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L’effet longueurs des mots comme marqueur de l’utilisation de la stratégie

d’autorépétition.

Monnier, C., & Ejarque, L. (2008). Origine de l’effet longueur de mots en mémoire à court-terme verbale chez l’enfant. Psychologie Française, 53, 343-356.

Monnier, C., & Alabré, M. (2002). The word length effect in young children: A verbal output explanation. Quebec’02 Conference on Short-Term/Working Memory, Québec, Canada. Eléments de contexte. L’effet longueur de mots (ELM) consiste en un meilleur rappel dans l’ordre des mots dont la durée de prononciation est courte par rapport aux mots dont la durée

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de prononciation est longue (Baddeley, Thomson, & Buchanan, 1975). Parmi les hypothèses avancées dans la littérature pour rendre compte de ce phénomène (Baddeley et al., 1998 ; Caplan et Waters, 1994 ; Hulme, Surprenant, Bireta, Stuart, & Neath, 2004 ; Neath et Nairne, 1995 ; Service, 1998, 2000 ;Tehan et Tolan, 2007), celle proposée par Baddeley repose sur la notion de déclin de la trace et l’intervention du processus d’autorépétition (Baddeley & Logie, 1999 ; Repovs & Baddeley, 2006). Dans la mesure où l’oubli survient en temps réel, plus vite les items peuvent être autorépétés donc rafraîchis et mis à jour, plus la probabilité d’enrayer leur déclin est importante. Ainsi, sachant que les mots longs mettent plus de temps à être autorépétés que les mots courts, ils devraient être davantage sujets au déclin sur un temps donné que les mots courts, diminuant d’autant leur probabilité de rappel. Cette explication s’avère mise à mal par les résultats issus de recherches développementales. En effet, un ELM est observé dès 4 ans lorsque les mots sont présentés auditivement (Gathercole & Adams, 1994 ; Hitch, Halliday, & Littler, 1993 ; Hulme, Thomson, Muir, & Lawrence, 1984). Pourtant, nous avons vu que les arguments en faveur d’une utilisation de l’autorépétition avant 7/8 ans sont assez faibles (Allik & Siegel, 1976 ; Bebko, 1979 ; Flavell, Beach, & Chinsky, 1966 ; Henry, 1991 ; Henry et al., 2000). Certains auteurs ont proposé que l’ELM serait un « effet de sortie », c’est-à-dire un phénomène lié à la durée de production de la réponse (e.g., Cowan, Day, Saults, Keller, Johnson, & Flores, 1992). En 1991, Henry se propose de tester cette hypothèse chez l’enfant par le biais d’une procédure de rappel ciblé (ou indicé) qui consiste à ne faire rappeler qu’un seul des mots de la liste et donc à minimiser les effets de sortie. Toutefois, la procédure utilisée pour indicer le mot à rappeler se base sur un dispositif spatialisé (i.e., alignement d’une série d’images présentées de dos qui correspondent à la liste de mots) ce qui pourrait conduire les enfants à adopter des stratégies non phonologiques (Gathercole & Hitch, 1993). Nous avons donc testé à nouveau cette hypothèse mais en adoptant une procédure purement verbale.

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Objectif. Il s’agit d’examiner l’origine de l’ELM chez des enfants d’âge scolaire avec l’hypothèse que cet effet relèverait davantage d’un effet de production de la réponse que de l’utilisation du processus d’autorépétition subvocale durant le maintien en mémoire à court-terme verbale.

Participants. 32 enfants de 5 ans (moyenne d’âge 5 ans et 5 mois), 32 enfants de 7 ans (moyenne d’âge 7 ans et 6 mois) et 32 enfants de 9 ans (moyenne d’âge 9 ans et 8 mois) ont participé à cette étude. Les enfants ont été répartis aléatoirement dans deux groupes expérimentaux, l’un étant soumis à une tâche de rappel ciblé et l’autre à une tâche de rappel sériel immédiat. Matériel et procédure. Dix mots monosyllabiques et dix mots trisyllabiques ont été sélectionnés à partir de la norme d’Alario et Ferrand (1999) sur la base de leur âge d’acquisition. Ces mots étaient concrets et ont été acquis avant l’âge de six ans. Ils relevaient de catégories sémantiques variées. Les mots monosyllabiques étaient les suivants : boîte, bol, chat, clé, fleur, lune, pelle, pied, pomme, robe. Les mots trisyllabiques étaient les suivants : balançoire, cacahuète, champignon, cheminée, écureuil, escargot, pantalon, parapluie, robinet, téléphone. À cinq ans, sept listes ont été générées pour chaque longueur de mots : trois listes comportant trois mots (listes courtes) et quatre listes de quatre mots (listes longues). À sept et neuf ans, neuf listes ont été élaborées pour chaque longueur de mots : quatre listes de quatre mots (listes courtes) et cinq listes de cinq mots (listes longues). Des listes de longueur différente ont été utilisées pour éviter un effet plafond ou plancher au niveau des performances de rappel des enfants.

