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2. Effet de référence à soi, mémoire et identité dans le vieillissement

2.6. Quid du rôle des fonctions exécutives, de la mémoire et du fonctionnement cognitif

fonctionnement cognitif global dans l’effet de référence à soi

2.6.1. Le rôle des fonctions exécutives

Les fonctions exécutives sont des processus cognitifs de haut niveau impliqués dans le contrôle et la régulation de nos pensées et actions lors de nos comportements dirigés vers un but (pour revue, voir Friedman et Miyake, 2016). Elles agissent pour cela sur des processus de niveau plus bas, en supprimant des comportements habituels. Par exemple, lorsque vous rentrez tard le soir chez vous, votre main se dirige automatiquement vers l’interrupteur pour allumer la lumière. Un jour, l’ampoule grille. Dans les jours qui suivront, vous rentrerez chez vous chaque soir et dirigerez votre main machinalement vers l’interrupteur, même si vous savez que l’ampoule est grillée. Ce comportement habituel se supprimera lentement, via l’influence des fonctions exécutives.

Les fonctions exécutives regroupent plusieurs processus cognitifs, assez hétérogènes. On compte parmi elles le contrôle et la mise à jour des représentations dans la mémoire de travail, la flexibilité mentale, l’inhibition de réponses ou encore le contrôle de la source (Friedman et al., 2006).

Le contrôle de la source est étroitement lié au concept de la mémoire du contexte, qu’elle soit spatiale, temporelle ou sociale (c’est-à-dire où, quand ou avec qui tel évènement s’est passé). Johnson et al. (1993) ont conceptualisé un modèle de contrôle de la source, sous la forme « d’un ensemble de processus impliqués dans l’attribution des origines de nos souvenirs, connaissances, et croyances ». Le contrôle de la source permet de faire le distinguo entre les vrais et les faux souvenirs. Il est influencé par de nombreux facteurs, tels que les connaissances de l’individu, sa capacité à évaluer la plausibilité ou la cohérence, son imagination, son contexte social, ses motivations, etc. Si l’attribution de la source d’un souvenir est correcte, alors survient

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le souvenir phénoménologique qui caractérise la récupération épisodique, à savoir le souvenir subjectif des détails contextuels qui donnent l'impression d’effectuer un voyage mental dans le temps et de revivre des expériences passées (Tulving, 2002). Avec l’âge cependant, les processus exécutifs tels que le contrôle de la source sont altérés, peut-être parce que le cortex préfrontal subit plusieurs changements anatomiques et fonctionnels (pour revues, voir Yonelinas, 2002 et Grady, 2008). Comme mentionné précédemment, les personnes âgées présentent des déficits de mémoire contrôlée ou explicite, tandis que la mémoire automatique ou implicite est relativement préservée. La mémoire de la source pour les détails perceptifs et associatifs (par exemple, les couleurs et les couleurs d'une voiture), à savoir la recollection, est altérée avec l'âge, alors que la familiarité reste inchangée. Pour rappel, les tâches de rappel libre et de rappel de la source subjective engagent plutôt des processus contrôlés, tandis que les tâches de reconnaissance et de rappel de la source objective engagent davantage des processus automatiques, implicites, pour récupérer les informations en mémoire. Quoi qu’il en soit, nous avons vu dans le paragraphe 2.5. que les sujets âgés bénéficient de l’ERS au même titre que les sujets jeunes, quelle que soit le type de tâche utilisée. Ceci peut suggérer deux choses : soit la référence à soi restaure le contrôle de la source des adultes âgés, soit le contrôle de la source n’est pas une fonction exécutive impliquée dans l’ERS. Nous penchons plutôt vers le second argument.

En effet, lorsqu’elles sont considérées plus largement et que leur influence est testée de façon indirecte, les fonctions exécutives ne semblent véritablement pas être impliquées dans l’ERS. Dans leur étude, Glisky et Marquine (2009) avaient constitué deux groupes de sujets âgés sur la base de leurs performances à des tests de fonctions exécutives. La batterie de tests incluait 1) la version modifiée du Winsconsin Card Sorting Test (Hart, Kwentus, Wade, et

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phonémique (Spreen et Benton, 1977) qui évalue la capacité à générer des mots à partir de lettres données (F, A et S dans cette instance) et 3) le subtest d’arithmétique mentale du

Wechsler Adult Intelligence Scale-Revised (Wechsler, 1981) et le subtest Backward Digit Span du Wechsler Memory Scale-Troisième édition (WSM-III, Wechsler, 1997), qui évaluent tous

deux principalement la mémoire de travail. Glisky et Marquine (2009) créèrent ainsi deux groupes de sujets âgés : un groupe avec de bonnes performances, et un autre avec de faibles performances de fonctions exécutives. Les deux groupes réalisèrent ensuite une tâche classique de mémoire avec référence à soi, suivie d’une épreuve de reconnaissance. Il apparut que les deux groupes de sujets âgés bénéficiaient de l’ERS de façon égale. Ainsi, les fonctions exécutives dans leur globalité ne semblent pas nécessaires pour obtenir un ERS.

