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Professionnalisation et anticipation des changements politiques

et le fonctionnement de Swisstransplant

2.3 Professionnalisation et anticipation des changements politiques

La nécessité d’entreprendre des modifications menant à une professionnalisation de Swisstransplant est reconnue par l’ensemble des membres du Comité exécutif dès le milieu des années 1990. Le développement des activités organisationnelles entraîne une charge de travail importante pour le Comité exécutif, présentée parfois comme un frein à la motivation d’implication des chirurgiens dans la fondation. Au sein des centres de transplantation, il devient dif-ficile de recruter des représentants pour siéger au Comité exécutif, comme l’explique le chirurgien Amédée Genton de Lausanne : « Le but à long terme, ceci est évident, est la professionnalisation de Swisstransplant, car tous les membres actuels sont surchargés et il est très difficile de trouver des volontaires246. »

Si ces aspects fonctionnels jouent un rôle dans la volonté de profes-sionnaliser les structures, c’est surtout l’émergence du processus légis-latif régulant la pratique de la transplantation qui pousse les membres à envisager cette éventualité. Initiée dès 1995 par une commission de travail247, l’élaboration de la future loi fédérale représente pour la fon-dation le début d’une négociation sur le rôle que les autorités fédérales lui attribueront dans la nouvelle organisation de la transplantation.

Certains membres souhaitent anticiper l’application de la loi pour permettre à la fondation de se positionner avantageusement dans les négociations qu’elle devra entreprendre avec la Confédération. Sous la forme qui est la sienne, la fondation semble cependant mal engagée.

Ce constat est renforcé par la recherche d’un nouveau président en 1998, à la suite de la démission du conseiller d’État genevois Segond.

Les entretiens préliminaires, menés par Largiadèr avec plusieurs conseillers nationaux et aux États, mettent en lumière la nécessité una-nime d’adapter les structures sans donner toutefois plus de détails248. Dans ce contexte, Largiadèr réfléchit à un nouveau modèle de structures dirigeantes pour trouver un président influent dans la

246 P-V CF, 15 avril 1996, p. 2.

247 P-V CE, 29 novembre 1995, p. 6

248 Protokoll, « Zweite Sitzung der Findungskommission Swisstransplant », p. 1.

sphère politique fédérale. À la tête de la commission composée de médecins du Comité exécutif et du Conseil de fondation qui se réunit à deux reprises les 19 août et 28 septembre 1998 pour superviser la recherche d’un nouveau président, le chirurgien zurichois propose un modèle centré sur la professionnalisation des structures dirigeantes.

Resté au stade de projet, ce modèle suggère la dissolution du Comité exécutif au profit d’un comité directeur constitué d’un seul représentant du corps médical, du président de la fondation, d’un vice-président, d’un représentant de la Coordination nationale et d’un secrétaire249. Il ne s’agit plus de se réunir pour préciser l’orga-nisation de la transplantation, mais bien de gérer les activités de la fondation comme un système organisationnel établi et fixé. Dans cette optique, l’omniprésence de médecins à la tête de la fondation n’est plus justifiée dans le nouveau modèle qui présente l’organisa-tion de la fondal’organisa-tion. Cette volonté affichée de diminuer l’influence du Comité exécutif est mal perçue par la majorité des membres du Comité exécutif. Le flou qui entoure le statut qu’obtiendra la fondation dans le cadre de l’application de la future loi fédérale incite à considérer tout changement comme prématuré. La prise de décision précipitée est envisagée comme une mise en péril de l’équilibre médical établi. Le président du Comité exécutif Philippe Morel l’évoque dans un courrier transmis à Largiadèr en tant que responsable de la commission de recherche d’un président :

« Les modifications des structures devraient en effet s’effectuer au moment où notre Fondation se placera sous la responsabilité directe des instances fédérales compétentes […]. Le bon fonctionne-ment actuel, au plan médical de notre fondation, l’entente qui règne entre les différents partenaires ; la qualité des prestations que nous offrons pourraient en effet souffrir sévèrement des modifications intempestives de notre structure250. »

Malgré la volonté de temporisation exprimée par certains membres du Comité exécutif, le Conseil de fondation accepte sans

249 Correspondance, « Organisation und Arbeitsweise der Stiftung Swisstransplant », 23 septembre 1998.

250 Correspondance, sans titre [avis du conseil exécutif sur les modifications des struc-tures de la fondation], 14 octobre 1998.

discussion, conjointement au changement de présidence en 2000, de profondes modifications de l’organigramme.