Les enfants étaient soumis soit à une tâche de rappel ciblé, soit à une tâche de rappel sériel immédiat. Dans la tâche de rappel ciblé, une première liste de mots était énoncée à l’enfant à raison d’un mot par seconde. Dès que le dernier mot était prononcé, l’expérimentateur énonçait à nouveau un des mots de la liste. La tâche de l’enfant consistait alors à rappeler oralement le mot qui avait été énoncé juste après. Dans la tâche de rappel sériel, l’enfant était amené à restituer oralement tous les mots présentés dans l’ordre.

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Hypothèses. Si l’ELM découle non seulement d’un problème de déclin de la trace lors de la production de la réponse mais aussi de la mise en œuvre du processus d’autorépétition, les enfants de 5 ans devraient être insensibles à l’ELM en rappel ciblé alors que les enfants de 7 et 9 ans devraient présenter un ELM. En effet, la tâche de rappel ciblé est censée minimiser les effets de sortie et seuls les enfants les plus âgés sont en mesure de mettre en œuvre l’autorépétition subvocale. En tâche de rappel sériel immédiat, la performance des enfants quel que soit leur âge devrait être sensible à la longueur des mots. En effet, cette tâche, contrairement à la tâche de rappel ciblé, demande de produire l’intégralité des mots mémorisés.

Résultats. Nous avons estimé, pour le rappel ciblé la proportion de bonne réponse (i.e., l’enfant rappelle correctement le mot indicé) et pour le rappel sériel immédiat, la proportion de mots correctement restitués (i.e., le bon mot à la bonne position sérielle). La Figure 9 ci-dessous résume les données recueillies pour chacune des deux tâches. Les analyses statistiques indiquent que 1) en rappel ciblé la performance des enfants est insensible à la longueur des mots et cela quel que soit leur âge ; 2) en rappel sériel immédiat, les enfants, quel que soit leur âge, rappellent moins de mots longs que de mots courts.

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Figure 9. Performance moyenne pour la tâche de rappel ciblé (en haut) et pour la tâche de rappel sériel immédiat (en bas) à 5, 7 et 9 ans en fonction de la longueur des mots.

Conclusion. Ainsi donc, aucun ELM n’est observé lorsque les enfants de 5, 7 et 9 ans sont soumis à une tâche de rappel ciblé. En revanche, cet effet est présent aux 3 âges lorsqu’une tâche de rappel sériel immédiat est utilisée. Ces résultats sont conformes à l’hypothèse selon laquelle des phénomènes de déclin de la trace lors de la production de la réponse seraient

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responsables de l’ELM observé jusqu’à neuf ans. Ils permettent également d’écarter l’hypothèse d’une quelconque implication de l’autorépétition dans cet effet aux âges étudiés. Toutefois, il conviendrait de ne pas écarter la possibilité que d’autres facteurs soient pour partie responsables de l’ELM chez l’enfant. Ainsi Yuzawa (2001) a montré que lors de la phase de présentation des mots, le délai inter stimuli d’une durée fixe autorise à répéter de manière isolée davantage de fois les mots courts que les mots longs, participant donc à la présence d’un ELM dès 3/4 ans. Enfin, il est aujourd’hui clairement démontré que l’ELM reposerait également sur certaines caractéristiques linguistiques des mots. Ainsi, les mots longs présentent une complexité phonologique plus élevée que les mots courts (e.g., Service, 1998) et disposent d’un nombre plus réduit de voisins orthographiques, la taille du voisinage orthographique affectant le rappel sériel immédiat (Jalbert, Neath, Bireta & Surprenant, 2011 ; Guitard, Gabel, Saint-Aubin, Surprenant & Neath, 2018).