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2. Interprétations des principaux résultats de la thèse

2.2. Effets de l’estime de soi sur l’ERS

L’étude 1 (Leblond et al. 2016c, en préparation) a également montré un effet de l’estime de soi, ainsi qu’une interaction de l’âge et de l’estime de soi sur l’ERS pour des traits de caractère négatifs. Concernant l’effet de l’estime de soi sur l’ERS, nous avons montré que les sujets jeunes et les sujets d’âge intermédiaire avec une mauvaise estime d’eux-mêmes avaient un ERS d’amplitude plus grande pour les traits de caractères négatifs que les sujets jeunes et les sujets d’âge intermédiaire avec une bonne estime d’eux-mêmes. De plus, chez les sujets d’âge intermédiaire avec une bonne estime d’eux-mêmes, l’ERS pour des traits de caractère négatifs avait disparu. En d’autres termes, la bonne estime de soi des sujets d’âge intermédiaire conduisait ces derniers à ne plus reconnaitre, voire à oublier les traits de caractère négatifs qu’ils avaient traité en référence à eux-mêmes. Chez les sujets âgés en revanche, l’estime de soi n’avait aucun impact sur l’ERS pour des traits de caractère négatifs : l’amplitude de l’effet était le même, quel que soit le niveau d’estime de soi. Concernant l’interaction de l’âge et de l’estime

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de soi, nos résultats montrent que chez des sujets jeunes avec une mauvaise estime d’eux-mêmes, l’ERS pour des traits de caractère négatif est exacerbé, comparé à celui de sujets âgés avec une faible estime d’eux-mêmes.

Markus (1977) envisageait un schéma du soi contenant des généralisations cognitives sur ce dernier, et servant de dispositif d’encodage facilitant la mémorisation d’informations en adéquation avec son contenu. Cette suggestion fait écho à l’importance de la congruence des traits avec le schéma du soi dans l’établissement de l’ERS. En outre, Anderson et Reder (1979) soulignaient que la rétention d’informations relatives au soi dépendait du nombre de traitements élaborés effectués dans le passé, soit de la pratique d’un individu à élaborer. De ces points de vue, concernant l’interaction de l’âge et de l’estime de soi que nous rapportons dans l’étude 1 (Leblond et al. 2016c, en préparation), nous pouvons suggérer que les sujets jeunes avec une mauvaise estime d’eux-mêmes trouvaient les traits de caractère négatifs plus en adéquation avec leur schéma du soi que les sujets âgés avec une mauvaise estime d’eux-mêmes. En revanche, il est fort probable que les sujets âgés eussent effectué plus de traitements élaborés sur des traits de caractère négatifs que les sujets jeunes dans le passé, puisque ces premiers ont justement vécu plus longtemps que les seconds. Ainsi, la consistance des traits de caractère négatifs avec le schéma du soi des sujets jeunes joua un rôle bien plus important que l’élaboration dans ce résultat. Il n’est pas à exclure que l’élaboration n’ait même pas joué de rôle. La force de l’identité et la congruence des traits de caractère négatifs avec le schéma du soi ont donc exacerbé l’ERS pour des traits de caractère négatifs des sujets jeunes ayant une mauvaise estime d’eux-mêmes. Chez les sujets âgés avec une faible estime d’eux-mêmes, l’atténuation de l’ERS pour des traits de caractère négatifs pourrait justement s’expliquer par le fait que ces derniers ont des représentations d’eux-mêmes –soit une identité- plus nuancées. De fait, l’effet de la congruence des traits négatifs avec leur schéma du soi a été plus faible. Cette

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suggestion est en accord avec l’étude de Mueller et al. (1986), qui rapportait que les sujets âgés avaient un répertoire plus large de représentations sémantiques de leurs propres traits de personnalité, à la fois positifs et négatifs, que les sujets jeunes. Cette interaction de l’âge et de l’estime de soi sur l’ERS pourrait aussi s’expliquer en vertu de la théorie de la sélectivité socio-émotionnelle qui souligne que plus les individus vieillissent, plus ils tendent à se rappeler davantage d’informations positives que négatives (pour revue, voir Reed et Carstensen, 2012). En d’autres termes, les individus âgés présentent un effet de positivité sur la mémoire. Ainsi dans notre étude 1, le groupe de sujets âgés avec une mauvaise estime de soi a pu présenter un effet de positivité indirect sur leur mémoire, en reconnaissant moins de traits de caractère négatifs traités en référence à eux-mêmes que les sujets jeunes avec une mauvaise estime d’eux-mêmes. Cet effet indirect a pu résulter d’une élaboration moins prononcée des traits de caractère négatifs.

