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Question problématique & hypothèse

Dans le document La recherche architecturale (Page 139-143)

Troisième partie

4. Question problématique & hypothèse

Thierry Verdier insiste : « un mémoire n’est pas la compilation anxiogène d’informations, d’images ou de fragments de paroles. Il est force d’énonciation15 ». Comment fait-il alors pour passer

de l’état de « liste », de l’état « compilatoire », à l’état de « force d’énonciation » voire de proposition

argumentée critique ? Ce sont les problématiques et

les hypothèses de la recherche qui vont permettre cela.

Pour Michel Beaud, « la problématique, c’est l’ensemble construit, autour d’une question principale, des hypothèses de recherche et des lignes d’analyse qui permettront de traiter le sujet choisi16 ».

En effet, c’est bien autour d’une question principale et d’une hypothèse de réponse à cette question que va se construire principalement une problématique de recherche complète. Et si ces éléments, donc, ne suffisent pas à « faire problématique » à eux seuls (il ne suffit pas d’avoir une bonne question pour

14 Nous y reviendrons dans la 4e partie « Analyses » de ce travail. 15 Thierry Verdier, Guide pour la rédaction du mémoire en architecture,

op. cit., p. 14.

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avoir un sujet de recherche), ils en sont les noyaux incontournables et centraux à la fois. Ainsi Beaud insiste-t-il : « sans question principale, pas de bonne

thèse. Toutes les bonnes thèses que j’ai vues étaient

« armées », à la fois guidées et animées, par une question principale17 ». Il est donc fondamental de

bien différencier, d’une part, la « problématique » (construite par l’ensemble de nos treize points) de la « question problématique » (cette question centrale dont parle bien Michel Beaud) ; et de situer, d’autre part, les enjeux et possibilités propres de cette question centrale en tant qu’elle est la pièce centrale de toute la synergie méthodologique de la recherche. Cette question centrale est nécessairement construite en lien avec une hypothèse personnelle. Tout l’objet du travail de recherche est de faire passer cette hypothèse de l’état de conviction intime (avant la recherche), à un état d’explicitation précise et construite (qui va permettre de fixer la méthode et démarrer l’enquête), jusqu’à, enfin, une conclusion capable de valider ou d’invalider de façon rationnelle cette intuition irrationnelle initiale. C’est ce que confirme d’ailleurs le Grand Larousse en définissant l’hypothèse comme « une proposition relative à l’explication d’un phénomène, qui est admise avant d’être soumise au contrôle de l’expérience ». Dès lors, rien n’est plus navrant que d’entendre parler, ici et là, « d’hypothèse scientifique18 ». En effet, c’est justement

le propre d’une hypothèse que de relever de l’ordre de l’intuition, du non-fondé, bref : d’une forme de

sentir intellectuel qui n’a, justement !, pas encore pu

17 Idem, p. 41.

18 Ainsi notamment de l’ouvrage Méthodologie de la thèse et du mémoire,

qui annonce fièrement que « Quel que soit le sujet retenu (théorique ou empirique), la rédaction d’une thèse s’appuie sur des hypothèses scientifiques » Cf. Sophie Boutillier, Alban Goguel D’allondans, Nelly Labère, Dimitri Uzunidis, op. cit., p. 132.

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se déployer par le biais scientifique. Autrement dit, s’il appartient bien à toute recherche de partir d’une hypothèse (qui, certes, peut aussi comporter des parts rationnelles), c’est aux méthodes, processus et argumentation de se déployer dans le cadre rigoureux de la scientificité (et non à l’hypothèse elle-même de prétendre pouvoir être « scientifique »).

Disons aussi que si un bon sujet de recherche se construit autour d’une (et unique) hypothèse principale, il convient d’entendre à quel point celle-ci ne pourrait se déployer si elle n’était nécessairement accompagnée d’une multitude d’hypothèses plus mineures, secondaires, et rapides à démontrer. Expliciter tant cette majeure que ses mineures, pour soi-même autant que pour le lectorat validant ou bénéficiant de la recherche, c’est se donner le maximum de chance tant d’être clair et compris, que d’être juste dans ses démonstrations.

Il faut comprendre aussi à quel point il est fondamental de travailler avec une grande rigueur et précision les termes exacts tant de cette « problématique » que de cette « hypothèse ». Définir les termes, enquêter sur leur origine étymologique, mener quelques recherches sur chacun de ces mots pour en saisir les grandes acceptions, les auteur·e·s majeur·e·s, la socio-histoire précise et les conflits qui en sont sortis au fil des époques, etc. : tout cela pour éviter les questionnements flous et non maîtrisables (du type Quelle éthique architecturale

pour l’écologie ?) autant que pour construire un

propos précis, dont nous sommes certain·e·s qu’il reflète parfaitement notre pensée. Cela sous-entend nécessairement s’interroger sur quelques concepts d’un point de vue philosophique (soit, dans l’exemple

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ci-dessus, pourquoi « éthique » et non « morale » ; en

disant « architecturale », parlons-nous de la discipline, de l’architecte, ou de l’objet architectural bâti ? ; et

enfin pourquoi écologique, et non « environnemental »,

« durable », ou « soutenable » ?). Si ces questionnements

sur le sens des termes doivent amener à de rigoureuses enquêtes sémantiques, il conviendra – toujours – en définitive de choisir et trancher, pour un ensemble de raisons plus ou moins argumentées ou arbitraires, parmi ces différents sens. C’est-à-dire qu’il revient généralement à l’auteur·e de la recherche de choisir, si il ou elle souhaite par exemple considérer éthique & morale comme deux synonymes (ce que par ailleurs font et assument très explicitement bon nombre de grands spécialistes du sujet), ou si il ou elle pense qu’il importe de distinguer ces deux notions (en affirmant que l’éthique est la discipline philosophique s’intéressant aux questions morales, par exemple).

Je propose enfin, de façon générale, d’éviter les « qu’est-ce que » pour la problématique, en ce qu’ils amènent à une réflexion ontologique difficile à conduire pour les non-initié·e·s. Se demander qu’est-ce

que, en effet, c’est littéralement demander quel est « l’Être de », ou, autrement dit, quelle est l’essence de.

Mais, comme le note Gilles Deleuze lui-même :

« Il n’est pas sûr que la question Qu’est-ce que ? soit une bonne question pour découvrir l’essence ou l’Idée. Il se peut que des questions du type : qui ?, combien ?,

comment ?, où ?, quand ?, soient meilleures – tant pour

découvrir l’essence que pour déterminer quelque chose de plus important concernant l’Idée19. »

19 Gilles Deleuze, « La méthode de dramatisation », in L’île déserte. Textes et

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Tout invite à remplacer l’interrogation ontologique peut-être trop directe par une interrogation plus pragmatique (à la liste deleuzienne ajoutons aussi l’utile « en quoi ? »). Le pari étant que cette invitation pragmatiste amènera sans doute, en définitive, à en apprendre plus encore sur l’essence d’une chose qu’un qu’est-ce que trop métaphysique, trop difficile à traiter ou risquant surtout de concourir au développement d’une énième « fiction théorique20 ».

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