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Les questionnements éthiques

Dans le document Don et transplantation d’organes en Suisse : (Page 145-167)

Les questionnements éthiques sur la transplantation dans

4.3 Les questionnements éthiques

Alors que les premières transplantations cliniques menées à partir des années 1950 sont évoquées dans les revues de presse de Praxis et M&H, avant de faire l’objet d’articles scientifiques avec les premiers programmes de transplantation dans les hôpitaux suisses, les questionnements « éthiques » que suscite leur développement apparaissent liés à l’obtention d’organes. Le donneur vivant appa-renté et le patient en état de coma dépassé, requalifié officiellement dès 1968 de « mort cérébrale », constituent successivement, en fonc-tion des moyens techniques et des connaissances immunologiques, les principales sources d’organes. Malgré la mort rapide des patients, le bénéfice thérapeutique des transplantations est peu contesté au sein de la communauté médicale durant la période envisagée. Ainsi, en dépit d’une mise en œuvre limitée par des difficultés liées à la gestion du rejet, le manque d’organes est envisagé comme une menace à l’extension des transplantations dès les années 1950 pour se renforcer à la fin des années 1960 avec la généralisation du pré-lèvement cadavérique. Comme nous le détaillons dans les pages qui suivent, les questionnements éthiques dans notre corpus concernent principalement le bien-fondé du prélèvement, la mort cérébrale, la justification des transplantations et le manque d’organes.

Légitimer le prélèvement

Si le savoir-faire opératoire représente une condition nécessaire à la réalisation d’une transplantation, celle-ci dépend avant tout de la

348 RMSR, 4, 1975, 241-261.

disponibilité d’organes. Contrairement à certains tissus, comme la cornée, ou au sang, la constitution d’une banque d’organes solides est entravée par des difficultés médico-techniques insurmontables, liées à la vascularisation des organes. Dépendante de la disponibilité d’un donneur, la réalisation d’une transplantation se caractérise ainsi par une organisation non planifiable qui rend son développement clinique difficile. Pour limiter l’imprévisibilité des interventions, les premières équipes constituées autour des chirurgiens français René Küss, Charles Dubost et Monceau Servelle privilégient l’utilisation de reins dont le prélèvement est planifiable. Entre 1951 et 1952, les transplantations sont réalisées avec des organes retirés à des patients pour des raisons thérapeutiques, le plus souvent urologiques, et à des condamnés à mort. Dans le cas des interventions mobilisant les reins d’individus néphrectomisés, la provenance des organes passe inaperçue dans les revues. Les prélèvements effectués sur les suppliciés suscitent en revanche des allusions de nature « éthique » de la part des rédacteurs. Gentil, médecin dont on ne connaît que le patronyme, évoque dans Praxis les avis émis hors de la sphère médi-cale par des juristes qui assimilent ces prélèvements à une forme de

« profanation » ou à un acte de « légitime défense de la société349 ».

À l’inverse, Gentil envisage ce type de procédure comme un acte médical qui ne diffère en rien de la pratique habituelle des autopsies.

De son point de vue, le prélèvement est strictement à distinguer des circonstances dans lesquelles les organes sont mis à disposition.

Comme il le précise, « de fait, le fond du problème se trouve bien plus dans la légitimité de la peine capitale350 ». Rétrospectivement, Küss, rompu à la pratique de ces interventions, qualifie lui-même de « dramatiques et éprouvantes » les conditions dans lesquelles le prélèvement a été conduit à même le sol à la lumière d’une lampe351. L’inutilité thérapeutique de ces prélèvements, qui débouchent sur des transplantations marquées par des échecs rapides, participe sans doute à leur abandon dès 1951.

349 Praxis, 34, 1951, 741.

350 Idem.

351 Küss 1991, 39.

En décembre 1952, Jean Hamburger et son équipe de l’hôpital Necker à Paris ouvrent la voie aux prélèvements sur donneurs vivants en acceptant de retirer un rein à la mère d’un jeune patient, Marius Renard, pris en charge en urgence dans leur service. Dès lors, moyennant le perfectionnement de connaissances dans le domaine de l’immunologie et le développement de procédés médi-caux et chimiques pour maîtriser le rejet, ce type de donneur fournit la grande majorité des reins transplantés jusqu’au milieu des années 1960. Si le prélèvement d’un rein sur un individu sain représente une atteinte au précepte hippocratique primum non nocere, l’émergence de questionnements sur le bien-fondé de cette pratique est peu documentée dans les revues. Au sein de la commu-nauté médicale, c’est plus la réalisation des transplantations en elle-même que la provenance de l’organe qui nourrit des discussions352. Hamburger relate en effet, des années plus tard, dans une interview, les avis divergents qui existaient alors sur la valeur expérimentale de ces interventions :

