• Aucun résultat trouvé

Objectif / subjectif

Dans le document La recherche architecturale (Page 91-94)

Deuxième partie

7. Objectif / subjectif

Comme le synthétise Jacques Monod dans son fameux ouvrage Le hasard et la nécessité, « le postulat d’objectivité est consubstantiel à la science, il a guidé tout son prodigieux développement depuis trois siècles. Il est impossible de s’en défaire, fût-ce provisoirement ou dans un domaine limité, sans sortir de la science elle-même [...] La pierre angulaire de la méthode scientifique est le postulat de l’objectivité de la Nature, postulat pur, à jamais indémontrable21 ».

Rien n’est pourtant plus compliqué et débattu, au sein des milieux scientifiques eux-mêmes, que cette idée « d’objectivité ». C’est que, pour les constructivistes, la réalité objective est « construite » par l’individu, ses interprétations et ses points de vue situés. Ce n’est, dès lors, que l’image que nous avons du monde, et non le monde lui-même, qu’il nous est possible d’étudier par les voies de la science. Il n’y a pas véritablement de réalité objective et indépendante, parfaitement extérieure à nous – tout est construction sociale et individuelle. Ainsi par exemple Gaston Bachelard affirme-t-il en 1934 dans

Pos

tur

es & dé

ba

ts

La formation de l’esprit scientifique que « Dans la vie

scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux- mêmes. [...] Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit22 ». Ce constructivisme s’oppose

à des approches plus réalistes, qui considèrent pour leur part qu’une réalité extérieure existe de façon indépendante de nous-mêmes et que c’est bien le but de la science que de faire apparaître les structures de fonctionnements de cette réalité qui nous entoure et nous dépasse. Dit en synthèse, pour les partisans d’une épistémologie réaliste, les faits préexistent à toute analyse, tandis que pour les tenants d’une épistémologie constructiviste, tout cas observable fait nécessairement suite à une représentation interprétative ou analytique préalable…

Est-il toutefois possible de comprendre pleinement ces oppositions de principe sans considérer, parallèlement, les luttes sociales qu’elles servent ? Adorno – célèbre meneur déjà cité d’une « Théorie critique » capable de ne jamais séparer l’intellectualisme de ses réalités socio-politiques – est sans appel à cet égard : « Les différences de convictions, qui reflètent celles des intérêts réels, sont elles-mêmes faites pour dissimuler l’accord sur l’essentiel23. ». C’est de la sorte que le débat de

l’objectivité et de la subjectivité de la recherche peut être posé sous l’angle de l’objet (naturel, scientifique, observable, observé) et du sujet – le ou la chercheure en tant qu’il et elles sont toujours aussi, des citoyens et citoyennes pris dans un monde fait de luttes.

22 Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1938, p. 14. 23 Theodor W. Adorno, Prismes. Critique de la culture et société (1955),

Pos

tur

es & dé

ba

ts

Autrement encore on pourra prendre le débat entre objectivité et subjectivité sous l’angle de la thèse (objet) et son auteur·e (sujet), par le biais de

l’argumentum ad hominem ; à savoir, sous le prisme

de l’interrogation suivante : le sens, la valeur, la réception critique d’une thèse ou d’une œuvre, en effet, peut-elle être parfaitement détachée de son auteur·e ? Le débat fait rage de longue date. D’un côté, il faut dire à quel point, en effet, toute pensée ne prend sens qu’en un contexte donné, en tant que réponse à ce dernier, faite par un·e acteur·trice particulier·e du réel (etc.), de sorte qu’il importe de ne jamais dissocier la théorie de la géo- et socio- histoire qui l’a produite et lui donne du sens. Rien ou presque ne fait sens en soi. On s’en convaincra par l’expérience en constatant la différence de réception entre ces cinq affirmations – du fait même de leur auteur fantasmé :

L’important, ce n’est pas l’objet, c’est l’espace autour de l’objet.

(Alberto Giacometti) L’important, ce n’est pas l’objet, c’est l’espace autour de l’objet.

(Albert Einstein) L’important, ce n’est pas l’objet, c’est l’espace autour de l’objet.

(Zaha Hadid) L’important, ce n’est pas l’objet, c’est l’espace autour de l’objet.

(Sun Tzu) L’important, ce n’est pas l’objet, c’est l’espace autour de l’objet.

(Madame Michu)24 24 L’expression est d’Alberto Giacometti.

Pos

tur

es & dé

ba

ts

On le voit bien, la phrase prend un sens complètement différent suivant que l’on pense qu’il est question de sculpture, d’astrophysique, d’architecture, d’art de la guerre ou de coiffure ; suivant qu’on s’imagine qu’elle a été prononcée par une figure tutélaire de ces disciplines ou non ; et suivant l’époque et le contexte culturel au sein duquel on imagine qu’elle a été prononcée. D’un autre côté, pourtant, attention à ne pas tomber dans des sophismes25 en confondant trop fortement

thèse et auteur·e (en attaquant l’auteur·e et non la thèse, en faisant un usage abusif des « arguments d’autorité » – valorisant plus la notoriété de l’auteur que le contenu du discours – en mélangeant à outrance biographie de l’auteur·e et intérêt de ses propos). Au moyen d’une image qui parlera à la discipline, disons qu’il serait complètement absurde de ne plus s’intéresser aux qualités architectoniques des bâtiments corbuséens sous prétexte que celui-ci ait pu se rendre coupable de comportements ou propos douteux durant les années 1940, l’un (le caractère antisémite de l’architecte) et l’autre (l’architectonique de son œuvre) n’ayant strictement aucun rapport…

8. Fiction, théorie

Dans le document La recherche architecturale (Page 91-94)