• Aucun résultat trouvé

Avant de proposer une classification des activités et des revenus ruraux, il convient de revenir sur le débat relatif à la diversification. Une définition précise des catégories d’activités est en effet indispensable pour éviter les sources d’in-compréhension ou les biais d’analyse.

Aperçu du débat sur la diversification rurale

Un important courant de recherche a montré que les ménages ruraux des pays en développement tirent de plus en plus leurs revenus d’activités non agricoles et de transferts. Une récente revue de cette littérature (Haggblade, Hazell et Rear-don 2007) a décrit les multiples facettes de l’économie rurale non agricole. Hagg-blade (2007) souligne que le débat ancien qu’elle suscite met en jeu quatre angles d’approche, tous ancrés dans le champ de l’économie du développement. Ainsi, l’économie rurale non agricole peut être considérée du point de vue de ses liens avec la croissance agricole, de sa contribution à l’emploi, de son rôle dans le développe-ment régional ou de sa contribution directe aux stratégies de revenu des ménages. C’est cette dernière perspective qui a été retenue par le programme RuralStruc.

La diversification croissante des ménages ruraux résulte d’une double série de facteurs : des facteurs d’attraction plutôt considérés comme positifs (pull factors) et des facteurs d’évasion plutôt négatifs (push factors). Du côté pull, il faut souli-gner l’importance des nouvelles opportunités d’emploi dues à l’amélioration des connexions entre les zones rurales, les marchés et les villes, conséquence du déve-loppement économique et de l’amélioration générale des infrastructures de trans-port et de télécommunications (par exemple, les téléphones mobiles et les nou-veaux services qui y sont associés, comme les systèmes de transfert d’espèces). Mais la diversification découle aussi, côté push, des conditions d’activité plus difficiles des exploitations agricoles. Il s’agit notamment des conséquences de la croissance démographique, qui peut engendrer des pressions croissantes sur les ressources naturelles et une baisse des revenus agricoles (parcelles plus petites, terres surex-ploitées et dégradées), mais aussi des nombreux changements de l’environnement institutionnel et économique résultant des politiques de libéralisation et des effets de la mondialisation intervenus depuis les années 1980. Ces transformations de l’environnement ont certes créé de nouvelles opportunités de marché, mais la fin de la réglementation des prix, la suppression des subventions (en particulier pour les intrants) et le retrait des appuis techniques financés par des fonds publics sont aussi à l’origine d’un environnement plus instable et souvent plus difficile pour les ménages agricoles. Et ces difficultés sont aggravées dans les zones reculées, où les imperfections du marché sont plus nombreuses (marchés inexistants, coûts de transaction élevés) et la fourniture de biens publics insuffisante.

Face à toutes ces mutations et aux coûts d’accès croissants à de nombreux ser-vices (en particulier l’éducation et la santé en Afrique subsaharienne), nombreux sont les ménages ruraux qui ont besoin de revenus plus élevés et plus stables. Confrontés à des difficultés financières croissantes, ils sont contraints de déployer des stratégies de gestion des risques ou d’adaptation pour trouver un complé-ment de revenu non agricole1. Comme le résument Barrett et Reardon, « la diver-sification est la norme. Très peu d’individus tirent la totalité de leurs revenus d’une seule source, détiennent tout leur patrimoine sous forme d’un actif unique ou affectent tous leurs actifs à une seule activité » (2000,1-2).

L’ampleur de la diversification rurale suscite un débat intense. Les résultats très divergents présentés dans la littérature découlent de différences importantes qui

les mulTiples faCeTTes de la diversifiCaTion rurale 121

sont liées à la définition des activités, à l’objectif des études (estimation du revenu ou estimation de l’emploi par exemple) et au type de données utilisées (données primaires ou données secondaires et méthodes de collecte). Les résultats traduisent aussi la forte hétérogénéité des structures de revenus entre les pays, entre les régions d’un même pays et entre les ménages d’une même région, ainsi que la rareté des données sur les revenus ruraux. La compilation d’informations provenant de sources très diverses en ensembles de données agrégées est une caractéristique cou-rante de la littérature consacrée à l’économie rurale non agricole (voir chapitre 1). S’appuyant sur de nombreuses sources existantes, Haggblade, Hazell et Rear-don (2010) estiment que les activités non agricoles représentent environ 30 % de l’emploi rural à temps plein en Asie et en Amérique latine, 20 % en Asie de l’Ouest et en Afrique du Nord, et seulement 10 % en Afrique subsaharienne. Toutefois, lorsqu’ils prennent en compte les données relatives au revenu, qui comprennent les revenus des activités saisonnières et à temps partiel, les estimations sont nette-ment plus élevées : 50 % pour l’Asie et l’Amérique latine et 35 % pour l’Afrique. Toutes les données disponibles suggèrent que la vieille vision d’économies rurales exclusivement tournées vers l’agriculture ne correspond plus vraiment à la réalité2.

