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Qui sont les Iroquoiens du Saint-Laurent?

Chapitre 2 : Cadre culturel et théorique

2.1. Qui sont les Iroquoiens du Saint-Laurent?

Il s’agit d’un groupe de la famille linguistique iroquoienne qui comprend aussi les Iroquois, les Hurons-Wendats, les Pétuns, les Wenros, les Neutres, les Ériés et les Andastes au moment du Contact (Tremblay 2006: 16). Les Iroquoiens du Saint-Laurent tout comme les autres Iroquoiens étaient un peuple cultivateur issu de groupes de chasseurs-cueilleurs ayant éventuellement opté pour un mode de vie plus sédentaire. Ce mode de vie est étroitement lié au nouveau mode de subsistance dominant, l’agriculture, et à la cristallisation des lignages maternels (Chapdelaine 1993b: 198 ; Tremblay 2006: 10).

La description des Iroquoiens du Saint-Laurent par les premiers colons et les indices archéologiques permettent de définir l’univers culturel de ce peuple. Ces groupes vivaient dans des maisons-longues formant des villages. Les femmes s’occupaient de tout ce qui avait trait au monde végétal et à la poterie. Les hommes, quant à eux, chassaient pour cet apport calorique toujours nécessaire fourni par le gibier (Tremblay 2006: 23). Ils partageaient ces grands traits avec tous les Iroquoiens desquels ils se distinguaient tout de même au niveau culturel et qui est reflété, entre autres, par le style de leur poterie (Tremblay 2006: 40). En effet, l’univers culturel iroquoien n’est pas uniforme. Nous pouvons observer des identités régionales se développer dès l000 ans avant notre ère, de par leur affirmation stylistique, à l’intérieur du territoire iroquoien (Clermont et al. 1983: 166). À l’intérieur même d’une région telle que l’Iroquoisie laurentienne, les indices archéologiques enregistrent une certaine variabilité (Chapdelaine 1991: 51).

Pour refléter cette variabilité, les archéologues ont divisé le territoire des Iroquoiens du Saint-Laurent en plusieurs régions distinctes qui partagent toutefois un certain nombre de traits (Chapdelaine 1989, 1990, 1995 ; Jamieson 1990 ; Pendergast 1991, 1993). Plusieurs hypothèses ont été proposées pour découper le territoire. Parmi les premières hypothèses se trouve celle d’un découpage culturel en trois provinces culturelles distinctes et autonomes : Occidentale, Centrale et Orientale (Chapdelaine 1989: 27) qui s’appuie sur les données ethnohistoriques et archéologiques (fig. 2.1.). En effet, les preuves archéologiques ne

sont pas les seules évidences permettant la proposition de provinces. Lorsque Jacques Cartier part explorer le fleuve Saint-Laurent en 1535, il croise deux concentrations démographiques importantes sur son chemin. Le premier groupe habite la région de Québec et le deuxième, la région de Montréal (Trigger et Pendergast 1978: 357). Il décrit deux villages qui se nomment respectivement Stadaconé et Hochelaga (Trigger 1972: 45). Le premier village domine la région nommée Canada selon les dires de Cartier et se rapporte au deuxième qui semble être le chef-lieu des Canadiens et des autres groupes situés le long de la vallée du Saint-Laurent (Biggar 1924: 161). Les provinces suggérées par Chapdelaine sont définies comme suit : la province orientale s’apparente à la région de Canada, la province occidentale nommée Hochelaga comprendrait le territoire entre l’île de Montréal et le Lac Ontario et la province centrale est délimitée par les sites archéologiques Mandeville, Lanoraie et Beaumier (Chapdelaine 1989: 257).

Une autre hypothèse s’appuyant davantage sur les recherches archéologiques et sur le modèle de confédération développé par les Hurons et les Iroquois pointe vers la présence de six régions culturelles (Chapdelaine 1989: 257). Ce découpage n’est cependant pas celui privilégié par Chapdelaine lors de la rédaction de sa thèse. Parmi ces régions distinctes se trouvent les deux provinces historiques Canada et Hochelaga. Les quatre autres provinces archéologiques sont situées autour du lac St-Pierre, de la région entre Summerstown et Cornwall, de la région encerclant Prescott et du secteur de la ville de Watertown (État de New York).

En date de 2006, la subdivision du territoire la plus proche des données archéologiques publiée par Tremblay propose six provinces qui diffèrent légèrement de celles décrites par Chapdelaine (fig. 2.2). Ainsi, la province la plus septentrionale est toujours celle de Canada où se trouve le site Masson. Vient ensuite la province du nom de Maisouna qui comprend les sites Lanoraie, Mandeville, Beaumier et Bourassa. La province la plus centrale est celle d’Hochelaga et s’étend jusqu’au sud du lac Saint-François où est situé le regroupement de villages qui comprend le site Droulers. La dernière province culturelle longeant le fleuve Saint-Laurent est constituée des regroupements de Prescott et de Summerstown en Ontario. Finalement, il pourrait exister deux autres provinces, l’une localisée dans le comté de Jefferson (État de New York) aux

