neuro-musculaires qui à conduit au développement des oximes quaternaires dans les années 50. Le 2-PAM (pralidoxime, 2-pyridine aldoxime) est la première oxime à avoir été synthétisée [Wilson & Ginsburg 1955]. Le TMB-4 (trimedoxime), un composé bispyridinium, s’avéra plus efficace que le 2-PAM, notamment en cas d’empoisonnement au tabun [Hobbiger & Sadler 1959; Poziomek 1958]. Des milliers d’autres oximes ont été synthétisées depuis (Schéma 4). L’obidoxime (toxogonine), synthétisée par l’équipe de

39 Hagedorn, reste à ce jour l’un des meilleurs réactivateurs d’AChE inhibée par des pesticides OP. La même équipe est également à l’origine de la synthèse de deux réactivateurs, le HI-6 [Oldiges & Schoene 1970] et le H-Lö7 [Eyer 1992], surclassant toutes les oximes susmentionnées dans leur efficacité à réactiver l’AChE inhibée par des agents neurotoxiques.

Seuls la pralidoxime et l’obidoxime ont été commercialisées à ce jour, malgré une efficacité médiocre à réactiver l’AChE inhibée notamment par le soman et le cyclosarin [Worek 2005]. Le HI-6 et le TMB-4 sont également employés par l’armée américaine.

Bases structurales du mécanisme de réactivation

La réactivation par les oximes repose sur l’attaque nucléophile de l’atome de phosphore de l’OP lié à la sérine catalytique par la fonction oximate (NO-) de l’oxime. Dans un premier temps, l’oxime se lie à l’adduit OP, formant un conjugué oxime-phosphyle- AChE réversible (état de transition penta-coordonné). La sérine catalytique est ensuite libérée par le départ de l’oxime phosphylée. L’état de protonation de l’oximate est crucial pour la réactivation : l’efficacité des oximes dépend donc du pH.

L’efficacité des oximes à réactiver l’AChE a été testée pour de nombreux couples OP/oximes [Aurbek 2006; Worek 2002; Worek 2004]. Malgré l’accumulation de nombreuses données, aucune relation claire reliant l’efficacité et la structure de l’oxime n’a pu être établie. En conséquence, l’efficacité d’une oxime est difficile à prévoir. La modélisation [Kovarik 2004; Kovarik 2006; Luo 2003; Wong 2000] puis la caractérisation par cristallographie aux rayons X [Ekström 2006a; Ekström 2007] de structures d’AChEs en complexe avec des oximes a permis de confirmer et de révéler les sites d’interaction entre AChE et oximes. Ainsi, le 2-PAM se fixe dans le site actif de la

TcAChE via des interactions de type cation-π avec le Trp84 (code PDB 2vq6). Il a été

mis en évidence que les oximes bis-pyridinium HI-6, obidoxime, ortho-7 et HLö-7 [Ekström 2007] se lient au niveau du PAS de la mAChE [Ekström 2006a] via des interactions de type cation-π impliquant un noyau pyridinium, pris en sandwich entre le Trp286(279) (la numérotation est celle de la mAChE ; les nombres entre parenthèses réfèrent à la TcAChE) et la Tyr124(121) (HI-6 et HLö-7) ou le Trp286(279) et la Tyr72(70) (obidoxime et ortho-7). Les changements conformationnels des résidus du PAS impliqués dans la liaison aux oximes dans les complexes susmentionnés suggèrent

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qu’une flexibilité de l’enzyme est nécessaire pour accommoder ces oximes. En outre, en se liant au niveau du PAS, la fonction oximate de ces oximes pointe vers le fond de la gorge. Il a été montré que la réactivation nécessite l’alignement de l’oximate, du phosphore de l’OP et de l’oxygène de la sérine catalytique [Ashani 1995]. La liaison d’une oxime au niveau du PAS permet non seulement une meilleure stabilisation de l’oxime dans l’AChE, mais aussi une orientation plus favorable à la réactivation. L’encombrement stérique du site actif de l’AChE joue également un rôle dans l’efficacité des réactivateurs.

Obtenir la structure de complexes ternaires AChE-OP-oxime représente une des pistes les plus prometteuses en vue de concevoir des réactivateurs à spectre d’OP plus larges et plus efficaces que les oximes synthétisés jusqu’à ce jour. L’obtention de ces structures par cristallographie aux rayons X est un défi pour plusieurs raisons. D’une part, les oximes bispyridinium sont des molécules flexibles. D’autre part, la liaison de l’oxime à l’AChE phosphorylée conduit à la réactivation. Cependant, les structures de la mAChE non- vieillie inhibée par le tabun et en complexe avec le HLö-7 ou l’ortho-7 [Ekström 2007] (codes PDB 2jez et 2jf0) et de la mAChE non-vieillie ou vieillie inhibée par le sarin en complexe avec le HI-6 ont été obtenues [Ekstrom 2009] (code PDB 2whp et 2whq). Pour y parvenir, les cristaux ont été trempés successivement dans des solutions contenant l’OP et l’oxime pendant des durées appropriées (de l’ordre de la minute). Ces structures ont permis de préciser les mécanismes de la réactivation.

Les oximes présentent un inconvénient majeur. Après la réactivation, la phosphyloxime formée peut inhiber à nouveau l’AChE [Ashani 2003; Luo 1999]. Toutefois, dans le cas de la réactivation de l’AChE inhibée par le soman, les phosphyloximes sont instables si la fonction oxime est portée par le pyridinium en position 2 (c’est le cas du 2-PAM, du HI-6 et du HLö-7). L’inhibition par la phosphyloxime est alors moins probable en comparaison à une réactivation par des oximes de type 4-pyridinium comme le TMB-4. Les données concernant l’efficacité des réactivateurs doivent être nuancées. Pour des raisons éthiques évidentes, les essais sont pratiqués in vitro ou sur des animaux, puis sont extrapolés à l’homme. En outre, les oximes ne représentent pas l’unique stratégie de lutte contre l’empoisonnement aux OP. Deux types de bioépurateurs sont également en développement.

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Les piégeurs catalytiques

Les enzymes à l’essai pour ce rôle sont les carboxylestérases [Maxwell & Brecht 2001] et les ChEs [Masson 2008]. La huBChE devrait remplacer la pyridostigmine au sein de l’armée américaine, et être commercialisée à la fin de l’année 2009 (Protexia®).

Les piégeurs catalytiques, injectés dans le sang de manière préventive, peuvent inactiver les OP en les liant de manière irréversible avant qu’ils n’atteignent leur cible, l’AChE, en particulier au niveau du SNC et des jonctions neuromusculaires.

Les bioépurateurs catalytiques

Les bioépurateurs catalytiques ne se contentent pas de piéger l’OP, mais le dégradent également. C’est le cas de la phosphotriestérase (PTE) bactérienne [Dumas 1990] et de la paraoxonase humaine [Rochu 2007] (ces enzymes sont optimisées par évolution dirigée). Des mutants de huBChE ont été développés, parmi lesquels le G117H [Lockridge 1997; Millard 1995], mais ils possèdent une activité beaucoup plus faible que celle de la PTE.