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PARTIE I Quelques éléments de contexte et de matériaux d’enquête dans une tradition

Chapitre 2 : Pour une thèse alliant continuité et découvertes

B) Questionnements et hypothèses

En reprenant ma première étude, je me suis posée la question suivante : les freins et les motivations à engager des travaux énergétiques sont-ils toujours les mêmes aujourd’hui ? Un des constats établis reposait sur le passage de la réflexion à la décision de rénover liée à un évènement ou une rencontre : un chantier participatif, un membre de la famille ayant rénové, la maison se fissurant, un agrandissement du ménage, la volonté d’un potager… Au vu des nombreux « déclencheurs », certaines préconisations étaient de mettre en avant ces éléments afin d’apporter des réponses aux premières questions, voire aux inquiétudes des particuliers ; et en les additionnant aux aides financières et techniques du territoire lorrain, afin que rénover sa maison soit considéré comme une « occasion à saisir ». Entre la réflexion et la décision, le réseau que le ménage déploiera influencera ses choix. Loin d’être un processus rapide et simple, on estime que le facteur temps est décisif : les arguments – positifs et négatifs – sont reliés à une vision sur le long terme (la prise en considération de l’augmentation du coût de l’énergie, le retour sur investissement, la valorisation du bien …) et le court terme (besoins immédiats). Ainsi, rénover son logement, n’est-ce pas le considérer comme inadapté aux besoins présents ? Est-ce que modifier son lieu de vie, c’est estimer la

103 GRAFMEYER Y. & AUTHIER J-Y. Op.cit. p.27

104 CEFAÏ D. Pourquoi se mobilise-t-on ? Les théories de l’action collective. Paris. La Découverte/M.A.U.S.S.

2007 (p.7-8)

105 AMADO G. et GUITTET A. Dynamique de communications dans les groupes. Paris. Armand Colin. 2012

106 BELORGEY P. & VAN LAETHEM N. La méga boîte à outils du manager leader. Paris. Dunod. 2016

49 présence d’un manque d’adéquation avec ses modes d’habiter ? Le lieu de vie ne répond-il pas lui aussi à un processus, dans le sens où habiter est évolutif ? Et enfin, on peut se poser la question de cet investissement en termes d’acquisition d’un nouveau savoir.

Nous nous sommes persuadés qu’au cours de cette thèse, nous pourrions approfondir et tester ces préconisations. S’essayer à d’autres moyens de communication, davantage ciblés selon les ménages rencontrés, en est un exemple. En effet, une communication incitative repose sur les points bénéfiques d’une rénovation performante : l’atteinte d’un confort optimal, la réduction de la facture énergétique, et bien d’autres s’en suivent. Mais bien souvent, elle est disparate, avec son lot de médias alimentant les polémiques qui contribuent à la méfiance envers un tel projet. La communication nourrit donc l’imaginaire individuel et collectif qui, à son tour, influence la vision et les discours des acteurs. Pour le développement durable, l’état d’urgence a été déclaré par un discours pénalisant entraînant une vision négative et catastrophique de l’avenir. Ce n’est pas voilà comment on y arrivera avec des solutions concrètes, mais bien voilà ce qui arrivera si on ne le fait pas. La négation est de rigueur, le pessimisme est entretenu. Quant aux visions optimistes, elles sont affublées d’utopismes. C’est au contact de porteurs des dispositifs considérés comme utopiques que l’on comprendra en quoi leur utopie, qualifiée d’innovation, prend tout son sens. Pour eux, est une utopie, tout projet réalisable, qui n’a pas encore été réalisé108. Ce besoin de créer,

d’innover, d’adapter pour ces porteurs dénote la difficulté de solutions à la problématique de la rénovation des logements : bien des offres sont avancées, mais se heurtent à une demande trop faible. Un manque de stabilité autour de ce marché, entre l’offre et la demande, illustre des acteurs toujours dans un tournant, perpétuant l’idée de changement. Ainsi,

« la problématisation, outre la définition des acteurs qu’elle implique, possède

donc des propriétés dynamiques : elle indique les déplacements et détours à consentir et pour cela les alliances à sceller. (…) ce qu’ils visent, ils ne peuvent l’atteindre par eux-mêmes. » 109