Il est important de noter que, quelle que soit l’estime de soi (faible ou forte) des participants, chaque groupe (hormis celui des sujets d’âge intermédiaire avec une forte estime d’eux-mêmes) présentait un ERS à la fois pour les traits de caractère négatifs et positifs. Si la consistance des traits avec le schéma du soi des participants avait été le seul facteur responsable de l’ERS, alors nous aurions dû observer des différences entre les groupes de participants pour les traits de caractère positifs. Les participants avec une forte estime d’eux-mêmes auraient présenté un ERS plus grand pour les traits de caractère positifs que ceux avec une faible estime d’eux-mêmes. De plus, les sujets âgés avec une faible estime d’eux-mêmes auraient dû présenter un ERS plus grand pour les traits de caractères négatifs que les sujets âgés avec une haute estime d’eux-mêmes. Ce ne fut pas le cas. La consistance des traits avec le schéma du soi a modulé l’ERS uniquement chez les sujets jeunes et intermédiaires avec une faible estime d’eux-mêmes : en l’occurrence, elle l’a amplifié. La consistance des traits avec le schéma du

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soi a également modulé l’ERS pour les traits de caractère négatifs chez les sujets d’âge intermédiaire avec une forte estime de soi : en l’occurrence, elle l’a aboli. Ceci indique que la consistance des traits de caractère avec la valence de l’identité peut parfois moduler l’ERS, mais ce n’est donc pas le seul et unique facteur.

Ces résultats sont en faveur du postulat de Rogers et al. (1977) : l’ERS est un schéma super-ordonné qui traite et stocke préférentiellement des informations personnelles en

mémoire. L’ERS est donc avant tout dépendant de l’identité, et il est uniquement modulé par des traits de caractère négatifs. Nous ajoutons que, dans cette optique, il résulte de deux processus distincts : la consistance des traits avec le schéma du soi et l’élaboration automatique des traits avec le schéma du soi. Lorsque la valence négative de l’identité était forte, à savoir, dans l’étude 1, lorsque les sujets jeunes et d’âge intermédiaire avaient une mauvaise estime d’eux-mêmes, l’effet de la consistance des traits négatifs avec le schéma du soi était tel qu’il résultait en des ERSs d’amplitude exacerbée. Il est possible, dans ce cas, que des processus d’élaboration aient lieu. Lorsque la valence positive de l’identité était forte, à savoir, lorsque les sujets d’âge intermédiaire avaient une bonne estime d’eux-mêmes, l’effet de l’inconsistance des traits négatifs avec le schéma du soi annulait l’ERS, probablement car, par conséquence, il n’a pas permis aux sujets d’âge intermédiaire d’effectuer des traitements élaborés sur ces derniers.

Les résultats que nous rapportons chez les sujets jeunes (Leblond et al. 2016c, en préparation) contredisent ceux de l’étude de Green et al. (2008), qui montraient que des jeunes sujets avec une faible estime d’eux-mêmes présentaient de moins bonnes performances de rappel libre pour des traits de caractère négatifs traités en référence à eux-mêmes que ceux avec une bonne estime d’eux-mêmes, puis présentaient des performances de reconnaissance de traits de caractère positifs et négatifs égales à celles des sujets jeunes avec une bonne estime

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mêmes. En d’autres termes, la consistance des traits de caractère avec leur schéma du soi ne modulait pas leur ERS pour des traits de caractère négatifs. Nous avons obtenu des résultats différents de ceux de Green et al. (2008) car nous n’avons vraisemblablement pas considéré l’estime de soi de la même manière que ces derniers. En effet, Green et al. (2008) avaient induit une mauvaise estime de soi chez les participants juste avant la tâche de référence à soi en utilisant un test de créativité Les participants devaient passer ce test et les auteurs leur attribuaient de mauvaises performances, ce qui était censé dévaluer leur estime d’eux-mêmes. Nous pensons que, même si ce fut le cas, ce sentiment d’avoir été dévalué n’avait pas dû être fortement ressenti par les participants et, de plus, ce sentiment a très bien pu disparaître progressivement lors de la tâche de référence à soi. En revanche, les sujets jeunes de notre étude 1 (Leblond et al. 2016c, en préparation) présentaient une mauvaise estime de soi qui avait été mesurée. Elle s’étalait en outre sur toute la durée de la tâche de référence à soi. Par ailleurs, ce sentiment d’être dévalué devait être plus fort chez ces derniers.