• Aucun résultat trouvé

2. Interprétations des principaux résultats de la thèse

2.3. Effets des expériences de vie sur l’ERS

Au travers de l’étude 2, nous avons montré pour la première fois que les patients aMCI avaient une faible estime d’eux-mêmes par rapport à des sujets sains du même âge, et nous avons répliqué les résultats de précédentes études chez les patients MA, à savoir le fait que ces derniers présentent une estime d’eux-mêmes toute aussi élevée que celles de sujets sains contrôles (Eustache et al., 2013 ; Kalenzaga et Clarys, 2013 ; Lalanne et al., 2013). La tâche de mémoire avec une condition de référence à soi s’avéra trop difficile pour les patients MA, limitant notre analyse de groupe. Des analyses fines et complémentaires nous ont toutefois indiqué que, parmi les patients MA qui avaient réalisé la tâche, certains présentaient un effet

180

de référence à soi pour les traits de caractère positifs. Il est probable que nous aurions pu observer cet effet avec une cohorte de patients MA plus importante, comme dans l’étude de Lalanne et al. (2013). Notre étude et celle de Lalanne et al. (2013) suggèrent donc que l’ERS pour des traits de caractère positifs peut se maintenir chez des patients MA à un stade léger. Nous reconnaissons que des études complémentaires seraient nécessaires pour valider cette hypothèse.

Nous avions discuté dans la présente thèse des motivations du soi et de l’estime de soi, qui travaillaient de concert pour diminuer l’anxiété, la dépression, et augmenter un sentiment de bien-être (Taylor et al., 2003 ; Sedikides et al., 2004 ; Bonanno et al., 2005 ; Creswell et al., 2005 ; Trzesniewski et al., 2006 ; Cai et al., 2009). Nous avions également suggéré que l’effet de positivité sur la mémoire, la négligence mnémonique et le biais de diminution des émotions négatives lors du rappel de souvenir négatifs étaient des processus motivationnels interdépendants, voire complémentaires, tous trois permettant aux individus de défendre, maintenir ou augmenter une conception d’eux-mêmes positive en protégeant leur soi de feedbacks sociaux défavorables (pour revue, voir Campbell et Sedikides, 1999). Nous avions ainsi suggéré que l’ERS pouvait avoir la même fonction, à savoir défendre, préserver ou augmenter l’estime de soi, en facilitant la mémorisation d’informations identitaires positives. En ce sens, nous avions proposé que l’ERS fût un mécanisme de self-défense. Les résultats de l’étude 1 (Leblond et al. 2016c, en préparation) furent en contradiction avec cette proposition. En effet, si l’ERS avait été un mécanisme de self-défense, alors les sujets avec une faible estime d’eux-mêmes auraient dû mieux reconnaitre les traits de caractère positifs traités en référence à mêmes et moins bien reconnaitre les traits de caractère négatifs traités en référence à eux-mêmes. En revanche, l’étude 2 va dans le sens de cette suggestion, si tant est que les expériences de vie des individus soient prises en compte.

181

Nous avons en effet montré au travers de notre étude 2 que les patients aMCI avec une mauvaise estime d’eux-mêmes présentaient un ERS pour des traits de caractère positifs, mais pas négatifs (Leblond et al., 2016a). Nous proposons donc que les motivations du soi pour préserver la mémoire identitaire diffèrent en fonction de la santé des individus. En effet, dans notre étude 1 (Leblond et al. 2016c, en préparation), les sujets jeunes avec une mauvaise estime d’eux-mêmes ont pu se focaliser sur des aspects négatifs de leur personnalité et les rappeler plus facilement, car le temps subjectif qu’il leur reste à vivre leur semble important ; ils ont ainsi pu avoir l’impression qu’ils avaient encore beaucoup de temps devant eux pour changer. Par ailleurs, les aspects négatifs de leur personnalité ne compromettaient pas nécessairement leur bien-être de façon général. Les patients aMCI avec une faible estime d’eux-mêmes, en revanche, pourraient avoir inconsciemment (à savoir, de façon automatique) négligé les traits de caractère négatifs les renvoyant à des aspects négatifs de leur personnalité, car la conscience du temps qui leur reste à vivre est subjectivement diminuée et les aspects négatifs de leur personnalité compromettent leur statut social, et surtout leur bien-être. Parfois, certains patients aMCI ressentent un sentiment de stress après l’annonce du diagnostic. Ils adoptent des stratégies de coping, notamment des comportements d’évitement. A ce titre, l’ERS pour les patients aMCI semble bien être une stratégie de coping, à savoir un comportement d’évitement ou de négligence des aspects négatifs de leur personnalité, toujours dans le même but : préserver leur estime d’eux-mêmes en ne mémorisant/s’attribuant que des aspects positifs de leur personnalité pour préserver leur bien-être.

Contrairement aux patients MA de l’étude 2 (Leblond et al., 2016a) qui vivaient à domicile, les patients MA des études de Kalenzaga et al. (2013) et Kalenzaga & Clarys (2013) séjournaient en maison de retraite, et étaient de surcroit perçus de façon négative par le corps

182

médical (Kalenzaga et Clarys, 2013). Ces patients présentaient un ERS, mais uniquement pour des traits de caractère négatifs, alors que certains des patients MA de l’étude 2 présentaient un ERS uniquement pour des traits de caractère positifs. Nous suggerons donc que, lorsque ce mécanisme de self-défense visant à ignorer les informations négatives n’opère pas, l’environnement social même des patients doit être suspecté comme responsable. Ainsi, une dimension psychosociale de bonne qualité semble primordiale pour la préservation d’une bonne estime de soi et d’une mémoire identitaire associée dans la maladie, et cela peut être obtenu grace à la référence à soi.

Le paradigme de la référence à soi constitue donc une belle et pertinente méthodologie pour évaluer de façon quantitative les liens entre identité et mémoire. A notre connaissance, il n’existe pas à l’heure actuelle d’autre type de méthodologie quantitative pour explorer ces liens. Les méthodologies qualitatives emploient généralement des carnets dans lesquelles les participants doivent écrire des évènements de vie rappelés (pour exemple, voir Holmes et Conway, 1999). Ces méthodologies peuvent toutefois être biaisée par la tendance des individus à se créer de faux souvenirs, un tendance qui s’accentue par ailleurs avec le vieillissement (pour revue, voir Devitt & Schacter, 2016). Nous suggérons donc que le paradigme de la référence à soi pourraient constituer un outil précieux pour de futures études souhaitant étudier subtilement les liens entre mémoire et identité dans des populations où ces deux dernières composantes sont altérés. La liste de ces populations est longue ; il pourrait s’agir de patients atteint d’un syndrôme de stress post-traumatique, de patients atteints de démence sémantique, de patients amnésiques, de patients autistes, de patients atteints d’un cancer, ou encore de patients présentant des troubles de la personnalité (de type schizoïde, paranoïaque, antisociale, borderline, dépendante, obsessionelle-compulsive, etc.).

183