Partager une vision commune, travailler en réseaux et entreprendre des actions collectives… C’est de cette façon que nous pensons que tous les acteurs ont la possibilité de trouver un intérêt dans un processus de rénovation énergétique. Si on maintient l’individualité, l’intérêt des uns peut aller à l’encontre des autres et desservir l’objet même des préoccupations et des objectifs communs. D’où l’une de mes préconisations du mémoire : il faudrait mobiliser en

108 Citation de Théodore Monod.

109 CALLON M. « La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint- Brieuc ». Paris. L’année sociologique. N°36. 198 (p.183)

50 « groupements » les acteurs concernés (et qui pourrait l’être) pour apporter des solutions adaptées à tous sur leur périmètre d’action. De là est née la problématique de notre thèse :

comment fédère-t-on sur la rénovation énergétique, des particuliers, élus/institutions, techniciens, professionnels du bâtiment, autour d’un projet commun composé d’acteurs non-humains – comme le logement ? Autrement dit, comment se crée un élan d’actions collectives durables regroupant profanes et experts sur un lieu et un sujet déterminé ?

Ces deux questions nous amènent dans le cœur de l’étude, dont l’un des objectifs est de saisir la pluralité de formes d’actions, de jeux d’acteurs et des processus de décisions auprès des acteurs impliqués dans ces opérations. Ainsi, nous avons formulé l’hypothèse

centrale suivante : dans ces groupes, un effet de mimétisme et de création d’identité collective via une expérience commune permet la naissance d’actions de rénovation groupée, notamment via l’impulsion de leader(s). Ici, la notion de « mimétisme » est à

prendre au sens de « processus d’influence ».

Plus largement, est-ce que le sociologue peut en constater les tenants et aboutissants de ces dispositifs pour les transférer et les adapter sur un territoire ? Est-il nécessaire et légitime ? Nous verrons que concilier sciences humaines et sciences techniques n’est pas quelque chose de naturel en soi.

L’intérêt de se concentrer sur les dispositifs « plateforme de rénovation énergétique » issus de l’appel à projets « Opération Collective de Rénovation Énergétique » (OCRE) fut tout trouvé.

Officiellement, inscrit dans la loi de la transition énergétique, une plateforme de rénovation énergétique est un guichet unique rassemblant des conseillers qui accompagnent administrativement et orientent les particuliers (techniques, usages, etc.) sur un territoire.

Elles peuvent être portées par différentes structures, ayant chacune des incidences sur leur fonctionnement et organisation : une association, une collectivité territoriale (Pays, communauté de communes), une coopérative (Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC)), un Groupement Européen d’Intérêt Economique (GEIE). Bien que leur objectif soit identique – la massification de la rénovation chez le propriétaire privé et la montée en compétences des entreprises du bâtiment –, les quatre dispositifs étudiés ne correspondent pas totalement à cette définition. Ce qui les distingue, ce sont les outils qu’ils ont développés, l’ancrage du terrain, les actions liées aux compétences variées, et leur vision accrochée à une structure juridique. Ils ont un caractère innovant, relevant de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) en occupant des espaces intermédiaires. Ils influencent par de nouvelles pratiques, notamment organisationnelles et de gouvernance, entremêlant le secteur public et privé.

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« La plateforme est le lieu où on essaie des trucs. On est légitime pour essayer de

travailler autrement » (ancien coordinateur d’un dispositif).

Mais à quoi correspond cet autrement ? D’où vient leur légitimité ? L’un des dispositifs, anciennement porté par une Maison De l’Emploi (MDE) s’est vue englobée par la collectivité qui a récupéré ses compétences – humaines et non-humaines. Nous percevrons cette passation d’un statut privé à un statut public, si elle apporte davantage de légitimité et répond plus aisément à une massification de la rénovation sur leur territoire. Nous observerons aussi cette démarche pour un autre dispositif qui a vu son périmètre d’action s’agrandir en devenant opérateur d’une collectivité regroupant tout le sud d’un département. Peut-on constater une légitimité identique entre un dispositif transfrontalier ayant des membres déjà reconnus localement, mais agissant dans un périmètre large, et un dispositif rassemblant un groupe d’habitants dans un lotissement ? Dans tous les cas, il nous semble que les dispositifs issus d’OCRE font intervenir un ensemble d’acteurs fédérés afin de trouver des solutions pour massifier la rénovation des logements sur l’ensemble de leur périmètre. Or, tout collectif connaît une dynamique qu’il s’agira de mettre au jour, tant du point de vue des formes d’engagement110, que des négociations entre acteurs111. On mettra particulièrement l’accent