Derrière les transformations structurelles entreprises apparaît en filigrane une « démédicalisation » des structures dirigeantes, caractérisée par la dissolution du Comité exécutif et son remplace-ment, comme le prévoyait le projet élaboré en 1998, par un Comité directeur composé de cinq membres issus du Conseil de fondation, dont un seul est médecin, et du président. À chaque membre cor-respond un département dont il est l’unique porte-parole. Selon ce redécoupage des responsabilités, les postes clés doivent à moyen terme faire l’objet d’une professionnalisation.

Le Comité médical, créé sur les bases de l’ancien Comité exé-cutif251, est composé uniquement de représentants des centres de transplantation. Son activité est limitée au traitement de problèmes scientifiques et médicaux, comme l’élaboration d’un accord entre la fondation et Eurotransplant sur la traçabilité des organes échan-gés252. La gestion de la coordination qui représentait une des tâches importantes de l’ancien Comité exécutif est attribuée à des groupes de travail253. La représentation du Comité médical au Conseil de fondation est limitée à un seul membre, changement qui symbolise la gestion centralisée de la transplantation et la capacité de décision réduite des hôpitaux.

La dissociation entre les aspects médicaux et l’organisation logis-tique de la transplantation est mal perçue par le corps médical de la fondation. L’indépendance du lien entre la Coordination nationale et le nouveau Comité médical contribue à fragiliser le contrôle médical sur la transplantation. Si les aspects spécifiquement organisationnels de la répartition des organes peuvent être réalisés en dehors de toute relation avec le corps médical, d’autres problèmes, comme l’évalua-tion ou l’adaptal’évalua-tion des règles d’échanges, nécessitent selon eux la consultation des transplanteurs254. La prise en charge de ces aspects

251 P-V CF, 13 janvier 2000, p. 2.

252 P-V Comité médical (CM), 25 juin 2001, p. 2.

253 P-V Comité directeur (CD), 14 août 2000, p. 2.

254 Correspondance, « Réunion du comité médical du 28 janvier 2000 », 8 février 2000, p. 2.

par les groupes de travail renforce encore la séparation, puisqu’ils se rassemblent lors de leurs séances de travail indépendamment les uns des autres, selon une logique d’organe. Pour les membres du Comité médical, le fonctionnement de la coordination nécessite par définition un partage général des informations et des problèmes médicaux rencontrés dans la pratique.

La diminution des possibilités d’intervention du corps médical dans l’ensemble des nouvelles structures est également dénoncée.

L’intégration d’un seul médecin dans le Comité directeur est jugée largement insuffisante, tout comme la limitation à un unique repré-sentant du Comité médical dans le Conseil de fondation. Pour les membres du Comité, cette amputation rend difficiles la possibilité et la liberté d’exprimer le point de vue médical au sein de la fon-dation255. Dans un courrier adressé à la nouvelle présidente Trix Heberlein, le président du Comité exécutif conteste ce processus qui tend à isoler les médecins hors des structures dirigeantes :

« En ces périodes de turbulences législatives, il est important de renforcer la cohésion, l’unité et la synchronisation des activités médicales de Swisstransplant256. »

L’évaluation du contexte politique et des stratégies pour s’y adapter ne fait pas l’unanimité parmi les membres. C’est justement l’incertitude autour de l’avenir de la fondation qui impose, pour les partisans de ce nouveau modèle moins monopolisé par les médecins, des modifications structurelles, validées par le Conseil de fondation.

Une dernière mesure mal comprise par le corps médical dans le cadre de ces restructurations est la suppression du Club de Transplantation257. Créé en 1993, il est décrit comme « un forum d’accès libre auquel peut participer l’ensemble des médecins intéres-sés à la transplantation, quelle que soit leur spécialité258 ». Le but de cette organisation est de permettre à la fondation de diffuser la thématique de la transplantation en dehors de la sphère limitée des

255 P-V Comité médical (CM), 11 septembre 2000, p. 2.

256 Correspondance, « Organigramme de Swisstransplant », 8 février 2000, p. 2.

257 P-V CF, 4 décembre 2000, p. 3 258 P-V CE, 4 septembre 1992, p. 3.

transplanteurs. Subordonné informellement au Comité exécutif qui en supervise le fonctionnement et les activités scientifiques, il permet d’élargir la diffusion de la thématique à un public médical plus large, tout en gardant le contrôle sur l’espace scientifique.

