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2. Le cadre conceptuel

2.2. La question de la référence

Martinand, didacticien, s’interroge par rapport aux problèmes spécifiques qu’il rencontre en physique ou en technologie. Dans les disciplines expérimentales, la transposition didactique ne peut pas se réaliser uniquement à partir du savoir savant. Lors de sa participation à la conception, à l’essai et à l’évaluation de nouveaux enseignements pour les collèges, Martinand participe à un projet d’initiation aux techniques de fabrication mécanique en classe de 4e. Il s’agit de faire construire par des groupes d’élèves des objets techniques complexes avec du matériel varié et de leur faire connaître des techniques de fabrication, de les amener à réfléchir au fonctionnement de machines – outils. « C’est pour apprécier de façon précise et analytique les différences entre les activités et les moyens de la classe, et les pratiques industrielles », qui se veulent authentiques, que Martinand (1995, p. 13) propose en 1981 le concept de « pratique sociale de référence ». Il renvoie aux trois aspects suivants (1986a, p. 137) :

• « ce sont des activités objectives de transformation d’un donné naturel ou humain (« pratique ») ;

• elles concernent l’ensemble d’un secteur social, et non des rôles individuels (« social ») ;

• la relation avec les activités didactiques n’est pas d’identité, il y a seulement terme de comparaison (« référence »).

L’auteur considère les pratiques au sens global. C’est par rapport à toutes les composantes d’une pratique (culturelle, familière, de production, de recherche…) que la question de la référence doit être posée. La pratique est en effet caractérisée par des objets de travail, des instruments matériels, intellectuels, des problèmes, des savoirs, des attitudes, des rôles sociaux (1989b). Les savoirs notamment sont véritablement contenus, inclus dans la pratique et ne peuvent être décontextualisés ou isolés des pratiques (non pratiques à côté des savoirs, ou simple contextualisation des savoirs, mais pratiques impliquant des savoirs). L’auteur (2001a) propose alors de passer d’une transposition restreinte entre savoir savant et savoir enseigné à une transposition générale ou élargie entre pratiques sociales de référence (non scolaires) et activités scolaires. Cette vision globale des pratiques est plus adaptée à l’EPS, car les professeurs enseignent essentiellement des pratiques physiques, sportives et artistiques. Ils enseignent aussi des savoirs, mais ce sont des savoirs de la pratique, qui ne peuvent se construire en dehors de la pratique.

La référence est nécessaire, puisque les activités scolaires veulent être des images d’activités sociales réelles. Parfois, les disciplines scolaires se coupent des références externes à l’école. Elles ont tendance « à s’enfermer progressivement dans l’autoréférence, dans une boucle contenus – pratiques d’enseignement – évaluation des apprentissages – contenus » (Martinand, 1994a, p. 72). Il faut alors penser les conditions pour s’opposer à l’autoréférence, de façon à ce que les activités scolaires ne perdent pas le sens qui s’attache à la référence.

Martinand, comme Chevallard, souhaite contrôler les écarts entre ce qui est produit dans la société et ce qui se fait à l’école. La notion de pratique de référence « fonctionne essentiellement comme guide d’analyse de contenus, et par là de critique et de proposition » (Martinand, 1986a, p. 137).