abords du lac Ontario et l’autre située au nord du lac Champlain. La province du comté de Jefferson comprend quatre ou cinq regroupements de sites et la province près du lac Champlain repose sur une concentration de sites encore mal définie (Tremblay 2006 : 112-113). Ces deux dernières régions pourraient former une seule province. Pour une localisation des principaux sites iroquoiens du Saint-Laurent, voir la figure 2.3. Bien entendu, le découpage culturel des Iroquoiens du Saint-Laurent est constamment redéfini au fur et à mesure de la découverte de nouveaux sites et de l’analyse de leur contenu. À l’intérieur même de la province du comté de Jefferson, ce découpage a été redéfini plusieurs fois. William Engelbrecht a d’abord suggéré l’existence de quatre regroupements de sites : Ellisburg, Dry Hill, Rutland Hollow et Clayton Clusters (Engelbrecht 1995). Par la suite, David Fuerst et Timothy Abel ont proposé un cinquième regroupement de sites situé dans le comté voisin (St. Lawrence) ; le regroupement Black Lake (Fuerst 1996 ; Fuerst et Abel 1996). De plus, les regroupements Clayton et Dry Hill seraient contemporains (environ 1450-1550 de notre ère) alors que les regroupements Sandy Creek (anciennement appelé Ellisburg), Rutland Hollow et Black Lake seraient également contemporains mais plus anciens (environ 1350-1450 de notre ère). La datation relative et la sériation des sites ont permis la suggestion de certains mouvements de populations dans cette région. La population de Clayton se serait notamment dispersée vers le regroupement huron du comté de Prince Edward en Ontario alors que la population de Black Lake se serait déplacée pour former le regroupement Prescott en Ontario (Abel 2001, 2002 ; Abel et Fuerst 1999).

Michel Gagné, l’archéologue ayant, entre autres, découvert le site Droulers et travaillant pour la MRC du haut Saint-Laurent, suggère que les sites de la région de Saint- Anicet à eux seuls forment une province culturelle distincte (Gagné 1997: 51). Les sites de la région sont localisés sur la figure 2.4. Il importe de mentionner que l’analyse des pipes et des ossements des sites de la région confirment de prime abord cette hypothèse. Les pipes de trois sites villageois (McDonald (BgFo-18), Droulers (BgFn-l) et Mailhot-Curran (BgFn-2))(fig. 2.5) de la région de Saint-Anicet, dont le site Droulers forment un ensemble cohérent et sont très distinctes des pipes trouvées ailleurs en Iroquoisie laurentienne (Tremblay 2001: 32). Gates St-Pierre a déterminé que les collections des objets en os des mêmes trois sites présentent beaucoup de similarités entre eux, dont la présence, la plus importante en nombre,

de poinçons et l’absence d’un certain nombre d’objets comme les peignes. Il a également comparé cette région avec certains sites iroquoiens le long du fleuve. Les sites de la province orientale contiennent moins d’objets en os et leurs habitants auraient peut-être plutôt façonné des outils en bois (Gates St-Pierre 2001: 49-50). Au niveau de la production céramique, une analyse stylistique récente a également démontré que les sites de la région auraient été occupés par un même groupe culturel. De plus, les habitants de ces sites seraient plus apparentés à ceux de la région de Montréal qu’à ceux des regroupements Summerstown et Prescott (Woods 2012: 129).

Afin d’avoir une meilleure vue d’ensemble de l’identité culturelle des habitants du site Droulers, il est important de comprendre quelle relation la communauté de Droulers entretenait avec les groupes voisins. D’après les observations de Cartier, les regroupements de villages devaient se rapporter au chef-lieu. Le chef-lieu Stadaconé était lui-même sous la tutelle du village Hochelaga selon les dires de Cartier (Tremblay 2006: 112). À l’intérieur d’un village, des chefs civils représentaient les clans et étaient choisis par les mères de clans. De plus, la guerre était omniprésente chez les Iroquoiens du Saint-Laurent et les habitants des villages entretenaient certainement des relations avec les autres groupes villageois de la région par le biais de leur chef de guerre pour le recrutement de jeunes guerriers par exemple. Les chefs de guerre occupaient ce poste selon les besoins et étaient choisis en fonction de leurs qualités de guerrier (Tremblay 2006: 88-90). Il y avait donc plusieurs paliers dans l’organisation politique du territoire des Iroquoiens du Saint-Laurent. La situation géopolitique des habitants de la province Canada est beaucoup mieux documentée ethnohistoriquement que celle des communautés habitant le long du sud du fleuve Saint-Laurent en amont de l’île de Montréal. Selon Gagné, le climat social était stable dans la région de Saint-Anicet puisqu’aucun indice de cannibalisme n’y a été trouvé pour l’instant (Gagné 1997: 52) .

Les Iroquoiens du Saint-Laurent ont disparu vers 1580 ou avant la venue de Champlain dans la région de Montréal en 1603. Les conflits intertribaux auraient pu engendrer la dissolution des communautés de la vallée du Saint-Laurent (Tremblay 2006: 120). Selon plusieurs chercheurs, ces communautés auraient trouvé refuge auprès des Hurons vers la fin du Sylvicole supérieur (Jamieson 1990 ; Ramsden 1990 ; Warrick 2000). Il est possible que les

habitants de la région de Saint-Anicet aient été victimes de ces conflits et qu’ils aient quitté, volontairement ou non, les lieux. Pour l’instant, le plus récent site archéologique amérindien dans la région de Saint-Anicet est celui de Mailhot-Curran, dont l’occupation est attribuée au XVIe siècle. Néanmoins, il semblerait que la région était habitée par des Amérindiens au milieu du XVIIe siècle. En effet, les missionnaires jésuites indiquent la présence de groupes iroquois à l’embouchure du Lac Saint-François en 1654. L’affiliation de ces groupes aux Iroquoiens du Saint-Laurent de la période préhistorique est très difficile à établir (Gagné 1997: 53-54). Cette région présente un potentiel énorme dans la compréhension de la disparition des Iroquoiens du Saint-Laurent puisqu’un grand nombre de sites y ont été découverts et que certains ont été occupés juste avant la période du Contact. Elle présente également un potentiel important dans la compréhension de l’adoption de l’agriculture puisqu’elle se situe près des premières régions touchées par ce changement.

2.2. Quel est le mode de subsistance des Iroquoiens?