La raison de cette dissolution n’est pas explicitement abordée, mais on peut penser qu’elle trouve son origine dans l’opacité des liens qui l’unissent à la fondation. Organisation fondée par des transplanteurs, ses membres sont parfois intégrés informellement au Comité exécutif rendant les liens entre le Club et les structures dirigeantes mal définis. Dans une perspective générale de clarifica-tion des statuts et des rapports hiérarchiques entre les structures, les liens paraissent trop intriqués pour être préservés. Alors que le corps médical se sent mis de côté, la perspective d’une bureaucrati-sation de Swisstransplant induite par l’imminence de la loi fédérale sur la transplantation pousse les membres du Comité médical à se regrouper dans une structure externe (la Société scientifique de transplantation). Afin de pallier ce qui est perçu comme un manque de représentativité du nouveau Comité médical, cette société se veut ouverte à tous les spécialistes de la transplantation, notamment les membres de l’ancien Comité exécutif259. Si le Club de Transplantation avait été créé en 1993 pour offrir un accès à Swisstransplant à tous les médecins intéressés par la transplantation, c’est un phénomène inverse que l’on constate en 2000 avec la professionnalisation.

2.4 Conclusion

À la fin des années 1980, la structure de Swisstransplant est fortement marquée par l’influence des centres de transplantation.

Le poids des transplanteurs dans l’organisation des pratiques s’en ressent largement. La volonté de la fondation de réguler la trans-plantation ne s’apparente en aucun cas à une remise en cause des pratiques médicales ou de la mainmise des médecins sur celle-ci. La création du Comité exécutif au début des années 1990 représente une étape clé du développement structurel de la fondation. La

par-259 P-V CM, 4 décembre 2000, p. 3.

ticipation au Comité exécutif s’apparente alors à une appartenance communautaire. Composé de médecins impliqués dans le domaine de la transplantation, il donne une forte orientation médicale à la mise en place des structures organisationnelles de la fondation. Le développement de ses activités ne va pas sans révéler des tensions entre les membres. Issues d’opposition d’idées, parfois alimentées par des rivalités, ces tensions n’empêchent pas le Comité exécutif de poursuivre ses activités aussi bien dans la gestion des échanges d’organes que dans le domaine de la promotion du don.

L’implication prépondérante des médecins jusqu’à la fin des années 1990 est une adaptation pragmatique au contexte poli-tique plus global dans lequel la fondation se développe. Le manque d’engagement des instances politiques, sollicitées à plusieurs reprises, contraint la fondation à mobiliser ses propres ressources à la recherche d’autres sources de financement et de soutien. C’est grâce à des appuis ponctuels que certaines étapes importantes du développement structurel et opérationnel de Swisstransplant ont été concrétisées (la collaboration avec le Lions Club qui a permis le lan-cement d’une carte de donneur et le finanlan-cement de la Coordination nationale grâce à la subvention du canton de Genève).

La professionnalisation des postes clés au sein de Swisstransplant remet en question la prédominance des médecins dans la gestion de la fondation. Influencée par l’élaboration du processus législatif mené par la Confédération à partir du milieu des années 1990, cette professionnalisation pose un dilemme au corps médical. D’un côté, la nécessité de présenter une structure pour négocier une place de choix au centre du mécanisme de la nouvelle organisation de la transplantation apparaît comme inéluctable. De l’autre, la crainte de perdre un droit de regard et d’intervention privilégié, issu de la période d’émergence de la transplantation dans les hôpitaux, est per-çue comme une remise en cause de leur autorité. Les tensions entre les membres de la fondation prennent une ampleur accrue à l’occa-sion de la modification de l’organigramme à la fin des années 1990.

L’élaboration de la future loi fédérale redéfinit non seulement le fonctionnement de Swisstransplant, mais aussi les modalités de circulation des organes, comme le montrera le chapitre suivant.

L’organisation médicale