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Les propriétaires de maison individuelle : une analyse sous le prisme de l’habiter et de

PARTIE I Quelques éléments de contexte et de matériaux d’enquête dans une tradition

Chapitre 4 Les propriétaires de maison individuelle : une analyse sous le prisme de l’habiter et de

En parallèle de l’étude des dispositifs « plateforme de rénovation énergétique OCRE » et de leur lien avec leurs publics cibles, je me suis posée la question suivante : comment se

fédèrent des particuliers autour d’un projet commun qui concerne un bien propre ? Il

nous a paru cohérent de se concentrer sur deux notions : « l’habiter » et « l’habitat ». Autrement dit, sur les modes d’habiter des ménages et leurs relations aux autres (dispositifs humains, non humains, relations de voisinage…). Bien que d’un propriétaire à un autre les prises de décisions s’inscrivent dans des étapes de vie différentes, des points communs sont mis au jour. Partant d’un constat antérieur qui a permis la composition de familles types137 de ménages-rénovateurs, nous verrons si ces dernières sont toujours d’actualités, voire si elles peuvent être renforcées par de nouvelles précisions. L’hypothèse est que la sensibilité des

propriétaires envers leur maison peut être variable, car « sa valeur économique, affective et symbolique dépend de sa localisation et de son environnement. »138

Avant l’achat du logement, c’est la décision du lieu d’habitation qui est prioritaire. Si le ménage choisit par dépit son lieu d’habitation, l’investissement dans la maison risque de ne pas être assuré. Dans le cas contraire, le logement devient le repli du ménage, un cocon qui requiert d’être confortable. C’est en s’intéressant de près à ceux qui ont vécu le processus de rénovation à travers les dispositifs étudiés – ou sans eux –, que pourraient ressortir des pistes d’actions. Ces dernières seraient appliquées dans le cadre de cette présente recherche-action à travers des expérimentations de rénovation, non pas individuelles, mais collectives sur un territoire donné.

Pour comprendre les pratiques des ménages envers leur logement et la rénovation énergétique, nous nous sommes appuyés sur plusieurs ouvrages et concepts sociologiques. La sociologie de l’imaginaire de Legros, Monneyron, Renard et Tacussel fut utile pour aborder l’imaginaire. La raison étant qu’elle se veut être « une sociologie des profondeurs qui tente d’atteindre les

motivations profondes, les courants dynamiques qui sous-tendent et animent les sociétés humaines. »139

137 Ces familles types correspondent à 5 profils identifiés dans le mémoire de Master 2 : les militants, les

techniciens, les innovationnistes, les esthéticiens et les peureux. Nous les aborderons plus tard dans cette étude.

138 SEGAUD M., BONVALET S. et BRUN J. Logement et habitat : l’état des savoirs. Op.cit., p.6

139 LEGROS P., MONNEYRON F., RENARD J-B. & TACUSSEL P. Sociologie de l’imaginaire. Paris. Armand Collin. 2006 (p.1)

68 Que ce soit au cours des entretiens avec des particuliers ou les membres des dispositifs, l’imaginaire collectif et individuel s’incarnait dans les relations entre les êtres vivants. J’ai

fait l’hypothèse qu’il en est de même pour les non humains. Les maisons ont pu être

personnifiées, rendues vivantes par les acteurs, tout comme l’environnement autour d’elles. Lorsque l’on se pose la question des motivations partenariales ou de la rénovation globale, c’est l’imaginaire qui est le moteur de l’action ou de l’inaction. Lorsque l’on s’intéresse au passé des territoires, qu’il soit industriel ou urbain, c’est tout un imaginaire qui est véhiculé par une histoire. Bien que considéré comme irrationnel pour les uns et concret pour les autres, c’est le principe de l’analogie que l’on retient. Celui-ci autorise « des perceptions de l’espace

et du temps, des constructions matérielles et institutionnelles, des mythologies et des idéologies, des savoirs et des comportements collectifs. »140

L’imaginaire a donc sa place dans mes analyses. Il répond à des fonctions sociales de « régulation humaine face à l’incompréhensible »141, de « créativité sociale et

individuelle »142 et de « communion sociale »143. Plusieurs études de cas permettront de les

étayer, où « tout imaginaire, toute représentation, toute idéologie, toute imagination, est

porteur d’un système de valeurs. »144 Comprendre ces valeurs, autant individuelles que

collectives, à travers les pratiques et les discours des ménages en ce qui concerne la rénovation, et plus largement le développement durable, a été un des propos de cet axe qui sera traité dans la dernière partie. Percevoir les réflexions de ces ménages quant à la décision d’enclencher de lourds travaux de rénovation énergétique, ainsi que les choix d’équipement, était pertinent.

