• Aucun résultat trouvé

La mémoire à court-terme verbale renvoie à l’aptitude avec laquelle un individu mémorise et restitue, généralement dans l’ordre, une série d’informations verbales non reliées, après une courte période temporelle. On a longtemps pensé que l’utilité de la mémoire à court-terme verbale se réduisait à retenir un numéro de téléphone lorsqu’il nous est énoncé oralement et que nous n’avons rien sous la main pour le noter. On sait aujourd’hui que cette mémoire et plus spécifiquement, la composante responsable du maintien de l’ordre sériel, serait largement impliquée dans apprentissage d’un vocabulaire nouveau chez l’enfant (e.g., Jarrold, Baddeley, Hewes, Leeke, & Phillips, 2004 ; Leclercq & Majerus, 2010 ; Majerus, Poncelet, Greffe, & Van der Linden, 2006), mais aussi chez l’adulte, qu’il soit monolingue (Majerus, Poncelet, Elsen, & Van der Linden (2006) ou bilingue (Majerus, et al., 2008). La mémoire à court-terme verbale jouerait également un rôle déterminant dans l’apprentissage de la lecture (Martinez Perez, Majerus, & Poncelet, 2012).

Les tâches d’empan et de rappel sériel immédiat (ou supraspan) sont les deux tâches les plus classiquement utilisées dans la littérature pour évaluer la capacité de la mémoire à court-terme verbale. La tâche d’empan consiste à présenter au participant des listes d’items de longueur croissante, la tâche de rappel sériel immédiat à présenter des listes dont la longueur reste fixe mais se situe légèrement au-dessus de la capacité mnésique de l’individu. Ces tâches requièrent de restituer non seulement l’identité des stimuli verbaux (i.e., l’information item) mais également l’ordre dans lequel les stimuli ont été présentés (i.e., l’information ordre sériel). Elles interrogent donc la mémoire de l’ordre ainsi que la mémoire des items. Sur la base de l’utilisation de ces tâches, il est aujourd’hui bien établi que la capacité de la mémoire à court-terme verbale augmente avec l’âge (e.g., Gathercole, 2002 ; Gathercole, Pickering, Ambridge, & Wearing, 2004).

41

Un certain nombre de facteurs sont classiquement évoqués pour expliquer le développement de la capacité de la mémoire à court-terme verbale avec l’âge tels que l’augmentation de la vitesse de traitement (e.g., Bayliss, Jarrold, Baddeley, Gunn & Leigh, 2005 ; Case, Kurland & Goldberg, 1982 ; Kail & Park, 1994) ou la diminution de la vitesse de déclin des informations (Bayliss & Jarrold, 2015 ; Cowan, Nugent, Elliott & Saults, 2000). L’implication de facteurs plus qualitatifs a également été démontrée. Ainsi, l’augmentation des connaissances disponibles en mémoire à long-terme permettrait de soutenir plus efficacement la performance de mémoire à court-terme verbale (e.g., Majerus & Van der Linden, 2003). De plus, en grandissant, les enfants seraient à même de développer et utiliseraient plus efficacement des stratégies permettant de maintenir activement les informations en mémoire à court-terme verbale (Gathercole & Baddeley, 1993).

Dans le domaine de la mémoire à court-terme verbale, nous avons développé deux axes de recherche centrés sur les facteurs évoqués comment étant à l’origine du développement de cette mémoire. Le premier axe concerne la relation qu’entretiennent mémoire à long-terme et performance de mémoire à court-terme. Il faut savoir que dans les années 90, le modèle de mémoire à court-terme verbale dominant était celui de la boucle phonologique proposé par Baddeley (1986 ; initialement Baddeley & Hitch, 1974). Ce modèle ne permettait pas à l’origine de rendre compte de l’intervention des connaissances sémantiques sur la performance de mémoire à court-terme verbale. Ce manque nous a donc incité à explorer plus avant cette question chez l’enfant comme chez l’adulte avec l’espoir de faire évoluer le modèle de la boucle phonologique. Le deuxième axe de recherche porte sur le développement des stratégies que les enfants mettent en œuvre pour mener à bien une tâche de mémoire à court-terme avec en arrière-plan une réflexion d’ordre méthodologique et le souhait de comparer la mise en œuvre de ces stratégies selon la tâche utilisée pour mesurer la capacité de la mémoire à court-terme verbale.

