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ÉPREUVE D’ANALYSE D’UNE SITUATION PROFESSIONNELLE LETTRES CLASSIQUES,

3) Analyse de deux exemples de sujets

Voici deux exemples de sujets (latin et grec, collège et lycée), reflet de la stricte égalité qui est respectée, dans le choix des sujets, entre les deux langues et les différents niveaux de classe ciblés. Aucun candidat ne peut donc prendre le risque de faire l’impasse sur l’une des deux langues anciennes pour l’oral, d’autant qu’il est toujours possible qu’une question de latin intervienne à propos d’un sujet de grec ou inversement.

a) Exemple d’un sujet de grec pour la classe de troisième.

173 ANALYSE D’UNE SITUATION PROFESSIONNELLE : « LANGUES ET CULTURES DE L’ANTIQUITÉ POUR LETTRES CLASSIQUES »

Textes

Texte 1 – Xénophon (430-355 avt. J.-C.), République des Lacédémoniens, c. 3-4, trad. Eugène Talbot, Paris, Hachette, 1859.

Texte 2 – Plutarque (45-127 ap. J.-C), Vie de Lycurgue, c. 16, trad. Anne-Marie Ozanam, Paris, Quarto Gallimard, 2011.

Texte 3 – Thucydide (465 – vers 400 avt. J.-C.), Histoire de la guerre du Péloponnèse, II, 39, trad. Jacqueline de Romilly, CUF, 1962.

Documents complémentaires

Document – Luigi Mussini (1813-1888), L’éducation à Sparte, 1869, peinture à l’huile, 1,25 m.

(hauteur) ; 1,62 m. (largeur), Musée Ingres, Montauban.

Texte – Johann Chapoutot, Le Nazisme et l’Antiquité, Paris, 2012, p. 326-327 (extrait du chapitre « État raciste et société holiste : Platon philosophe-roi ou le IIIe Reich comme seconde Sparte »)

Le 2018 Signature du candidat : Nom et prénom du candidat : Commission n° :

Sujet

Dans le cadre de l'enseignement du grec en classe de troisième et plus particulièrement de l'objet d'étude « La Grèce dans son unité et sa diversité / Deux modèles de cité, Athènes et Sparte », vous analyserez le corpus proposé. Vous préciserez ses enjeux et les modalités de son exploitation, sous la forme d'un projet de séquence, dont vous développerez une séance, au choix. La séance inclura obligatoirement l'étude de l'un des textes du corpus et d'un fait de langue pertinent pour l'interprétation de ce texte.

174 1/ Xénophon, République des Lacédémoniens, c. 3-4, trad. Eugène Talbot, Paris, Hachette, 1859.

Exposé de certaines des réformes éducatives de Lycurgue, tenu pour le fondateur de la constitution de Sparte.

Πρὸς δὲ τούτοις τὸ αἰδεῖσθαι ἰσχυρῶς ἐμφῦσαι βουλόμενος αὐτοῖς καὶ ἐν ταῖς ὁδοῖς ἐπέταξεν ἐντὸς μὲν τοῦ ἱματίου τὼ χεῖρε ἔχειν, σιγῇ δὲ πορεύεσθαι, περιβλέπειν δὲ μηδαμοῖ, ἀλλ᾽ αὐτὰ τὰ πρὸ τῶν ποδῶν ὁρᾶν.

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Ἔνθα δὴ καὶ δῆλον γεγένηται ὅτι τὸ ἄρρεν φῦλον καὶ εἰς τὸ σωφρονεῖν ἰσχυρότερόν ἐστι [τῶν] τῆς θηλείας φύσεως. Ἐκείνων γοῦν ἧττον μὲν ἂν φωνὴν ἀκούσαις ἢ τῶν λιθίνων, ἧττον δ᾽ ἂν ὄμματα [μετα]στρέψαις ἢ τῶν 10

χαλκῶν, αἰδημονεστέρους δ᾽ ἂν αὐτοὺς ἡγήσαιο καὶ αὐτῶν τῶν ἐν τοῖς ὀφθαλμοῖς παρθένων. Καὶ ἐπειδὰν εἰς τὸ φιλίτιόν γε ἀφίκωνται, ἀγαπητὸν αὐτῶν καὶ τὸ ἐρωτηθὲν ἀκοῦσαι. Καὶ τῶν μὲν αὖ παιδίσκων οὕτως 15

ἐπεμελήθη.