Fortement en lien, la notion d’identité est abordée au cours de la thèse. En m’appuyant principalement sur Kaufmann145, mon intérêt est double : comprendre et identifier des profils- types qui conduisent à telle ou telle rénovation, ainsi qu’analyser la capacité de changement des ménages face à des situations données. Il s’avérait pertinent d'affirmer ou non l'hypothèse que les modes de vie, résultants d’une socialisation, d’une culture, d’une identité, déterminent des profils. Une personne est-elle militante, car elle se dit l’être ou parce qu’elle met en action des pratiques dites écologiques ? Autrement dit, « la difficulté à résoudre est celle de

140 Ibid., p.2 141 Ibid., p.4 142 Ibid. 143 Ibid. 144 Ibid., p.84

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l’articulation subjectivité/objectivité, et de la place précise de l’identité dans cette articulation. »146 Pour prendre en compte la dimension objective, il faut examiner ce ménage dans sa vie quotidienne et selon ses caractéristiques sociales, économiques et d’habitat. Ne pouvant pas exercer une observation soutenue au sein du domicile des ménages, je me suis appuyée sur des entretiens centrés sur l’habiter, ainsi que sur l’environnement. La visite du logement commentée par le ménage permettait de faire ressortir ce qui lui semblait le plus important (objets, souvenirs), mais aussi de faire le point sur ses projections (lien avec l’imaginaire). C’est ainsi, en plus de leur caractère hybride, que l’on constate divers degrés d’appartenance aux cinq profils identifiés, que je nommerai sous-profil. Identifier les profils majeurs et mineurs pourrait permettre de mieux cibler les actions et assurer ainsi une réponse à travers des dispositifs et des discours adaptés individuellement et collectivement. En effet, selon mon hypothèse, les groupes s’agrègent et se soudent autour d’un profil majeur

commun, tout en gardant leur individualité par des profils mineurs distincts rattachés aux intérêts propres. Mais je formule aussi le postulat que si ces profils sont en rapport à l’identité, alors ils ne sont pas stables dans le temps. Dans ce cas, quels sont les éléments

qui provoquent ce changement ? Peut-on l’induire ? Pour Erikson, cité par Kaufmann, « si

l’identité est un processus, continuellement ouvert et interactif, il est impossible, jamais, de la stabiliser et encore moins d’y découvrir à l’intérieur sa vérité ultime. »147

Pour rappel, l’identité n’est pas stable, car les ménages semblent être influencés par leur environnement, tout comme ils auraient la capacité à le modifier. Nous pensons que l’identité n’est pas une donnée définitive, mais un processus148. Nous nous attacherons à savoir si cette

affirmation va – ou non – prendre tout son sens via l’analyse du passage d’une commune et ses habitants vers une ville en transition écologique et énergétique. Elle prendrait la place de l’identité de ville industrielle en perdition, dans laquelle l’identité communautaire ouvrière est toujours présente, reposant sur la nostalgie d’une époque révolue. Pourra-t-on parler de refonte identitaire partielle ou totale, souhaitée ou subie, collective ou personnelle ? Doit-on s’appuyer sur une identité collective présente ou en faire naître une nouvelle ? Nous apprendrons, que pour pouvoir agir et imaginer de nouvelles formes d’actions et de pratiques, il est nécessaire aux acteurs – habitants, élus, techniciens – de transgresser en partie l’identité commune en présence, car « les individus qui partagent les mêmes lieux arrivent,

146 KAUFMANN J-C. L’invention de soi – une théorie de l’identité. Paris. JC LATTES. 2004 (p.41) 147 Ibid, p.31.

148 DUBAR C. La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles. Paris. Armand Colin.

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généralement, à partager aussi l’attachement pour ces espaces, le sens de ces lieux, en affirmant une identité commune. »149

Puisque je m’intéresse aux actions collectives, la notion des identifications multiples dans la construction d’une identité collective et les processus dynamiques en fusion ou friction avec des identités individuelles ont été discutés.