« Je me souviens d’un collègue et ami anglais me disant que je n’avais pas le droit de tenter des greffes chez l’homme avant d’en avoir complètement compris les mécanismes. Pourtant, c’est de cette façon que progresse la science médicale, surtout s’il s’agit de maladies mortelles. Le praticien a alors le droit de tout tenter, en l’occurrence, la morale consiste à avoir toutes les audaces. Le cas des recherches sur les greffes illustre ce point de vue353. »

Dans notre corpus, ces expérimentations limitées à quelques équipes réparties entre différents hôpitaux de Paris et Boston, effec-tuées avec le consentement des donneurs, sont abordées dans une optique exclusivement scientifique. Dans Praxis, la notice qui relate en 1954 le prélèvement d’un rein maternel réalisé par Jean Hamburger évoque des « conditions exceptionnellement favorables354 », mère et fils étant considérés, à l’aune des connaissances de l’époque, comme

352 Cameron 2002, 311.

353 Entretien avec Jean Hamburger, Jean-François Picard, 13 novembre 1990, www.

histrecmed.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=53:hamburger-jean&catid=8:entretiens (consulté en 2019).

354 Praxis, 37, 1954, 794.

« pratiquement homozygotes355 » en vertu de leur proximité géné-tique. Si dans les revues médicales suisses l’événement est ainsi relayé par le biais de publications standards dans la revue de presse, le prélèvement d’un rein sur un donneur vivant soulève un intérêt hors de la sphère médicale. Dans le préambule d’une notice relative à une seconde publication proposée par l’équipe parisienne, le rédacteur P. Knobel rappelle qu’il s’agit de « ce cas de transplantation du rein d’une mère chez son fils, qui avait défrayé la chronique mondiale fin 1952, début 1953356 », sans apporter d’autre précision, renvoyant à des faits connus de tous. Cette intervention est en effet relayée dans la presse quotidienne helvétique, notamment dans le Journal de Genève ou la Gazette de Lausanne, où plusieurs publications durant le mois de janvier 1953 évoquent par le biais de brèves notices l’évolution de l’état de santé du jeune patient jusqu’à son décès357.

Si l’atteinte physique portée au donneur est peu évoquée, tant par les spécialistes que dans les revues médicales ou dans la presse, c’est qu’elle est symboliquement diminuée par la valeur altruiste du don. Comme l’explique le médecin John S. Cameron dans son article sur l’évolution des pratiques cliniques et des considérations éthiques dans le cas du prélèvement sur donneur vivant, le don est envisagé comme une action simple dont l’unique motivation est de sauver un proche358. Le correspondant à Paris pour le Journal de Genève, James Donnadieu, l’illustre particulièrement dans l’article qu’il rédige après l’annonce du décès de Marius Renard. Il considère alors le don comme un témoignage « de l’amour d’une mère qui, après avoir donné la vie à son fils, la lui donnait une seconde fois359 ».

Sans envisager une redéfinition de la configuration des rapports interpersonnels entre receveurs et donneurs, le choix de ces derniers s’adapte tacitement aux contraintes biologiques qui le limitent au

355 Idem.

356 Praxis, 19, 1954, 415.

357 Journal de Genève (JdG), 19 janvier 1953, 8 ; JdG, 24 janvier 1953, 10 ; JdG, 28 janvier 1953, 10 ; JdG, 29 janvier 1953, 10 ; JdG, 31 janvier 1953, 5.

358 Cameron 2002, 312.

359 JdG, 31 janvier 1953, 5.

cercle familial proche. Pourtant, le poids qui repose sur les donneurs qui constituent l’unique chance de survie pour le patient est parfois remis en cause au sein de la communauté médicale. C’est parti-culièrement le cas entre 1954 et 1958 lorsque les transplantations sont effectuées exclusivement entre jumeaux monozygotes. Alors qu’il préparait la première transplantation de ce type en 1954, John Murray, pionnier à Boston, mentionne en effet avoir été interpellé par des médecins qui s’y opposaient360.

