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ÉPREUVE ÉCRITE À PARTIR D’UN DOSSIER

II. QUESTION :

En prenant appui sur le texte de la version latine vous mobiliserez, dans une perspective d’enseignement, vos connaissances grammaticales, littéraires et historiques pour construire, à l’intention d’une classe de Première, une étude du subjonctif.

Vous montrerez comment l’utilisation de ce mode entre dans la construction du propos d’Hélène, qui allie motifs élégiaques et procédés rhétoriques.

Vous approfondirez votre réflexion pédagogique et élargirez votre interprétation en prenant appui sur la version grecque et les documents complémentaires.

Sont attendus dans le traitement de la question :

- une identification précise du thème directeur des textes dans le programme de la classe donnée

- un relevé exhaustif des formes grammaticales concernées - leur analyse et leur classement

- une étude stylistique du texte s’appuyant sur le fait de langue étudié

- un élargissement de la réflexion à l’autre version ainsi qu’aux documents complémentaires.

S’il n’y a pas d’ordre attendu dans la rédaction de la question, il est néanmoins nécessaire de bien structurer son propos afin de faire clairement apparaître ces éléments.

Référence aux programmes : Les textes correspondaient à l’entrée « La poésie – amour et amours » avec le sous-chapitre possible « amour et séduction » du programme de latin pour la classe de Première, ainsi qu’à celle « la poésie (épos et éros) » dans le programme de grec, compte tenu de l’origine homérique du thème. Certains candidats ont également proposé de façon pertinente une référence au thème de la rhétorique.

Relevé : il fallait relever 6 formes de subjonctif : experiar (v. 78), uideret (v. 85), fuissem (v.93), flecterer (v. 94), fiat (v. 97), cadat (v. 98).

Analyse : on devait identifier trois formes de subjonctif présent (experiar, fiat, et cadat), deux formes - l’une active, l’autre passive- de subjonctif imparfait (uideret et flecterer) et une de

107 subjonctif plus-que-parfait (fuissem). S’il est intéressant de commenter une forme (personne, désinence, radical utilisé), il est en revanche inutile de donner sa conjugaison complète, activité chronophage qui se fait souvent au détriment de l’analyse stylistique.

Classement :

Le classement peut intervenir dès l’analyse des formes et se faire selon différents critères, qui doivent être précisés. Certains candidats ont ainsi choisi de séparer les formes intervenant dans des principales de celles présentes dans les subordonnées. Il était également possible de distinguer différents emplois du subjonctif :

- dans un système conditionnel (2 formes) : « si peccatura fuissem, flecterer » - dans l’expression d’un souhait (1 forme) : fiat

- dans la construction potius quam exprimant une préférence (1 forme) : cadat.

- dans une complétive d’un verbe de crainte introduite par ne (1 forme): « extimui ne uir meus illa uideret »

- dans une concessive (1 forme) : « quamuis experiar ».

Analyse stylistique

Ovide met en scène la tentative d’Hélène de résister aux tentatives de séduction de Pâris.

Sa lettre est à la fois une réponse aux arguments développés dans l’Héroïde précédente, attribuée à Pâris, et aux nombreux actes (illa quae agis) de ce dernier, qu’elle va décrire. Le premier emploi du subjonctif dans la concessive « quamuis experiar » marque son incapacité à ignorer le dialogue muet que celui-ci tente d’instaurer. Le deuxième subjonctif, dans la complétive d’un verbe de crainte « ne uir meus illa uideret », souligne la véritable inquiétude d’Hélène, qui ne s’inquiète pas tant de succomber au charme de Pâris que de la possibilité que son mari s’aperçoive de cette relation naissante. Le système d’irréel du passé combiné à un irréel du présent permet d’imaginer un univers dans lequel cette relation serait possible, mais au prix d’un renoncement à sa vertu. Si l’héroïne avait été peccatura, – destinée à succomber et à agir contre la morale – elle cèderait à ces gestes de séduction (blanditiae) présentés comme étant d’une redoutable efficacité. Hélène s’abandonne ainsi à une forme de rêverie mais affirme également la force de sa vertu comme unique rempart. Enfin, le subjonctif de souhait, suivi de l’expression introduite par potius quam, marque un sursaut de l’héroïne qui affirme préférable de voir une autre céder au charme de Pâris plutôt que de renoncer à son pudor.

Ce discours rhétorique d’Hélène se mêle à une description des manœuvres du héros, qui s’apparente à un manuel en miniature des techniques masculines de séduction, comme le souligne J.-P. Néraudau dans sa référence finale à l’Art d’aimer. Hélène se plaît ainsi à décrire les tentatives du héros pour communiquer avec elle en présence de son mari, selon le classique triangle amoureux élégiaque : en la regardant intensément, en lui faisant signe par des gestes ou des haussements de sourcil (cf. Ars I, 498 ou Am., II, 5, 15), mais aussi en lui envoyant des messages plus directs par le fait de boire dans la même coupe juste après elle dans une sorte de baiser virtuel (cf. Ars I, 574 et Am. I, 4, 31-32), ou d’écrire « je t’aime » avec le vin répandu sur la table (cf. Am., I, 4, 20). Ses protestations, bien que justes (non falsa), ne peuvent être entendues et appartiennent déjà au langage élégiaque. Les différents subjonctifs servent ainsi l’argumentation d’Hélène, qui tente de contrer les arguments de Pâris. Néanmoins les nombreux motifs élégiaques développés dans cette réponse, qui constitue en elle-même une entrée dans le jeu de séduction, montrent la totale vanité de cette résistance. Comme l’héroïne le dit elle-même, le fait d’avoir appris ce nouveau langage muet est déjà en soi une défaite.

108 Prolongements

L’extrait de la préface de J.-P. Néraudau souligne le lien entre les deux textes, qui, s’ils appartiennent à des genres très différents, proposent tous deux une défense de l’innocence d’Hélène, contrainte de céder à des forces irrésistibles. Le caractère quasi impossible de cette apologie donne toute sa valeur à l’éloge paradoxal de Gorgias et prend une tonalité humoristique chez Ovide puisque, comme le souligne J.-P. Néraudau, le poète latin met en scène une Hélène qui ne cède pas, mais dont le lecteur sait qu’elle va céder. Ovide reprend les deux premiers arguments présents dans la conclusion du texte de Gorgias : Hélène a été séduite par la beauté irrésistible de Paris et elle a été persuadée par son discours.

Le tableau de David, parfait exemple du néo-classicisme, place la beauté éclatante de Pâris et la résistance inutile d’Hélène au centre de sa composition. Le décor, avec le lit défait en arrière-plan ainsi que la présence d’une statue d’Aphrodite tenant la pomme au-dessus du lit, rappelle la scène du chant III de l’Iliade : Pâris, sauvé par la déesse d’une mort certaine de la main de Ménélas et ramené dans sa chambre, réussit à charmer Hélène qui, déçue par son manque d’héroïsme, l’exhorte à retourner sur le champ de bataille. Dans le tableau de David, la nudité du personnage masculin est bien plus érotique qu’héroïque, malgré la chlamyde et le bonnet phrygien. Sa lyre peut être interprétée comme le symbole de la séduction par les mots, thème qui est au centre des deux textes. La posture d’Hélène, qui évite son regard insistant mais se tourne, comme malgré elle, vers lui qui la maintient solidement par le bras, fait écho au texte de l’Héroïde et en particulier au verbe flecterer. Pâris est représenté ici en majesté, non pas sur le champ de bataille mais dans le seul univers dans lequel il excelle, celui de la séduction. Les deux textes affirment, par cette défaite d’Hélène, la force du discours, rhétorique chez Gorgias, rhétorique et élégiaque chez Ovide, qui affiche sa virtuosité en combinant les deux registres. David insiste, dans un même mouvement réflexif, sur l’évidence de la beauté physique, que son talent de peintre excelle à restituer.

Annexe

Il a été choisi cette année de proposer également un exemple d’une copie particulièrement réussie.

Elle est un exemple des qualités attendues des candidats au Capes : solidité des connaissances, capacités d’analyse, clarté et originalité du propos. Elle est livrée telle quelle, avec ses quelques imperfections, afin d’encourager les candidats en leur montrant que la réussite au concours est un horizon ambitieux mais atteignable avec la préparation adéquate.

Version latine :

Cela aussi, que tu fais à présent avec impudence pendant le repas, bien que j’essaie de le dissimuler, je le note, lorsqu’à l’instant tu me regardes d’une manière folâtre, avec des regards effrontés que mes yeux supportent à peine parce qu’ils sont pressants, et que tantôt tu soupires, tantôt tu prends la coupe la plus proche de moi, et que tu bois toi aussi à l’endroit où j’ai bu. Ah ! Combien de fois, moi j’ai noté des signes cachés, alors que mon orgueil dit presque que je me donne ! Et souvent j’ai craint que mon mari ne vît cela, et j’ai rougi de honte à cause de ces marques qui n’étaient pas assez dissimulées. Souvent, j’ai dit, dans un murmure faible ou inaudible : « Rien ne lui fait honte. », et en cela ma voix a dit vrai. Et j’ai lu sur le plateau de la table aussi, sous mon nom, ce qu’une écriture dessinée dans le vin a fait : J’AIME. J’ai pourtant refusé de croire cela, avec un regard qui dit « non ». Pauvre de moi ! J’ai désormais appris, moi, que je peux parler de cette façon. Moi, je serais émue, si j’étais disposée à pécher, par ces flatteries ; mon cœur pourrait être ravi par cela. Tu as aussi, je l’avoue, un visage exceptionnel, et une jeune fille peut vouloir se

109 soumettre à tes caresses. Mais que même une autre devienne heureuse sans commettre de crime, plutôt que mon honneur disparaisse à cause d’un amour étranger.

