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Santé et environnement

2. Les questions en débat 50

La prise de conscience de la position de l’humanité au sein du vivant non-humain et ses capacités à l’altérer rendent nécessaire un changement des relations qu’elle tisse avec l’ensemble du vivant.

Les problèmes de santé s’accroissent avec des atteintes à la biodiversité, l’augmentation de la démographie et l’accroissement des flux migratoires. Au cours des quinze dernières années, l’altération de l’environnement et de la biodiversité explique en partie l’augmentation des maladies émergentes humaines, notamment en ayant favorisé les vecteurs de ces maladies et les contacts avec eux. Plus généralement, la notion de « crise écologique » qui a émergé ces dernières décennies met en avant que les activités de l’humanité peuvent conduire à des conséquences néfastes sur l’environnement (par exemple, la pollution de l’air) et, en retour, sur la santé humaine (la pollution de l’air aurait provoqué, en 2015, la mort prématurée de 8 millions de personnes dans le monde dont 45 000 en France).

Les conséquences sur la santé de la « crise écologique » sont nombreuses et souvent à mettre en corrélation avec la situation de fragilité de nombreuses populations humaines. En effet, ce sont souvent les populations les plus pauvres qui subissent en premier lieu les conséquences des crises environnementales ou de l'appauvrissement des ressources naturelles.

Approche éthique et solidarité doivent être mobilisées conjointement pour intégrer les perspectives de lutte contre la pauvreté dans le cadre de la gestion à long terme des ressources naturelles. Cela inclut nécessairement l’engagement des citoyens, dont les scientifiques, dans l’identification de pistes d’actions, notamment pour faire évoluer le droit dans ce domaine, tout en abandonnant l’utopie d’une nature asservie par l’humanité. Se demander quel monde nous voulons demain nécessite ainsi de réfléchir à la façon pour l’humanité d’exister au sein d’écosystèmes fragiles, sur une planète aux ressources limitées.

50 Ensemble non exhaustif de problèmes éthiques soulevés par le CCNE en amont du débat pour justifier l’inscription de cette thématique au sein du périmètre des États généraux de la bioéthique. Cf Avis n°125 du CCNE

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3. Ce que le CCNE a lu et entendu

3.1. Les rencontres en région

Deux débats seulement ont été organisés sur cette thématique, avec la mise en ligne d’un questionnaire sur le site d’un Espace de réflexion éthique. Ce questionnaire a été renseigné par plus de 2 000 personnes et l’immense majorité des participants l’ayant renseigné pense que les effets néfastes de certaines activités humaines sur l’environnement peuvent avoir des conséquences négatives sur la santé. Dans les débats, ont été pointés la lenteur de la recherche à apporter des preuves aux questionnements dans ce domaine, mais aussi le poids des lobbies économiques et financiers qui orientent et financent leurs propres recherches, puis proposent au monde professionnel, notamment au monde agricole, des modèles fondés sur la productivité. Mais la recherche publique est aussi interpellée par le monde agricole, en posant le problème de la responsabilité sociétale des chercheurs : la science est invitée, par certains intervenants, à s’extraire d’une certaine myopie éthique, dès lors qu’elle vise non la valeur scientifique stricto sensu de la recherche, mais ses conséquences sociétales.

3.2. L’expression sur le site web des États généraux Constats et enjeux

La crise écologique actuelle, objectivée par l’érosion progressive de la biodiversité selon certains, a été un constat largement partagé : « cette crise écologique correspond à une surexploitation de la planète » ont affirmé des intervenants.

Selon d’autres, la santé en France n’a jamais été aussi bonne si l’on se réfère à l’espérance de vie, mais en réponse certains se sont interrogés : peut-on considérer que l’espérance de vie est un indicateur de bonne santé ? Pour quelques internautes, c’est surtout l’alimentation qui joue un rôle sur la santé et les conséquences de la crise écologique sur la santé sont minimes, au regard des dégâts provoqués par le tabac, l’alcool ou les drogues.