Dans les revues médicales suisses, il faut attendre le milieu des années 1960 pour que le prélèvement sur donneur vivant suscite des questionnements au-delà des aspects strictement médicaux. Les résultats thérapeutiques encourageants, obtenus dès 1963 grâce à l’usage de stéroïdes dans le traitement du rejet, se traduisent par un intérêt accru de la communauté médicale pour la transplanta-tion. On le constate par la tenue de plusieurs conférences durant lesquelles les pionniers évoquent la transplantation rénale devant un public médical profane en matière de transplantations. En 1964, Hamburger et le chirurgien Jean Vaysse, avec lequel le néphrologue collabore à l’hôpital Necker à Paris, présentent un rapport sur la transplantation rénale lors de la réunion annuelle de la Société suisse de médecine interne. Aux détails médico-techniques privilégiés dans les publications de résultats se substitue une description générale de la procédure médicale dont le prélèvement constitue le fondement.

Dans le résumé qu’en propose M&H, Hamburger évoque « des problèmes d’éthique qu’il faut discuter. A-t-on le droit de prélever un rein chez une personne pour le greffer chez un malade ? Il est incontestable que ce procédé apparaît contraire à l’éthique médicale traditionnelle361 […]. » Pour autoriser un prélèvement et minimiser symboliquement et médicalement l’atteinte portée à un individu en bonne santé, le néphrologue français fait appel au respect de deux conditions essentielles à ses yeux : « a) il faut être sûr de la qualité du volontariat (mère qui veut sauver son enfant) et suivant le donneur qui se propose il faut le soumettre à un examen psychologique

pré-360 Woodruff 1966, 17.

361 M&H, 20 mai 1964, 469.

alable afin que la décision soit prise en toute connaissance de cause et non pas dans un moment d’exaltation ; b) les risques du donneur doivent être faibles par rapport aux chances du receveur, ce qui est bien le cas aujourd’hui : 0,05 % de risque contre 50 % de chances362. »

Façonnées par le contexte médico-technique et l’état des connaissances dans le domaine de l’immunologie, ces dispositions permettent la régulation de la pratique clinique en proposant un compromis entre besoin d’organes et protection du donneur. La force des liens affectifs entre donneur et receveur comme critère explicatif sur lequel évaluer le bien-fondé du don conduit les trans-planteurs, au début des années 1960, à choisir indistinctement des donneurs apparentés et des donneurs non apparentés, mais affectivement proches. Les mauvais résultats obtenus lors de tenta-tives menées avec les reins de donneurs non apparentés marquent l’abandon tacite de prélèvement vivant en dehors de la fratrie ou des parents. Aussi, l’évaluation de la liberté dont dispose le donneur apparenté, unique chance de survie pour le receveur, continue de nourrir les discussions, en marge de la pratique, entre transplan-teurs. Si les revues de notre corpus ne l’évoquent pas, Starzl estime lors du colloque Ciba de Londres en 1966 par exemple qu’il est difficile « d’imaginer comment quelqu’un ou un panel d’experts pourrait être certain que le don libre et sans coercition existe alors que le donneur potentiel est conscient qu’il prend une décision de vie ou de mort, et que sa décision est examinée363 ». Si un débat éthique concernant le prélèvement sur donneur vivant existe bel et bien, il s’avère quasiment absent dans les revues généralistes. Il est probable que ce type de questionnement reste cantonné aux revues spécialisées à cette époque.

La généralisation du recours aux organes cadavériques dans la seconde moitié des années 1960 marque, sous la plume de nom-breux transplanteurs s’exprimant dans notre corpus, la résolution définitive des problèmes éthiques liés aux prélèvements humains.

En 1971, dans un article relatant les activités conduites à Berne, le

362 Idem.

363 Murray 1966, 66 [notre traduction].

néphrologue André Montandon explique en effet que « grâce aussi à la possibilité d’utiliser des reins de cadavres, les hésitations de certains disparurent, le problème moral de prélever un organe à une personne saine ne se posant plus364 ».