42

2.1. La contribution des connaissances à long-terme à la mémoire à court-terme verbale.

L’idée selon laquelle le codage des informations en mémoire à court-terme verbale était uniquement de nature phonologique a longtemps perduré. Cette idée se basait entre autres sur un effet classiquement observé dans une tâche de mémoire à court-terme verbale qui est l’effet de similarité phonologique (i.e., ESP) : les items (mots, non-mots, lettres) dont la sonorité est phonologiquement proche sont moins bien rappelés dans l’ordre que ceux qui sont phonologiquement dissimilaires (Conrad & Hull, 1964 ; Baddeley, 1966). L’existence de cet effet dans une tâche de mémoire à court-terme verbale attesterait donc d’un codage phonologique des informations, les traces phonologiquement proches engendrant des phénomènes d’interférence au sein du registre de mémoire. Baddeley (1986 ; initialement Baddeley & Hitch, 1974) s’est appuyé, entre autres, sur cet effet pour développer son modèle de la mémoire à court-terme verbale, la boucle phonologique. La boucle phonologique se compose de deux éléments : (1) un registre phonologique de stockage passif dont la capacité est limitée, les représentations mnésiques phonologiques maintenues dans ce registre sont amenées à décliner en deux secondes environ ; (2) un processus d’autorépétition subvocale responsable d’une part du rafraîchissement de l’information contenue dans le registre de stockage par un procédé cyclique de « réactivation » permettant de prévenir tout déclin et d’autre part de convertir en un code phonologique un stimulus présenté visuellement (mot, non-mot ou dessins signifiant) autorisant ainsi son accès au registre passif de stockage. Dans les années 90, l’idée selon laquelle la performance de rappel immédiat pourrait ne pas s’appuyer uniquement sur un codage phonologique des informations a émergé. Ainsi, il a été montré que les mots concrets étaient mieux restitués à court-terme que les mots abstraits (Romani, McAlpine, & Martin, 2008; Tse & Altarriba, 2009; Walker & Hulme, 1999) et cela dès 6 ans (Majerus & Van der Linden, 2003), mais également que les mots relevant d’une même catégorie

43

sémantique (e.g., fleurs ou instruments de musique) conduisaient à une meilleure performance de mémoire à court-terme verbale que les mots relevant de catégories sémantiques variées (Poirier & Saint-Aubin, 1995; Saint-Aubin, Ouellette, & Poirier, 2005; Saint-Aubin & Poirier, 1999). Pour rendre compte des effets sémantiques observés, Baddeley (2000) complète son modèle d’un nouveau registre lié à la mémoire à long-terme, le buffer épisodique, qui permettrait de stocker des informations multimodales et de relier des informations provenant de différentes sources. Toutes ces informations seraient intégrées dans le buffer épisodique pour constituer un épisode cohérent en mémoire de travail. Mais d’autres pistes explicatives ont également été développées par les chercheurs. Ainsi, certains ont proposé qu’un processus de

redintegration opérerait dans le cas où les traces phonologiques maintenues en mémoire à

court-terme verbale se trouveraient dégradées au moment de leur récupération (Hulme, Maughan, & Brown, 1991; Saint-Aubin & Poirier, 2000 ; Schweickert, 1993). Ce processus utiliserait les représentations lexico-sémantiques à long-terme pour restaurer la trace temporaire défectueuse. Ainsi, plus les représentations langagières seraient accessibles et de bonne qualité, plus le processus de restauration de la trace temporaire dégradée serait efficient. Enfin, une conception alternative émane des modèles psycholinguistiques de la mémoire à court-terme verbale (e.g., Gupta, 2003 ; Martin & Saffran, 1997; Majerus, 2009) pour lesquels la mémoire à court-terme verbale est le résultat de l’activation temporaire d’un ensemble de représentations linguistiques permanentes. Dans ces modèles, les items à mémoriser vont activer temporairement les représentations phonologiques, lexicales et sémantiques correspondantes dans le lexique mental dès l’encodage. Ainsi, au plus ces représentations seront riches et accessibles dans le lexique mental, au plus l’activation temporaire de ces représentations sera robuste conduisant à une meilleure restitution des items dans une tâche de mémoire à court-terme verbale.

44

En dépit de leurs différences, les modèles actuels proposent que la performance de mémoire à court-terme verbale soit dépendante de l’accès et du soutien de connaissances lexico-sémantiques (Majerus, Poncelet, Van der Linden, & Weekes, 2008). De plus, ces modèles prédisent que les représentations à long-terme contribuent à la performance de mémoire à court-terme en favorisant la récupération de l’information « item ». En effet, les connaissances à long-terme devraient permettre de restaurer et de réactiver la trace temporaire des items sur la base des représentations à long-terme correspondantes. Ainsi, l’intervention des connaissances à long terme n’est pas censée faciliter la reconstruction ou la réactivation de l’ordre dans lequel les items ont été présentés (Gathercole, Pickering, Hall, & Peaker, 2001; Poirier & Saint-Aubin, 1996; Saint-Aubin & Poirier, 2000).

Les recherches qui suivent ont porté sur la question de la contribution des connaissances à long-terme à la performance de mémoire à court-terme verbale et ont été conduites aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte.