• Aucun résultat trouvé

Etude 1. La mémorisation à court-terme de configurations spatiales sans signification : Une

3.2. La question du codage et du maintien des informations

Tout comme dans le domaine verbal, la littérature scientifique a indiqué que la capacité de la mémoire à court-terme visuo-spatiale augmentait avec l’âge pour atteindre le niveau adulte vers 11-12 ans (Cowan, Elliott, Saults, Morey, Mattox, Hismjatullina, & Conway, 2005 ; Issacs & Vargha-Khadem, 1989 ; Kail, 1997 ; Logie & Pearson, 1997 ; Miles, Morgan, Milne, & Morris, 1996 ; Pickering, Gathercole, Hall, & Lloyd, 2001 ; Vuontela et al., 2003 ; Wilson, Scott, & Power, 1987). Le développement de l’activité stratégique a également été évoqué comme étant un des facteurs susceptibles d’expliquer l’augmentation de la performance visuo-spatiale avec l’âge (Pickering, 2001). Toutefois, dans le domaine visuo-spatial, les connaissances sont beaucoup moins avancées que dans le domaine verbal. Une des raisons à cela tient à la grande diversité des tâches utilisées pour estimer la capacité de la mémoire à court-terme visuo-spatiale, conduisant à la mise en œuvre de stratégies particulièrement variées. Par ailleurs, force est de constater que les individus développent un effort souvent considérable pour recoder verbalement les informations visuo-spatiales à maintenir et cela alors même que

97

cela ne bénéficie pas à la performance (de Ribaupierre, Lecerf & Bailleux, 2000). Ainsi, les informations sont alors maintenues en mémoire à court-terme verbale. Dans le domaine visuo-spatial, deux grandes classes de processus stratégiques ont été identifiées : l'organisation et l’autorépétition (Goswami, 1998). Bien qu'il semble y avoir un accord selon lequel l'information visuo-spatiale pourrait être autorépétée en mémoire, les processus impliqués dans la mise en œuvre de cette stratégie ne sont pas aussi bien compris que ceux sous tendant l’autorépétition subvocale dans le domaine verbal. Dans le modèle de Logie (1995), l’information stockée dans le visual cache pourrait être rafraîchie par le biais de l’inner scribe, impliquant des processus liés à la planification des mouvements. Plus récemment, l’hypothèse selon laquelle le rafraichissement ou répétition des informations visuo-spatiales pourrait reposer sur les mouvements des yeux a été avancée par Guérard, Tremblay, et Saint-Aubin (2009). Les stratégies basées sur l’organisation du matériel ou la constitution de chunks (i.e., regroupement des informations en une unité signifiante) peuvent être de différentes natures. Il peut s’agir de regroupement temporel (séquence de 6 localisations maintenue sous la forme de deux groupes de 3 localisations), de regroupements basés sur la proximité spatiale (Peterson & Berryhill, 2013), ou encore sur la couleur (Morey, 2019). La performance peut également se voir améliorée en raison de l’utilisation du principe de symétrie (Rossi-Arnaud, Pieroni, Spataro, & Baddeley, 2012 ; Imbo, Szmalec, & Vandierendonck, 2009) mais aussi d’un lexique mental de formes tenant lieu de support lors du maintien et de la récupération des informations visuo-spatiales (Pickering & Jarrold, 2001).

Les connaissances dont nous disposons actuellement concernant les stratégies développées pour maintenir les informations en mémoire à court-terme visuo-spatiale reposent sur l’utilisation de méthodologies identiques à celles utilisées dans le domaine verbal. Dans les travaux qui vont être présentés, nous avons utilisé deux de ces méthodologies 1) le paradigme des tâches interférentes ; 2) le questionnement direct des participants. La technique du

98

questionnement, nous l’avons vu précédemment, consiste à demander au participant d’expliquer comment il s’y est pris pour mener à bien la tâche de mémoire. Cette technique pourtant fructueuse n’a quasiment jamais été utilisée pour étudier les stratégies mises en œuvre lors de la réalisation d’une tâche de mémoire à court-terme visuo-spatiale (Patt, Thomas, Minassian, Geyer, Brown & Perry, 2014). Elle sera utilisée dans les études 2 et 3 présentées ci-après. Le paradigme des tâches interférentes (ou paradigme de double tâche) consiste à soumettre le participant à une tâche qualifiée de primaire (la tâche mnésique d’intérêt) et à une tâche secondaire concurrente supposée impliquer les mêmes processus cognitifs que ceux qui sous-tendent la réalisation de la tâche primaire. L’intérêt se porte alors sur la gêne occasionnée par la réalisation de la tâche secondaire sur la performance à la tâche primaire, cette gêne étant censée attester de la mise en œuvre de processus communs. Sachant que faire deux choses à la fois est naturellement plus couteux que de n’en faire qu’une seule, la condition de double tâche n’est généralement pas uniquement comparée à une condition durant laquelle le participant réalise seulement la tâche primaire. Les chercheurs utilisent également des tâches secondaires de nature différente, c’est-à-dire censées solliciter des processus distincts par rapport à la tâche primaire mais engendrant un coût cognitif comparable. L’étape du traitement durant laquelle la tâche secondaire est introduite permet de répondre à des questions de recherche différentes. Ainsi, introduire la tâche secondaire durant l'encodage (i.e., phase d’étude) ou la récupération (i.e., phase de test) permet d’examiner le format dans lequel les informations sont représentées, alors qu’introduire la tâche secondaire durant l’intervalle de rétention vise à étudier les mécanismes de maintien et de rafraichissement permettant de pallier le déclin. Dans le domaine de la mémoire du toucher, le paradigme de double tâche a parfois été utilisé avec une introduction de la tâche secondaire pendant l’encodage (e.g., Newell, Woods, Mernagh, & Bülthoff, 2005 ; Lacey & Campbell, 2006), pendant la récupération (e.g., Lacey & Campbell, 2006) et plus communément pendant l’intervalle de rétention (e.g., Bancroft & Servos, 2011 ;

99

Chan & Newell, 2008; Garvill & Molander, 1977 ; Mahrer & Miles, 2002; Millar, 1972 ; Paz, Mayas & Ballesteros, 2007). Les études conduites jusqu’à ce jour rapportent des résultats relativement hétérogènes. Nous avons donc décidé d’utiliser le paradigme des tâches interférentes pour avancer sur la question des mécanismes en jeu dans le rafraichissement d’informations spatiales appréhendées par le toucher.