Concernant les actions de l’homme, de nombreuses interventions ont souligné leur impact sur l’altération de l’environnement et de la biodiversité, mais certains internautes ont questionné : cela

Indicateurs de la consultation

Les rencontres en région : 2

Le site web : 3 346 participants ; 2 034 contributions ; 21 559 votes Les auditions des associations, institutions et courants de pensée : 14 Les auditions des sociétés savantes : 1

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est-il scientifiquement prouvé ? Par ailleurs, des contributions ont rappelé que la surpopulation mondiale exerce un rôle certain sur l’altération de l’environnement et d’autres ont noté que l’Homme est aussi capable de créer de la biodiversité. De nombreuses expressions confortent l’opinion que les conséquences de la dégradation de l’environnement touchent en premier lieu les personnes les plus vulnérables, certains considérant que toutes les populations seront touchées. Pour ces internautes, le rôle de la loi n’est-il pas de protéger les plus faibles et non les intérêts des plus privilégiés ? En conséquence, des propositions pour cesser la course à la croissance et se consacrer au « mieux vivre ensemble » et à la consommation locale, ou pour développer une écologie intégrale, ont été avancées. Cette prise de conscience des risques environnementaux sur la santé a fait émerger des propositions dans de nombreux champs : par exemple, l’interdiction des perturbateurs endocriniens, la création de taxes pour les produits nocifs, la mise en place d’un tribunal international... Cette prise de conscience doit aussi encourager la recherche médicale, ont indiqué certaines propositions. Par ailleurs, il a été souligné que les impacts de la recherche et des applications issues des modifications génétiques du vivant, sont difficiles à évaluer, et plusieurs intervenants ont précisé qu’il faudrait du recul pour réaliser cette évaluation.

Valeurs et principes

Un certain nombre de principes et valeurs positionnés initialement sur le site ont recueilli une large adhésion, s’agissant de la protection des générations futures, de la protection de la planète, ou du droit à vivre dans un environnement assurant la santé de tous. Néanmoins, c’est aussi une question d’environnement culturel et social, ont précisé certains et ne faudrait-il pas d’abord définir ce qu’est un environnement propice, mais aussi proposer une alternative au capitalisme productiviste ? D’autres ont mentionné que ces propositions relèvent des mêmes bonnes intentions depuis des années et qu’elles n’ont mené à rien. C’est l’égoïsme et la consommation qui fragilisent les plus pauvres, pas la pollution, ont souligné certains internautes.

Pistes de discussion

Les pistes positionnées initialement sur le site (sensibiliser à la protection environnementale ; réglementer les usages de certaines ressources et les actions ayant des conséquences négatives sur la biodiversité ; développer la recherche pour mieux comprendre les conséquences des modifications de l’environnement sur la santé) ont recueilli une large adhésion. Elles ont fait émerger de nombreuses propositions des internautes : sensibiliser certes, mais cela passe par l’éducation et l’information ; réglementer certes, par exemple l’interdiction de l’huile de palme ou des emballages non recyclables, mais souvent la législation existe déjà et il faudrait la faire appliquer ; développer la recherche certes, notamment par le soutien de la recherche publique, mais aussi par l’application de ses résultats.

Il a aussi été mentionné par des internautes que la puissance des lobbies et des industriels peut représenter un obstacle dans la prise de conscience de ces questions par la société civile. Si une responsabilité des citoyens est nécessaire, ainsi que leur consultation sur les politiques publiques,

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une réorientation de la finance internationale vers un plus grand respect de l’environnement est également mentionnée.

Plusieurs nouvelles contributions ont réuni un grand nombre d’arguments, dont les suivantes : - Rendre obligatoire l’étiquetage des aliments produits à l’aide des pesticides ou d’OGM

(organismes génétiquement modifiés) et non l’inverse, afin de permettre aux consommateurs d’effectuer des choix éclairés quant aux modes d’alimentation qu’ils souhaitent adopter.

