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La mémoire à court-terme visuo-spatiale : Structure et fonctionnement

La mémoire à court-terme visuo-spatiale est un système mnésique à capacité limitée permettant le souvenir et la manipulation mentale des caractéristiques physiques d’éléments comme la forme, la couleur, la localisation dans l’espace mais aussi le souvenir d’éléments comme des mouvements corporels. Cette mémoire sera tout d’abord conceptualisée comme un système unitaire (Baddeley, 1986), puis, sur la base d’arguments neuropsychologiques, développementaux et expérimentaux, les composantes visuelle et spatiale de cette mémoire vont être dissociées (Carlesimo, Perri, Turriziani, Tomaiuolo & Caltagirone, 2001 ; Hamilton, Coates & Heffernan, 2003 ; Logie & Marchetti, 1991). Logie en 1995 propose de distinguer le

visual cache qui serait responsable du stockage temporaire des informations visuelles de type

couleur, forme, texture de l’inner scribe mécanisme dont la fonction serait de rafraichir le contenu du visual cache et qui permettrait le maintien de séquences de mouvements.

Les approches développées aujourd’hui introduisent une distinction supplémentaire au niveau de la composante spatiale de cette mémoire à court-terme. Ainsi, il conviendrait de distinguer non seulement les tâches de mémoire à court-terme visuelles dans lesquelles un maintien de formes, symboles, textures et couleurs est requis des tâches de mémoire à court-terme spatiales impliquant le rappel de localisations dans l’espace. Mais une distinction s’opérerait également au niveau des tâches de mémoire à court-terme spatiales selon la nature des processus impliqués, ces processus pouvant être séquentiels ou simultanés. Des recherches conduites chez les enfants conforteraient l’hypothèse d’une dissociation entre les processus impliqués dans le traitement d’une information visuelle et dans le traitement d’une information spatiale-simultanée (Mammarella, Cornoldi & Donadello, 2003) ainsi qu’entre les processus impliqués pour traiter les stimuli spatiaux séquentiels vs. simultanés (Mammarella, Cornoldi, Pazzaglia, Toso, Grimoldi, & Vio, 2006).

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L’hypothèse selon laquelle le niveau de contrôle attentionnel requis par la tâche de mémoire à court-terme visuo-spatiale serait un facteur important à prendre en compte en plus du format ou contenu de l’information à maintenir (i.e., visuel vs. spatial simultané vs. spatial séquentiel) a été également avancée par les chercheurs (Mammarella, Pazzaglia & Cornoldi, 2008). En effet, il a été rapporté que la performance dans une tâche visuo-spatiale corrèle fortement avec les fonctions exécutives ce qui n’est pas le cas pour les tâches verbales (chez l’adulte, Miyake, Friedman, Rettinger, Shah & Hegarty, 2001 ; chez l’enfant, Alloway, Gathercole & Pickering, 2006).

L’essentiel des travaux visant à examiner la structure et le fonctionnement de la mémoire à court-terme visuo-spatiale ont impliqué la modalité visuelle. Très peu de recherches se sont intéressées à la mémoire à court-terme tactile comparativement au nombre de recherches conduites sur la mémoire visuelle ou même auditive, et force est de constater que les modèles dont nous disposons actuellement rendent encore difficilement compte de la façon dont l’information spatiale serait maintenue à court-terme quand cette information est appréhendée autrement que par la vision (Lehnert & Zimmer, 2006).

