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5.   MÉTHODOLOGIE 50

5.1   La cristallographie des protéines 50

5.1.9   La cristallographie cinétique 72

La cristallographie cinétique regroupe un ensemble de techniques basées sur la cristallographie aux RX et des méthodes complémentaires qui sont le plus souvent spectroscopiques. C’est une méthode qui permet de caractériser les différents états conformationnels d’une protéine permis par sa dynamique. Dans le cas d’une enzyme, elle vise à capturer les intermédiaires réactionnels qui existent dans la suite des évènements de la réaction catalytique (chemin réactionnel). L’idée maîtresse est le contrôle de l’évolution de la réaction par la température, la pression, ou l’irradiation par la lumière UV/visible ou les RX. Nous détaillerons ici les principes de ces méthodes ainsi que leurs limitations. Pour de plus amples informations, le lecteur pourra consulter les revues récentes sur le sujet [Bourgeois & Royant 2005; Bourgeois & Weik 2009].

5.1.9.1 Activité  dans  la  forme  cristalline  

Bien que la plupart des enzymes restent actives sous forme cristalline [Mozzarelli & Rossi 1996], certains écueils doivent être évités dans l’interprétation de données cristallographiques. Les interactions qui maintiennent l’édifice cristallin sont faibles : elles ne concernent en général que quelques résidus de surface. L’énergie associée à un contact cristallin est de l’ordre de grandeur de celle d’une liaison hydrogène (~10 kcal.mol-1). Il arrive que l’empilement cristallin concerne des résidus importants pour l’activité catalytique. Plus rarement, ces contacts peuvent gêner le trafic des substrats et produits. Toutefois, les protéines conservent leur flexibilité sous forme cristalline, comme

73 en attestent l’impossibilité de modéliser certains acides aminés, la dépendance en température des facteurs B [Petsko & Ringe 1984] et l’hétérogénéité structurale qui caractérise les cristaux de protéines [Smith 1986]. Le pH et la nature du solvant sont également des facteurs qui peuvent gêner l’activité ou conduire à l’observation de conformations artéfactuelles. Une expérience de cristallographie cinétique sera donc possible uniquement si les conditions cristallographiques (empilement cristallin, température, pH, force ionique, présence de certains ligands, etc) n’entravent pas l’activité de la protéine.

Nous avons mentionné plus haut que le paysage conformationnel d’une enzyme dépend de la température. Il s’ensuit que les SC piégés à basse température peuvent se révéler être des SC minoritaires à température ambiante.

5.1.9.2 Uniformité,  synchronisation  et  stratégies  de  déclenchement  

Parce que les différences entre l’enzyme native et son intermédiaire réactionnel sont souvent subtiles, la population dans la forme « excitée » doit être la plus homogène possible afin d’être résolues par la diffraction aux rayons X (une structure déterminée par CRX est une moyenne de toutes les molécules du cristal ayant participé à la diffraction). Il faut donc synchroniser le déclenchement de la réaction dans les molécules présentes dans le cristal, lequel est composé d’environ 1014 protéines. En pratique, la vitesse de déclenchement de la réaction doit être beaucoup plus grande que celle de l’avancement de la réaction catalytique envisagée. Une vitesse de déclenchement lente suffit dans les cas où le piégeage est réalisé à basse température, ou lorsque l’intermédiaire ne peut pas évoluer en raison d’une mutation dirigée ou de l’empilement cristallin. On peut dans ces cas envisager des trempages ou l’initiation de la réaction par exposition à une lumière. Trois stratégies de déclenchement ont été proposées.

_ La diffusion d’un ligand est la plus simple à mettre en en place. Toutefois, la diffusion est un processus lent. Par exemple, le coefficient de diffusion de la fluorescéine a été mesuré à ~3.1018 m2.s-1 dans les canaux de solvant du lysozyme orthorhombique larges de ~2 nm [Cvetkovic 2005]. On peut grossièrement estimer que, dans un cristal de dimension caractéristique de l’ordre de 100 µm, les protéines les plus enfouies seront atteintes au bout d’une milliseconde environ. On notera tout de même que les canaux de

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solvant du lysozyme sont particulièrement étroits. L’effet du confinement est, évidemment, moins important dans un cristal dont les canaux sont plus larges.