- Étendre le principe de précaution pour permettre l’interdiction de l’utilisation de certaines substances comme les perturbateurs endocriniens ou les polluants organiques persistants, afin d’éviter aux consommateurs d’être à la fois complices et victimes d’un système jugé défaillant : « les autorités européennes sont gangrénées par les lobbies industriels qui arrivent à vendre tous les produits quelle qu’en soit la toxicité ».

3.3. Les auditions des associations, institutions et courants de pensée

La population est de plus en plus touchée par des maladies liées à notre environnement (par exemple du fait de l’exposition à des produits toxiques ou aux perturbateurs endocriniens), ont constaté les organisations auditionnées. Les inégalités sociales sont ainsi au cœur des défis de la santé environnementale. En effet, les déterminants sociaux jouent un rôle majeur. Il est avéré, ont rappelé certaines associations, que la localisation et la qualité du logement, corrélées au niveau des revenus, jouent un rôle déterminant dans les risques liés à l’air.

De même, les catégories sociales les plus défavorisées sont les plus nombreuses à cumuler des pathologies liées à l’alcool, au tabac, au surpoids et à l’obésité. Il est urgent, pour les organisations auditionnées, qu’il y ait une prise de conscience et un changement de positionnement institutionnel.

Affronter cette nouvelle donne sanitaire suppose de sortir du déni dans l’approche des maladies environnementales émergentes, d’engager d’importantes réorganisations structurelles (par exemple, la création d’un département dédié de médecine environnementale au sein des instances de santé), d’assurer l’accès aux soins des populations concernées par ces maladies et de mettre en œuvre une réelle démocratie sanitaire. L’enjeu éthique d’aujourd’hui est de construire un droit de la nature qui s’appuie sur les valeurs de solidarité, d’empathie, de vie en harmonie, d’intelligence collective, de lien social, lesquelles doivent irriguer notre faculté à respecter la nature pour la santé de tous, a entendu le CCNE. Le corpus législatif et réglementaire de la bioéthique devrait être renforcé dans ce sens.

3.4. Les auditions des sociétés savantes

Une réflexion sur l’éthique dans le domaine de la santé dans ses relations avec les nouvelles technologies et l’environnement a été proposée par le Haut conseil en santé publique ; elle débouche notamment sur une éthique de l’information sur les risques environnementaux et sur la question de l’équité en matière de gestion des risques.

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Par ailleurs, il a été mentionné au cours de plusieurs auditions que l’expression des gènes est liée intimement à l’environnement, à tous les stades de la vie, via des processus d’épigénétique, soulignant l’interaction entre les thématiques « santé et environnement » et « examens génétiques et médecine génomique ».

Plusieurs sociétés savantes ont rappelé que les technologies de modification du génome sont applicables et appliquées dans les espèces animales et végétales, et constituent donc de possibles leviers pour modifier l’environnement. Globalement, les sociétés savantes médicales se sont peu manifestées sur ce sujet.

4. Principaux enseignements

1. Inscrire le thème « santé-environnement » dans le cadre de la réflexion des États généraux pouvait apparaître comme un objectif hors du champ de la bioéthique. Cependant si la participation à ce thème a été faible, les diverses catégories d’intervenants ont non seulement partagé un large consensus sur l’importance de la prise en compte des facteurs environnementaux dans la politique de santé, mais aussi convergé vers une définition de la santé élargie à une dimension environnementale.

2. Les principales questions qu’a soulevées ce thème ont été, peu ou prou, évoquées dans les différents modes d’expression des États généraux, mais sans préciser des modifications possibles du dispositif législatif. Un besoin d’information sur les risques environnementaux et leurs liens avec la santé a été, par ailleurs, exprimé.

3. Parmi les pistes rappelées à cette occasion, le soutien à la recherche publique pour mieux comprendre ces questions a été évoqué, ainsi que l’incitation faite aux experts de se démarquer de tout lien d’intérêts avec le monde économique concurrentiel. L’obligation de transparence s’impose aujourd’hui aux chercheurs, a-t-il été rappelé.

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