Question :

Le mode du subjonctif s’oppose au mode indicatif, en ce qu’il est le mode de la non réalisation, alors que l’indicatif est le mode de ce qui a eu lieu, a lieu ou aura lieu. Il est donc intéressant d’étudier les emplois du subjonctif dans ce passage de la lettre XVII des Héroïdes d’Ovide, puisqu’Hélène y affirme que, bien que sensible aux charmes de Pâris, elle ne lui cédera pas.

Nous pouvons tout d’abord faire un relevé exhaustif des formes de subjonctif présentes dans le passage et les classer par temps. Nous comptons six verbes au subjonctif, parmi lesquels trois subjonctifs présents (experiar, fiat et cadat), deux subjonctifs imparfaits (uideret et flecterer) et un subjonctif plus-que-parfait. Seul le subjonctif parfait n’est pas employé ici.

Il est important de noter que flecterer et fuissem font partie d’un système hypothétique : il s’agit donc d’un irréel du présent et d’un irréel du passé, qui expriment l’impossibilité du fait qu’Hélène cède à Pâris. Nous pourrions dire qu’Ovide reprend ici le lieu commun de la dura puella, c’est-à-dire de la jeune fille qui repousse l’amant élégiaque. Cependant, Ovide joue avec ce topos pour deux raisons : tout d’abord c’est Hélène qui écrit, et non pas l’amant éconduit ; ensuite, le lecteur sait que, pour que le mythe se réalise, Hélène devra nécessairement céder à Pâris.

Les autres emplois du subjonctif dans le passage sont plus variés : ne uideret est la proposition complétive du verbe de crainte extimui, quamis experiar exprime la concession, fiat est un subjonctif d’ordre et cadat suit le subordonnant potius quam.

Malgré des emplois et significations différents, tous ces subjonctifs servent à construire l’image d’une femme qui rejette l’homme qui tente de la séduire.

En effet, la crainte du mari, ainsi que la préférence accordée à l’honneur (pudor noster) justifient le refus d’Hélène : c’est le regard de l’autre qui la conduit à adopter cette attitude.

Le subjonctif d’ordre fiat exprime, associé à altera (une autre femme), le rejet de l’union avec Pâris.

Enfin, la proposition concessive quamuis experiar dissimulare, exprimant l’échec d’Hélène à cacher ce qu’elle a compris et ce qu’elle ressent, permet de montrer la différence entre les tentatives d’Hélène et la réalité, ce qui annonce le fait que les deux irréels ne sont pas employés dans un but autre que rhétorique.

Pour élargir notre réflexion, nous pouvons nous appuyer sur l’Eloge d’Hélène de Gorgias afin de montrer qu’Ovide tente, lui aussi, de réhabiliter Hélène.

En effet, il est également question de l’honneur chez Gorgias, lorsqu’il affirme qu’il a retiré à Hélène sa δύκλεια (sa mauvaise réputation). Ovide semble reprendre cette question de l’honneur avec la notion de pudor, comme l’affirme Jean-Pierre Néraudau dans sa note introductive aux Héroïdes. En outre, il semble qu’Ovide fasse lui aussi émerger le caractère irrésistible de la passion amoureuse, lorsqu’il souligne, dans la bouche d’Hélène, la beauté de Pâris. Il s’agit du même argument de la fatalité amoureuse qu’emploie Gorgias pour disculper Hélène, et qui constitue, selon Jean-Pierre Néraudau, son troisième argument. En reprenant la démarche argumentative de Gorgias, Ovide fait donc d’Hélène une victime de l’amour.

Mais Ovide fait preuve d’originalité en plaçant Hélène dans une situation de doute, avant de céder aux avances de Pâris. Toute résistance d’Hélène est pourtant vaine, à cause de l’horizon d’attente créé par le mythe. Ainsi nous pouvons citer Jean-Pierre Néraudau : « Ovide joue avec la nécessité que le mythe se réalise ». Cette affirmation de la nécessaire réalisation du mythe est par ailleurs confirmée par la réception du mythe d’Hélène et de Pâris : dans son tableau, Jacques-Louis David représente Pâris dans une posture séductrice, puisqu’il tient le bras d’Hélène, assis sur un lit. Néanmoins, Hélène ne tente pas de résister comme dans le texte d’Ovide, puisqu’elle s’appuie

110 sur Pâris, l’épaule droite et nue, et qu’elle a accepté d’être seule avec lui (Hélène et Pâris sont les deux seuls personnages représentés sur le tableau).

Pour conclure, nous pouvons dire qu’une étude grammaticale des valeurs du subjonctif dans cet extrait des Héroides permet de mettre en avant une Hélène élégiaque, qui emprunte des traits de la dura puella. Mais malgré un discours tentant de mettre en évidence le caractère irréalisable de l’union avec Pâris, le mythe la rattrape, de même que les verbes à l’indicatif l’emportent sur ceux au subjonctif (vingt-deux verbes à l’indicatif, dont poterant qui a une valeur d’irréel, contre six verbes au subjonctif).

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