sur les formes d’expertises que déploient les individus. Quel est (sont) le(s) déclencheur(s) d’une décision d’agir en action collective pour rénover son habitation ? Quels sont les facteurs des conditions de réussite à la mise en place d’opérations collectives de rénovation énergétique ? On fait l’hypothèse qu’il existe des formes d’engagement semblables aux rénovations d’habitats collectifs112, mais rapportés à des habitats individuels, dès lors que les

actions deviennent collectives. Comment s’articulent ces interactions et quelles sont les prises de pouvoirs dans ces organisations ? Je me suis attachée à le découvrir.

Les enjeux environnementaux évoluent en parallèle de la mise en question de la société et de sa gouvernance. Les mobilisations lors de controverses et les participations citoyennes se multiplient ces dernières années : Notre-Dame-des-Landes, luttes contre les centrales nucléaires et les centres d’enfouissements, villes et villages en transition, le mouvement des « gilets jaunes », etc. Elles résultent d’un manque de réponses des pouvoirs publics et des structures privées, dont l’offre ne répond pas à la demande des ménages,

110 THEVENOT L. L’action au pluriel. Sociologie des régimes d’engagement. Paris. La Découverte. 2006 111 STRAUSS A. La trame de la négociation : Sociologie qualitative et interactionnisme. Paris. L’Harmattan.

1991

112 BRISEPIERRE G. Les conditions sociales et organisationnelles du changement des pratiques de consommation d’énergie dans l’habitat collectif. Op.cit.

52 alimentant des niches d’innovation. Nous observerons que, pour le processus de rénovation énergétique, ce constat est similaire permettant l’émergence des dispositifs étudiés en réponse à des systèmes sociotechniques. Ainsi, ces mobilisations, qu’elles soient sous une forme associative ou partenariale, occupent

« un espace laissé vacant par le marché et l’État en autorisant une défense du

point de vue de l’usager soit directement, par le recours à l’auto-organisation ou par l’association avec d’autres partenaires, soit indirectement quand l’initiative émane de professionnels ou de responsables administratifs conscients d’un manque dans l’offre existante, ou encore d’entrepreneurs mus par des convictions profondes. »113

Nous supposons que les dispositifs étudiés instaurent des biens et services engendrant du lien social. Mais pas seulement. Par leur approche collective, ils offrent des perspectives séduisantes : traitement en masse, solutions techniques, réduction des coûts et des dépenses publiques, cohérence architecturale… Or, leur mise en œuvre se heurte à la difficulté de mobiliser des particuliers en « groupements ». En effet, cette mobilisation est un processus qui n’est pas encore maîtrisé et généralisé pour le sujet de la rénovation énergétique de l’habitat privé. On présume qu’il existe, dans ces groupements, des acteurs et des ménages plus actifs et d’autres plus passifs. Dans ce cas, il était nécessaire d’entrevoir les répartitions – place et rôle – au sein des organisations, que ce soit dans les pratiques et représentations sociales des ménages, ou qu’il s’agisse des interactions dans des relations de voisinage et d’appartenance à des associations. C’est à travers les dispositifs et la mise en place concrète d’expérimentations pour impulser des rénovations collectives, qu’étudier la naissance des groupements prend son sens. Ces naissances ne sont pas anodines, car elles sont soit impulsées par des éléments extérieurs, soit par une conjugaison de professionnels et chercheurs en sciences humaines et techniques. Le cadre théorique sera davantage explicité aux chapitres 3 et 4. Pour le moment, familiarisons-nous avec les dispositifs étudiés.