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Ma problématique

Chapitre 2 : Cadre culturel et théorique

2.4. Ma problématique

Notre projet de recherche s’inscrit dans un plus grand projet de recherche portant sur le site Droulers, le plus imposant village iroquoien du complexe de villages de Saint-Anicet. Dans ce projet pluridisciplinaire, la place de l’ethnobotanique est importante pour espérer reconstituer le plus précisément le mode de vie des habitants. D’autant plus qu’il n’est pas possible de faire des analyses isotopiques sur des restes humains car aucun reste de cette nature n’a été exhumé sur ce site. Il importe de mesurer la place des cultigènes et des autres ressources végétales dans le quotidien des Iroquoiens de Droulers.

Le projet auquel nous participons possède plusieurs objectifs à long terme, dont celui de la compréhension de la position culturelle des sites iroquoiens de Saint-Anicet à l’échelle interrégionale. Il vise également à analyser les sites de la région entre eux et, sur une autre échelle, à observer des tendances à l’intérieur des maisons-longues. En effet, ce projet cherche, entre autres, à évaluer l’originalité culturelle et adaptative de la communauté de Droulers en privilégiant les maisons-longues comme unités d’analyse. Ainsi il veut vérifier l’homogénéité à l’intérieur des maisons-longues et des différences entre elles qui peuvent indiquer l’appartenance à différents clans. À l’inverse, une influence à l’échelle du village est également attendue et se verrait par une certaine homogénéité entre les maisons-longues (Chapdelaine 2011: 11-12). Cela dit, ces tendances sont attendues d’abord et avant tout des résultats qui seront tirés à partir de l’analyse de la production céramique. Les tendances attendues des données provenant des vestiges botaniques ne sont pas les mêmes.

Les ressemblances et les différences seront plutôt observables entre les différents contextes du site, c’est-à-dire les différents types de structures soit les habitations, les fosses, les foyers et le dépotoir. Un dépotoir est composé de rejets cumulatifs provenant de différentes parties du lieu d’établissement. Il devrait normalement être plus représentatif des déchets produits à l’échelle du village que n’importe quelle structure à l’intérieur du village. Théoriquement, les proportions des différentes plantes rencontrées dans le dépotoir devraient être similaires à celles de toutes les autres structures combinées. Malgré cela, ce n’est pas toujours le cas et plusieurs facteurs peuvent expliquer cette variation comme des comportements impliquant l’enlèvement ou l’ajout involontaire de certaines espèces lors du transport vers le dépotoir, la technique de récupération, la préservation des graines, la taille de ces dernières et des facteurs taphonomiques. Les foyers quant à eux constituent des dépôts primaires de plantes et devraient contenir des traces de ces dépôts. Par contre, les restes végétaux ne sont généralement pas abondants dans ces derniers dus à la combustion et à la transformation des matériaux organiques en cendre. De plus, les foyers sont constamment récurés. Les fosses posent plus de problèmes quant à l’interprétation des restes botaniques qu’elles contiennent. Certaines ont pu servir à l’entreposage des aliments. Cependant, les restes qui sont carbonisés représentent probablement plus des déchets que des aliments entreposés et les fosses dans lesquelles ils sont trouvés correspondent plutôt à des zones de rejets secondaires. Lorsque du charbon est également trouvé dans une fosse, la nature de ces dernières paraît encore plus évidente. La présence d’autres restes culturels (tessons de vase, fragments de pipes, ossements) supporte également cette fonction (Monckton 1992: 62-63). Les accidents culinaires et les déchets peuvent également s’accumuler un peu partout avant d’être déplacés. À ce moment là, des restes peuvent être présents à l’extérieur de structures (Monckton 1992: 201). Un des objectifs de ce mémoire est de relever ce type de tendance. Pour ce faire, différentes approches seront utilisées et elles seront détaillées dans la section sur la méthodologie.

En plus d’incorporer la problématique générale des recherches au site Droulers, mon étude se concentrera sur d’autres aspects relatifs aux macrorestes végétaux. Dans un contexte temporel, la place des cultigènes sera étudiée (mais, haricots, courges, tournesols et tabac)

dans le but de mieux comprendre les pratiques agricoles des Iroquoiens du Saint-Laurent à moins d’un siècle avant la fin de la préhistoire. La place des autres plantes comestibles, et par le fait même, la place de la cueillette au sein de ce groupe culturel sera également scrutée. Comme mentionné précédemment, la part végétale de l’alimentation des Iroquoiens est encore très peu étudiée au Québec. Elle n’est pas pour le moins méconnue puisque les données sont extrapolées des écrits ethnohistoriques ou des données obtenues ailleurs en Iroquoisie. D’une part, le maïs ainsi que les courges et les haricots fournissaient entre 70% et 80% de l’apport calorique quotidien des Hurons du XVIIe siècle et possiblement des Iroquoiens du Saint- Laurent à l’arrivée des Européens au XVIe siècle (Tremblay 2006 : 52). D’autre part, l’apport calorique des Iroquoiens en ce qui a trait à la consommation alimentaire provenant de la cueillette, de la chasse et de la pêche est estimé entre 20 et 30% (Tremblay 2006 : 62). Le site Droulers appartient à une période où il est attendu de voir la pratique de l’agriculture comme étant un mode de subsistance bien établi, c’est-à-dire le même que celui pratiqué à la période historique. L’importance de la pratique de l’agriculture peut se mesurer, entre autres, par l’omniprésence du maïs sur le site. De plus, la présence d’une grande quantité de macrorestes de maïs est un bon indicateur de la pratique de sa culture intensive. En effet, le maïs est plutôt rare sur les sites datant d’avant l’intensification de son usage (Hart 1999b: 161). La présence et l’importance relative de toutes les différentes espèces de plante rencontrées sur le site seront évaluées. Il importe, entre autres, de mesurer plus précisément l’apport de la cueillette dans les habitudes alimentaires de ce groupe et de comprendre l’utilisation qu’ils faisaient de ces ressources sauvages. D’autant plus que le site Droulers a été nommé Tsiionhiakwatha par les Mohawks d’Akwesasne signifiant «là où on cueille les petits fruits».

Dans un cadre encore plus général sur l’évolution de l’agriculture en Iroquoisie, le site Droulers s’avère fort intéressant. Il est situé dans un endroit clé sur le territoire pour une meilleure compréhension du développement de l’agriculture. Il se trouve effectivement dans la portion méridionale de l’Iroquoisie laurentienne d’où la dispersion de cette pratique aurait probablement eu lieue. L’analyse morphologique des cultigènes permettra de comparer ces derniers avec ceux de sites proto-iroquoiens et iroquoiens afin de percevoir où ils se situent dans l’évolution de cette pratique. En effet, le marqueur de domestication principal de la

domestication des plantes est l’augmentation de la taille des graines. L’augmentation de la productivité du maïs, quant à elle, se mesure par l’augmentation de ses épis et de ses grains à travers le temps (Mackey 1983: 209). Une évolution de l’agriculture parallèle à celle ayant eu lieu ailleurs en Iroquoisie devrait être visible à travers cette analyse.

En somme, il y a deux axes principaux à notre recherche, celui de la description des macrorestes à l’échelle du site et celui de la comparaison synchronique et diachronique de certaines de ces données avec celles d’autres sites iroquoiens. Les résultats obtenus à partir des macrorestes du site Droulers devraient être comparables à ceux obtenus ailleurs en Iroquoisie. Ce dernier aspect pourra peut-être mettre de la lumière sur l’évolution de l’agriculture au Québec.