Plus qu’un moyen complémentaire de fournir des organes, le prélèvement cadavérique constitue le prélèvement privilégié des programmes de transplantation rénale dans la plupart des hôpi-taux européens365. Si les problèmes moraux liés à la sollicitation de donneurs vivants ont limité la mise en place de programmes, la possibilité de procéder à des échanges d’organes grâce au prélè-vement cadavérique explique sans doute l’apparition de nombreux programmes dans les hôpitaux européens. Jusque-là, les difficultés techniques qui entourent l’identification cellulaire des donneurs constituent la principale entrave à l’extension de ce type de pré-lèvement. Pour les pionniers du prélèvement sur donneur vivant, comme Hamburger, le recours au rein de cadavres résout en effet les problèmes d’éthique médicale, mais entraîne la perte de « la moitié du progrès parcouru car on ne peut plus sélectionner les donneurs qui sont inconnus366 ».

Avec la mise en place de tests de typage cellulaire dès la fin des années 1960, la configuration d’échange centrée sur la recherche d’un donneur en fonction d’un receveur est remplacée par l’attribution d’un organe au receveur le plus compatible. Ce renversement, fondé sur l’identification des donneurs au sein des patients de l’hôpital et le regroupement des receveurs, constitue ainsi une adaptation de la pratique des transplantations à la structure centralisée hospitalière.

Les bilans d’activité montrent que le recours au donneur vivant est limité aux cas particuliers de fortes compatibilités comme l’illustrent clairement les propos de René Mégevand à Genève relayés en 1974 :

« De plus en plus, on a tendance à abandonner le donneur vivant apparenté au bénéfice du rein de cadavre, ne gardant comme excep-tion que les situaexcep-tions “HLA identiques”, c’est-à-dire au niveau de

364 RMSR, 6, 1973, 451.

365 Cameron 2002, 318.

366 M&H, 20 mai 1964, 469.

la fratrie367. » Ainsi, le prélèvement sur donneur vivant, limité aux cas pour lesquels les chances de succès sont les plus grandes, ne fait guère l’objet de questionnements éthiques.

La définition de la mort cérébrale

L’avènement de techniques de réanimation médicale permet, dès le début des années 1950, la suppléance de l’activité respiratoire et circulatoire chez des patients dont l’état physique détérioré en menace la régularité368. Si cette prise en charge est transitoire, certains patients, victimes d’une destruction définitive des fonctions cérébrales, ne reprennent jamais connaissance. Cet état décrit en 1959 dans la Revue neurologique par Maurice Goulon et Pierre Morallet sous le nom de « coma dépassé » se caractérise par l’irré-versibilité des dommages qu’il cause au cerveau et par l’arrêt naturel des fonctions cardio-respiratoires en l’absence de mesures supplé-tives369. Dans les revues médicales suisses, la notion de « coma dépassé » passe inaperçue au moment de son invention pour faire son apparition à la fin des années 1960, associée à la réalisation de transplantations rénales. Sous la plume de transplanteurs, le coma dépassé caractérise une catégorie de patients considérés comme des donneurs privilégiés dans des articles scientifiques ou comptes rendus de conférences destinés à des confrères non-spécialistes.

Lors d’un colloque concernant les activités menées à Zurich, en 1967, Largiadèr explique que les reins disponibles à l’hôpital can-tonal proviennent « en règle générale de patients morts d’affection cérébrale370 ». Si le corps médical s’accorde dans son ensemble à reconnaître l’irréversibilité de cet état, son assimilation à un état de mort clinique n’est pas unanime. Pour les transplanteurs zurichois, le diagnostic s’appuie sur des signes cliniques mesurables établis sous la forme d’une liste non standardisée. Immobilité totale des pupilles, absence de réflexe, pas de respiration spontanée cinq minutes après

367 Praxis, 63, 1974, 27.

368 Vachon 2010.

369 Hennette-Vauchet et Nowenstein 2009, 39-41.

370 Praxis, 22, 1967, 767.

interruption de la respiration artificielle, baisse constante de la pression artérielle et électroencéphalogramme plat constituent ainsi un faisceau de preuves médicales de la destruction des fonctions cérébrales. Chez les médecins non spécialisés dans le domaine de la transplantation, comme pour les rédacteurs des notices, l’état de coma dépassé est envisagé comme un entre-deux auquel l’arrêt des mesures de réanimation vient mettre un terme. Dans le BMS, un médecin se demande « si cet état peut encore être qualifié de vie ou si – l’expression revient constamment – l’individu n’est plus qu’une préparation cœur/poumon371 ».