« L’origine de la notion de pratique de référence est moins l’indignation devant l’écart entre pratique vivante et activité scolaire que le besoin d’effectuer un choix explicite de référence, de contrôler les écarts entre la pratique choisie et les activités scolaires, d’assurer une cohérence entre les différentes composantes de l’activité scolaire en relation avec une pratique de référence » (1989a, p. 100). Il s’agit donc de faire des choix parmi la pluralité des références possibles. Certaines pratiques de référence sont donc valorisées, d’autres sont dévalorisées. Les choix sont d’abord politiques, avant d’être didactiques. Develay (1992, p. 25) précise que la transposition didactique nécessite « un travail axiologique afin que les savoirs à enseigner correspondent aux valeurs souhaitées par les décideurs ». Mais la question de la référence est autant axiologique que didactique. Aborder des choix de références, c’est aussi « faire apparaître les enjeux et les implications de choix de valeurs » (Martinand, 1993a, p. 142). « Il ne paraît pas possible de prendre au même moment plus d’une référence » (Martinand, 1986b, p. 909) : exclusions et différenciations doivent être explicites. Il semble indispensable de sélectionner une référence dominante, voire exclusive. En effet, les choix de problèmes spécifiques, des moyens, des valeurs ne sont pas les mêmes. Pourtant, les enseignants ne choisissent pas toujours une seule référence. Garcia-Debanc (2001, p. 86) remarque en didactique du français que les références « se concurrencent ou se combinent pour la constitution des nouveaux objets d’enseignement ». De même en acrosport, nous notons que certains enseignants proposent de nouvelles formes de pratique en combinant deux activités

sportives différentes (Musard, Mahut, Mahut & Gréhaigne, 2002b). Cela pose le problème de la cohérence des pratiques scolaires, voire de l’autoréférence.

La question de la référence n’est donc pas de même nature que celle de la transposition didactique. Dans la construction d’activités en classe, avec quoi pense-t-on ? Avec quoi travaille-t-on ? Comment construit-on les activités scolaires ? A quoi renvoient-elles à l’extérieur de l’école ? En réalité, il n’y a pas toujours un « déjà-là » identifié, donc une transposition. La transposition didactique représente peut-être un cas particulier parmi d’autres. La problématique de la référence apparaît donc plus ouverte que celle de la transposition didactique. Mais dans le même temps, elle est plus complexe, car centrée sur la construction des activités scolaires. Les processus sont beaucoup plus variés. « Il importe de garder l’idée de transposition mais en lui conférant un sens fort portant sur la construction, l’invention même d’activités scolaires en relation à des pratiques de référence. Il s’agit en effet d’ouvrir des possibles et non seulement de mieux habiller ou de critiquer un mauvais habillage » (Martinand, 1989b, p. 25). Si nous considérons la question de la référence, le point de départ n’est pas donné et il s’agit plutôt de s’interroger et de discuter les références qui peuvent être plurielles, passées, présentes ou virtuelles. Ainsi, la notion de référence virtuelle permet de réfléchir aux activités scolaires construites pour transformer les pratiques sociales, aux formations mises en place pour changer les pratiques professionnelles. « Certaines formations sont même inventées pour changer les pratiques ; la pratique de référence peut alors être virtuelle » (1993a, p. 138). Par exemple, la formation des pompiers contre les incendies s’organise en lutte collective avec des rôles distribués pour plus d’efficacité, alors qu’avant, elle était individuelle (Rogalski & Samurcay, 1994). Il s’agit de répondre en terme de référence au rôle social de la discipline. Que veut-on changer ? Quels futurs adultes

souhaite-t-on former ? La problématique de la référence questisouhaite-t-onne dsouhaite-t-onc les relatisouhaite-t-ons entre le cadre scolaire et ce qui se fait à l’extérieur de l’école dans les deux sens (ce qu’illustre la double flèche de la figure III) : quelle est l’influence de la société sur l’école et quelle est l’influence de l’école sur la société ?

Figure III. La problématique de la référence : un double questionnement sur les relations entre

pratiques sociales et activités scolaires.

Chevallard ne s’interroge donc pas sur la référence, puisque c’est toujours le savoir savant qui constitue le point de départ de la transposition didactique dans sa définition. En revanche, la conception de Martinand semble plus ouverte, puisque toutes les pratiques sociales (non scolaires), qu’elles soient passées, présentes ou virtuelles peuvent servir de référence à l’enseignement. Ces deux positions différentes mettent en évidence un débat sur la nature de la référence, entre savoir savant et pratique sociale et plus globalement entre savoirs et pratiques.