« Les usages variés de l’identité ne s’arrêtent cependant pas aux personnes. Ils

peuvent renvoyer aussi à toutes sortes d’entités et groupements les plus divers, l’identité devenant parfois un instrument de la construction de ces entités (au-delà de ces individus), parfois une ressource collective mise à la disposition des individus pour se construire eux-mêmes. Identité peut alors devenir l’équivalent de culture. Mais aussi d’ethnie, région, nation, religion, etc. plus largement encore, le terme fait office de cristallisateur magique pour toutes sortes de minorités cherchant à se faire reconnaitre. »150

Un ménage qui s’identifie écologiste s’y conforme-t-il en s’appropriant ce qui en fait l’image collective : recyclage, respect de la nature, consommation bio et de proximité, etc. ? Le degré d’investissement dans cette identification peut être variable, notamment en cas de forte ou faible pression par l’entourage. Nous nous y intéresserons, notamment dans les effets de groupe.

« L’individu a de plus en plus de choix face à des rôles multiples. Mais au regard

d’un rôle donné, il doit aussi s’impliquer de façon personnelle, notamment en choisissant une identité (image de soi) parmi toute une gamme d’autres possible. »151

Et enfin, une autre notion essentielle : la confiance. Cette dernière permet d’orienter les ménages lorsqu’ils rencontrent plusieurs options. Ils peuvent ainsi faire face aux risques, avec plus ou moins d’incertitudes, rattachées à leurs décisions. La confiance fait appel à des stratégies ou à des tactiques sur le court et long terme. Elle est intimement liée au temps : elle repose sur un passif et se conserve sur un temps présent. Quant à l’avenir, il est incertain. Réaliser une rénovation globale et performante, s’inscrivant sur un temps long, rend tout projet complexe, car le ménage doit prendre en compte plusieurs dimensions et détenir une certaine stabilité financière, professionnelle, familiale…

En ce qui concerne les acteurs auxquels les ménages font appel, si la confiance n’est pas instaurée, notamment auprès des exécuteurs (entreprises), ils ne prendront pas le risque d’effectuer des travaux. Comprendre par quel biais la confiance s’instaure entre les différentes

149 MOSER G. Psychologie environnementale. Les relations homme-environnement. Op.cit., p.82

150 KAUFMANN J-C. L’invention de soi – une théorie de l’identité. Op.cit., p.36 151 Ibid, p.74

71 parties prenantes du processus de rénovation et les modalités de son maintien s’est avéré important. Nous spéculons que la confiance agit comme un mécanisme de réduction de la

complexité. Cela facilite les prises de décisions des ménages qui ont la sensation de maîtriser

les évènements.

Il va sans dire que ces concepts – imaginaire, identité, confiance – ne sont pas propres qu’à l’analyse des pratiques et représentations des ménages. Je pense que l’imaginaire remet en question ce que l’on voit et les croyances ; que l’identité, c’est se remettre en question ; que la confiance, c’est remettre en question ses capacités et expertises, ainsi que celles des autres. Ces notions entrent en ligne de compte dans les jeux d’acteurs et dans l’étude des réseaux des dispositifs. Les actions instaurées pour impliquer les habitants lors des expérimentations reposent en partie sur ces trois concepts.

Faire référence à l’identité d’un acteur et sa structure peut aussi réduire la complexité dans les relations. En effet, son expérience ou celle d’un proche peut amener de la confiance, ou de la méfiance, au moment de la rencontre. Faire référence à l’avenir en constituant un projet collectif, c’est s’appuyer sur un passif, sur une expérience. Les acteurs ont besoin « de

l’histoire en tant que fondement d’assurance. En l’absence de tout point d’appui et sans aucune expérience préalable, il est impossible de faire confiance. »152

Nous verrons qu’il est possible de faire appel à l’imaginaire pour mettre en place des stratégies ou tactiques dans le cas où une confiance accordée est brisée ou quand la méfiance persiste. Ce qui est faisable notamment par une connaissance des acteurs en amont, où lorsqu’une partie de ses motivations peuvent être discernées. Souhaitent-ils augmenter ses profits ? Acquérir un pouvoir d’influence ? Participer à un projet qui fait sens pour lui ? Pour certains, la confiance peut être accordée par un serrage de main lorsque celle-ci est

longuement établie et mutuelle. Dans ce cas, les échanges vont au-delà du formalisme – humour, tutoiement, thèmes abordés autres que professionnels… Lorsque la

confiance n’est pas certaine, elle peut s’établir au moyen d’un formalisme juridique (contrats, conventions).

Je pense que ces trois concepts sont fondamentaux pour comprendre les pratiques et les

représentations dans le processus de rénovation. De même, dans la constitution, l’adhésion

152 LUHMANN N. La confiance : un mécanisme de réduction de la complexité sociale. Paris. Economica. 2006

72 et le fonctionnement d’un groupe et de leurs actions collectives. C’est à partir de l’analyse des dispositifs et des expérimentations que nous en aurons le cœur net.

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