2.6.2. Le rôle de la mémoire

Par ailleurs, Glisky et Marquine (2009) ont également évalué de façon indirecte le rôle des mémoires épisodique et sémantique dans l’ERS, en subdivisant leur population de sujets âgés en deux groupes : sur la base de leurs performances à une batterie de test évaluant la mémoire épisodique dans une première expérience, puis sur la base de leur âge dans une seconde. Dans la première expérience, la batterie de test évaluant la mémoire épisodique était constituée de subtests du WSM-III (Wechsler, 1997), d’un subtest du Wechsler Memory Scale - Revised (Wechsler, 1997) et du rappel indicé différé du California Verbal Learning Test

(Delis, Kramer, Kaplan, et Ober, 1987). Glisky et Marquine (2009) créèrent alors, comme précédemment, deux groupes de sujets âgés : un groupe avec de bonnes performances, et un autre avec de faibles performances de mémoire épisodique. Les deux groupes réalisèrent ensuite la tâche classique de mémoire avec référence à soi, suivie d’une épreuve de reconnaissance. Les résultats indiquèrent que les deux groupes de sujets âgés constitués obtenaient un ERS

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similaire, excluant ainsi la nécessité d’une mémoire épisodique intègre pour bénéficier de cet effet mnésique. Dans la seconde expérience évaluant le rôle de la mémoire sémantique, Glisky et Marquine (2009) subdivisèrent leur population de sujets âgés en fonction de leur âge. Un premier groupe était constitué de sujets âgés entre 66 et 75 ans, et un deuxième de sujets âgés entre 76 et 91 ans. En effet, il est suspecté que la mémoire sémantique ne commencerait à véritablement décliner qu’à partir de 75 ans environ (Rönnlund, Nyberg, Bäckman, et Nilsson, 2005 ; Eustache, Faure, et Desgranges, 2013). Les deux groupes réalisèrent ensuite la tâche classique de mémoire avec référence à soi, suivie d’une épreuve de reconnaissance. Les résultats indiquèrent que les deux groupes de sujets âgés obtenaient le même ERS, excluant par là-même la nécessité d’une mémoire sémantique intègre pour obtenir l’effet.

2.6.3. Le rôle du fonctionnement cognitif global

Enfin, le rôle du fonctionnement cognitif global dans l’ERS a été évalué dans de nombreuses études. Gutchess, Kensinger, Yoon, et al. (2007) ont évalué de façon indirecte la vitesse de traitement de leurs sujets via des tâches administrées entre les phases d’encodage et de reconnaissance lors la tâche de référence à soi. En l’occurrence, il s’agissait de tâches de comparaison de chiffres (Hedden et al., 2002) et de patterns (Salthouse & Babcock, 1991). Les résultats ne montrèrent pas d’influence indirecte des performances en termes de vitesse de traitement sur l’obtention de l’ERS chez les sujets âgés. La vitesse de traitement d’informations personnelles a par ailleurs été évaluée directement, au travers des temps de réaction des sujets lorsqu’ils devaient juger un item en référence à eux-mêmes. Les temps de réactions semblent varier à travers les études, entre les sujets jeunes et les sujets âgés, ainsi qu’au sein de groupes de sujets âgés en fonction du contenu du matériel à encoder. Par exemple, si des traits de caractère sont reconnus comme décrivant plutôt bien soi-même à première vue, alors les temps

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de réaction peuvent être identiques chez les adultes jeunes et âgés (Mueller et Ross, 1984 ; Gutchess, Kensinger, Yoon, et al., 2007 ; Kalenzaga et al., 2015), ou plus lents chez les adultes âgés que chez les adultes jeunes (Yang et al., 2012). En outre, si des traits de caractère ne paraissent pas vraiment correspondre à soi au premier abord, les temps de réaction des sujets âgés pour donner une réponse sont plus lents que les temps de réactions pour des traits de caractère qui semblent plutôt bien correspondre à soi, tandis qu’aucune différence n’est notée pour les sujets jeunes (Mueller et al., 1986). Même si l’ensemble de ces résultats est hétérogène, le constat ultime est consensuel : les temps de réaction n’influencent pas l’ERS au cours du vieillissement.

En résumé, ni l’intégrité des fonctions exécutives, ni de celle des mémoires épisodique et sémantique et ni celle du fonctionnement cognitif global ne sont nécessaires pour que l’ERS s’établisse. En d’autres termes, ceci suggère fortement que la référence à soi est un processus spontané, automatique et qui ne demande pas d’effort cognitif. Le chapitre qui suit fournit des arguments supplémentaires en faveur du caractère automatique et spontané de la référence à soi, et pose en outre la question du rôle de la valence du matériel.

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