Pourtant, il nous arrive régulièrement d’utiliser notre mémoire du toucher et cela, même si nous n’en avons pas toujours conscience. Ainsi, nous réactivons temporairement le souvenir de choses que nous avons touchées pour juger par exemple si un kiwi est mur, ou si la texture d’un pull est agréable. Une partie des recherches conduites dans le domaine tactile s’est intéressée aux propriétés et au fonctionnement de la mémoire à court-terme du toucher. Elles ont concerné le maintien de localisations dans l’espace, mais aussi moins fréquemment le maintien de configurations spatiales et cela essentiellement chez l’adulte (e.g., Bliss, Crane, Mansfield, & Townsend, 1966; Bliss & Hämäläinen, 2005; Bliss, Kujala, & Hämäläinen, 2004; Gallace, Tan, Haggard, & Spence, 2008; Gilson & Baddeley, 1969; Heller, 1987; Mahrer & Miles, 1999, 2002; Miles & Borthwick, 1996; Sullivan & Turvey, 1972; Watkins & Watkins, 1974). L’autre

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partie des travaux s’est attelée à comparer la mémoire du toucher à la mémoire de la vision (e.g., Craddock, Martinovic, & Lawson, 2011; Loomis, Klatzky, & Lederman, 1991).

Le programme de recherche que nous allons présenter dans ce chapitre 3 porte sur la composante visuo-spatiale de la mémoire de travail. Nos préoccupations sur ce sujet ont été doubles. D’une part, nous souhaitions contribuer à l’avancée des connaissances dans le domaine de la mémoire à court-terme du toucher en explorant la question de l’existence d’une mémoire à court-terme spécifiquement dédiée au maintien temporaire de l’information spatiale appréhendée par le toucher (étude 1). D’autre part, notre intérêt s’est porté sur le fonctionnement de la mémoire à court-terme visuo-spatiale et plus spécifiquement sur la question du codage et du maintien des informations spatiales lorsqu’elles sont appréhendées par le toucher (études 2 et 3) mais également par la vision (étude 4 en projet).

3.1. La question de l’existence d’une mémoire à court-terme tactile.

Deux grandes conceptions sont généralement développées dans la littérature quant à la question du système mnésique responsable du maintien temporaire de l’information spatiale : 1) l’information spatiale serait codée dans un format abstrait qualifié d’amodal qui transcenderait la modalité sensorielle d’entrée et serait stockée dans un système commun aux différentes modalités sensorielles, ce système pouvant s’apparenter à une mémoire à court-terme visuo-spatiale ; 2) l’information spatiale serait stockée dans un système séparé et spécifique à la modalité sensorielle d’entrée, ainsi il existerait autant de mémoires à court-terme que de modalités sensorielles.

Bien que les systèmes sensoriels de la vision et du toucher soient très différents, ils permettent d’appréhender des propriétés des objets semblables. En effet, par le toucher, nous sommes en mesure de traiter des caractéristiques physiques telles que la forme, la texture, la

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taille que nous pouvons également extraire par la vision. Il reste que les modes d’exploration des objets et l’extraction des informations pertinentes s’avèrent fondamentalement différents entre toucher et vision. La vision permet en effet de détecter les informations à distance et sur un large espace en parallèle, alors que le toucher permet l’exploration d’un espace proche avec une accumulation séquentielle des informations. Ainsi, des différences dans les contraintes liées aux modes d’exploration des éléments pourraient expliquer en partie l’écart de performance de mémoire observé lorsque vision et toucher sont comparés. Sachant que de tels écarts constituent un argument en faveur de l’existence de systèmes mnésiques distincts, manipuler les contraintes inhérentes à chaque modalité sensorielle de façon à les rendre comparables peut nous permettre de questionner l’hypothèse de systèmes mnésiques différents.

L’étude que nous allons présenter se propose d’examiner dans quelle mesure contraindre l’exploration visuelle de façon à la rendre comparable à l’exploration tactile conduit à des performances de mémoire à court-terme sensiblement équivalentes. Cette question a été examinée dans une approche développementale ce qui nous a permis de comparer la trajectoire développementale des performances de mémoire à court-terme lorsque l’information est issue de la vision et lorsqu’elle est issue du toucher. Comparer ces trajectoires nous informe quant à la part des mécanismes communs impliqués dans le développement des systèmes de mémoire tactile et visuo-spatiale. L’identification de trajectoires communes constituerait ainsi un argument supplémentaire en faveur de l’existence d’un système de mémoire à court-terme unique dédié au maintien de l’information visuo-spatiale.