_ L’activation d’une réaction par application d’une irradiation laser (dans le domaine UV/visible) est beaucoup plus rapide. Elle suppose néanmoins la photosensibilité de la protéine ou l’utilisation d’un composé photosensible externe tel qu’un ligand en cage. L’avantage est que le déclenchement peut être réalisé à n’importe quelle température. La réaction peut ensuite être contrôlée par la température.

_ Le déclenchement par l’irradiation X possède les mêmes avantages que la précédente méthode. Cela concerne des réactions redox initiées par les radicaux libres générés par la radiolyse de l’eau. Des liaisons sensibles aux rayons X permettront également cette approche. Il faut toutefois être capable de déconvoluer les dommages d’irradiations aux RX afin d’être en mesure d’interpréter les données.

5.1.9.3 La  diffraction  de  Laue  :  cristallographie  en  temps  résolu  

La diffraction de Laue est la méthode historique de diffraction des rayons X. C’est pour la découverte de la diffraction de ces derniers par des réseaux cristallins tridimensionnels que Max von Laue reçut le prix Nobel de physique en 1914. Toutefois, cette méthode utilise un faisceau de rayons X polychromatique. Par la suite, la résolution de structures, et en particulier de celles des protéines, s’est faite avec des faisceaux monochromatiques pour la plus grande simplicité de traitement des clichés de diffraction.

Pourtant, la diffraction de Laue connaît un nouvel âge d’or dans le domaine de la cristallographie cinétique depuis l’avènement des synchrotrons. Les faisceaux de rayons X très intenses combinés à l’utilisation de détecteurs et d’obturateurs plus rapides a permis de réaliser l’enregistrement de clichés de diffraction en 100 ps [Schotte 2004]. La méthode de cristallographie cinétique par diffraction de Laue repose le plus souvent sur une stratégie « pompe/sonde ». Une courte impulsion laser est d’abord appliquée à l’échantillon pour l’amener à sa forme excitée, suivie d’une courte impulsion de rayons X. Cette séquence est répétée autant de fois que nécessaire pour parcourir l’ensemble du réseau réciproque et diminuer le rapport signal/bruit. La durée séparant l’impulsion laser de l’impulsion de rayons X peut être variée pour balayer la dimension temporelle, et ainsi permettre in fine d’obtenir le film de la réaction catalytique.

75 La diffraction de Laue n’est toutefois applicable qu’à un nombre limité de protéines. Non seulement l’échantillon doit être le siège d’une réaction photo-déclenchable et réversible, mais il doit également présenter une faible mosaïité et pouvoir supporter une grande dose de RX sans perdre son pouvoir de diffraction. En outre, le traitement des clichés de diffraction Laue s’avère généralement complexe.

5.1.9.4 La  cristallographie  cinétique  par  piégeage  d’intermédiaires  réactionnels  

Les méthodes de piégeage sont, elles, plus faciles à mettre en œuvre et s’adressent potentiellement à toutes les protéines qui produisent des cristaux d’une qualité de diffraction suffisante.

Dans la stratégie de piégeage, on cherche à accumuler l’intermédiaire réactionnel avant de le piéger, en général, par refroidissement ultra-rapide. L’utilisation d’un analogue de substrat, d’un mutant ou tout changement dans la nature du solvant (le pH, par exemple) ne permettant pas le prolongement de la réaction au-delà de cet intermédiaire est également possible.

Si le déclenchement ne nécessite pas une synchronisation rapide, on peut amorcer la réaction avant le refroidissement ultra-rapide (stratégie «trigger-freeze »). Lorsque l’intermédiaire est transitoire où qu’il survient rapidement après l’initiation de la réaction, on cherchera plutôt à figer le système avant d’initier la réaction (stratégie « freeze- trigger »). Dans le cas d’une réaction photo-activable, on pourra refroidir le système avant de l’exciter, puis jouer sur la température pour ajuster l’avancement de la température. On peut également artificiellement modifier la hauteur de la barrière énergétique (mutagenèse, pH) de façon à laisser s’accumuler l’intermédiaire qui ne pourra pas évoluer.

Peu importe la stratégie choisie, l’échantillon est amené à une température adaptée à la collecte de données cristallographiques (autour de 100 K).

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