Comment classifier les activités et les revenus ruraux

Toute discussion sur la diversification des moyens d’existence des ruraux est diffi-cile car l’économie rurale non agricole suscite plusieurs débats parallèles qui ne se situent pas tous du point de vue des ménages (voir les quatre angles d’approche d’Haggblade). Néanmoins, même en prenant simultanément en compte toutes ces perspectives, l’étude de la diversification rurale est compliquée par l’absence de consensus sur la définition des catégories d’activités et de revenus.

Barrett et Reardon (2000) classifient les activités économiques d’un ménage rural en fonction de trois paramètres : le secteur (primaire, secondaire ou ter-tiaire), la fonction (activité indépendante ou salariée) et la localisation (sur place ou ailleurs). Selon cette classification, l’économie rurale non agricole comprend toutes les activités qui ne sont pas des activités agricoles, c’est-à-dire toutes les activités secondaires, tertiaires et primaires non agricoles, quels que soient le lieu et la fonction des activités.

Afin de préciser le débat, Davis et al. (2007) ont divisé les activités rurales en six catégories : (1) l’agriculture, (2) l’élevage, (3) l’emploi salarié agricole, (4) l’emploi salarié non agricole, (5) l’auto-emploi non agricole et (6) les transferts (privés et publics). Les trois premières catégories sont considérées comme des activités « agricoles », tandis que les trois dernières sont « non agricoles ». De plus, les deux premières catégories sont des activités propres à l’exploitation agricole ou « internes » à l’exploitation (« on-farm »), tandis que les catégories 4 et 5 sont des activités hors exploitation ou « externes » (« off-farm »). Le travail salarié agricole est toujours considéré comme une activité hors exploitation, mais cette catégorie du off-farm peut être trompeuse, car tantôt elle est appliquée exclusivement au travail salarié agricole, tantôt à l’ensemble des activités qui ne sont pas exercées sur une exploitation agricole (activités 3 à 6).

Les transferts forment une catégorie à part car ce ne sont pas des activités génératrices de revenus, mais une source de revenus. Il s’agit de fonds transférés par des membres du ménage qui vivent ailleurs (c’est le cas des fonds envoyés de l’étranger), par d’autres ménages (dons) ou par des organismes, publics ou non (subventions ou allocations sociales). Le programme a également étudié le cas particulier des rentes, qui sont généralement constituées de revenus locatifs (d’actifs corporels) ou de titres.

Le programme RuralStruc a choisi de classifier les revenus du point de vue des ménages et non des activités parce son objectif est d’identifier des configu-rations exprimant la complexité des stratégies adoptées par les ménages ruraux. Par conséquent, le groupe des activités hors exploitation couvre l’ensemble des activités exercées et des revenus générés hors de l’exploitation familiale, indé-pendamment du secteur ou de la fonction. Il comprend l’emploi salarié agricole et tous les autres revenus et activités non agricoles ; il correspond à l’économie rurale non agricole plus le travail salarié agricole3.

En conséquence, les revenus de l’exploitation (on-farm) proviennent des pro-ductions agricoles et de l’élevage, de la transformation des produits à la ferme4 et de la chasse, de la pêche et de la collecte de ressources naturelles5. Les revenus hors exploitation (off-farm) comprennent l’emploi salarié (agricole et non agricole), les activités d’auto-emploi, les transferts publics et privés et les rentes (voir figure 4.1). Il existe un large éventail de stratégies des ménages qui correspond à de mul-tiples combinaisons de ces activités et de ces revenus ; et la diversification en dehors de l’exploitation n’implique pas l’abandon total de la production agricole et de l’élevage. La combinaison d’activités propres à un ménage dépend de la rentabilité de ces activités, des actifs dont il dispose, ainsi que des opportunités offertes par l’environnement économique en termes d’options d’investissement et des risques. Le travail et le capital peuvent être réaffectés localement quand des activités plus rentables existent ou réaffectés ailleurs lorsque le déplacement des facteurs est la seule option.

Figure 4.1 Classification des activités et des revenus des ménages ruraux

Culture Élevage Transformation des produits agricoles

Chasse, pêche,

cueillette Travail salarié agricole

Économie rurale non agricole

Transferts publics Rentes

Activités non agricoles

Auto-emploi Travail salarié non agricole

Revenus ruraux

Transferts privés

Externes (off-farm)

Activités agricoles

Internes à l'exploitation (on-farm)

les mulTiples faCeTTes de la diversifiCaTion rurale 123