La mort cardiaque à laquelle conduit inévitablement le coma dépassé contribue à entretenir le flou, où ce dernier est envisagé par-fois comme un pronostic de mort, parpar-fois comme un diagnostic372. Aussi, la terminologie utilisée pour qualifier ce type de donneur potentiel varie sous la plume des différents médecins. Pour les trans-planteurs de Zurich, où la mort est constatée avant le prélèvement, on parle de « Frischverstorbene373 ». À Genève, lors d’une séance de la société médicale en 1967, on le qualifie de « cadavre ou d’ago-nisant374 ». Dans le BMS la même année, le rédacteur évoque « un mourant375 ». Ainsi, dans ce contexte où la mort est médicalement attestée alors que les fonctions respiratoires sont maintenues, les enjeux médicaux et légaux se concentrent autour de la détermina-tion du moment qui autorise le prélèvement376.

Du côté des transplanteurs, la recherche d’une ischémie de durée minimale afin d’assurer un meilleur succès à la transplantation pousse à privilégier un prélèvement « à cœur battant » avant l’inter-ruption de l’assistance circulatoire. Selon les critères en vigueur en Suisse pour définir la mort jusqu’en 1968, l’arrêt du cœur en constitue l’élément central. Sur cette base, prélever un organe avant

371 BMS, 10, 1968, 521.

372 Hennette-Vauchet et Nowenstein 2009, 45-46.

373 Praxis, 22, 1967, 767.

374 RSMR, 1, 1968, 50.

375 BMS, 20, 1968, 521.

376 Voir Bellanger, Steinbrecher et Tröhler 2003.

l’arrêt respiratoire constitue une infraction susceptible de poursuites judiciaires. Prélèvement sur vivant en l’absence de consentement, atteinte corporelle entraînant la mort ou interruption volontaire des soins à prodiguer représentent autant d’infractions dont les médecins sont, aux yeux de la loi, responsables. Comme le bâtonnier de l’ordre des avocats du canton de Genève le rappelle lors d’une séance de la société médicale à laquelle il est convié, le coma dépassé ne bénéficie d’aucun statut spécifique, « la loi ne prévoit rien : elle connaît la vie et la mort377 ».

Aussi, les équipes médicales actives dans le domaine de la trans-plantation se trouvent confrontées à des problèmes pratiques que les propos d’un transplanteur rapportés dans le BMS illustrent :

« Doit-on, lorsqu’on décide de toute façon d’arrêter la circulation artificielle chez un mourant atteint de graves lésions au cerveau, opérer aussi longtemps qu’il y a circulation sanguine et interrompre seulement après la respiration artificielle, ou bien faut-il d’abord fermer l’appareil et enlever ensuite le rein378 ? »

Les protocoles opératoires qui régulent le prélèvement sur don-neur cadavérique varient sans doute d’un centre à l’autre à cette période. Un des rares exemples relatifs à l’activité clinique des centres de transplantation dont nous disposons provient de l’hôpital de Zurich. Si pour l’équipe zurichoise, il est clair que la mort est

« soit cardiaque, soit cérébrale379 », les prélèvements sont effec-tués uniquement après la suspension des mesures de réanimation.

Comme le précise Largiadèr, « […] la constatation du moment exact de l’entrée dans la mort est pour des raisons morales et légales d’une signification déterminante380 ». L’écart entre mort médicalement incontestable et mort légale pousse cependant certains chirurgiens à pratiquer des prélèvements « à cœur battant » avant que la mort par arrêt circulatoire soit prononcée. À la fin des années 1960, le pionnier de la transplantation rénale en Belgique, Guy Alexandre,

377 RMSR, 1, 1968, 51.

378 BMS, 20, 1968, 521.

379 Praxis, 22, 1967, 768 [notre traduction].

380 Idem, 767 [notre traduction].

explique avoir assisté à un prélèvement mené avec l’accord d’un neurochirurgien pour lequel la mort du donneur potentiel était évidente « alors que le cœur battait encore381 ».

La transplantation cardiaque du Cap effectuée en décembre 1967

La transplantation cardiaque du Cap effectuée en décembre 1967

Dans le document Don et transplantation d’organes en Suisse : (Page 145-167)