Περί γε μὴν τῶν ἡβώντων πολὺ μάλιστα ἐσπούδασε, νομίζων τούτους, εἰ γένοιντο 20

οἵους δεῖ, πλεῖστον ῥέπειν ἐπὶ τὸ ἀγαθὸν τῇ πόλει. Ὁρῶν οὖν, οἷς ἂν μάλιστα φιλονικία ἐγγένηται, τούτων καὶ χοροὺς ἀξιακροατοτάτους γιγνομένους καὶ γυμνικοὺς ἀγῶνας ἀξιοθεατοτάτους, 25

ἐνόμιζεν, εἰ καὶ τοὺς ἡβῶντας συμβάλλοι εἰς ἔριν περὶ ἀρετῆς, οὕτως ἂν καὶ τούτους ἐπὶ πλεῖστον ἀφικνεῖσθαι ἀνδραγαθίας.

En outre, voulant imprimer fortement la modestie dans les cœurs, il a ordonné qu’on marchât dans les rues les mains sous la robe, en silence, sans tourner la tête, les yeux devant les pieds. En cela il a fait comprendre qu’en fait de modestie l’homme a encore plus de fermeté que la femme. Aussi l’on n’entend pas plus la voix des jeunes gens, que s’ils étaient de pierre ; ils ne détournent pas plus les yeux que des statues d’airain ; et ils ont plus de pudeur qu’il n’en règne dans les appartements les plus inaccessibles des vierges ; puis, quand ils arrivent au repas commun, ils ont pour habitude d’attendre, en écoutant, qu’on les interroge. Tels sont les soins que Lycurgue a donnés à la jeunesse.

Mais il s’est occupé surtout avec attention de ceux qui sont à la fleur de l’âge, persuadé qu’en étant ce qu’ils doivent être, ils rendent à la république les plus grands services.

Voyant donc que, quand l’émulation s’en mêle les chœurs sont entendus avec plus de plaisir, les combats gymniques regardés avec plus d’intérêt, il a pensé que, s’il existait aussi parmi les adolescents une concurrence de vertu, il les rendrait capables au dernier point d’arriver à la perfection.

175 2/ Plutarque, Vie de Lycurgue, c. 16, trad. Anne-Marie Ozanam, Paris, Quarto Gallimard, 2011.

L’éducation des Spartiates aurait été l’objet des plus grandes attentions du fondateur de la constitution des Lacédémoniens, le grand Lycurgue. Plutarque revient plusieurs siècles après sur ces temps légendaires.

Οὐδ' ἐξῆν ἑκάστῳ τρέφειν οὐδὲ παιδεύειν ὡς ἐβούλετο τὸν υἱόν, ἀλλὰ πάντας εὐθὺς ἑπταετεῖς γενομένους παραλαμβάνων αὐτὸς εἰς ἀγέλας κατελόχιζε, καὶ συννόμους ποιῶν καὶ συντρόφους μετ' 5

ἀλλήλων εἴθιζε συμπαίζειν καὶ συσχολάζειν. Ἄρχοντα δ' αὐτοῖς παρίστατο τῆς ἀγέλης τὸν τῷ φρονεῖν διαφέροντα καὶ θυμοειδέστατον ἐν τῷ μάχεσθαι· καὶ πρὸς τοῦτον ἀφεώρων καὶ προστάττοντος 10

ἠκροῶντο καὶ κολάζοντος ἐκαρτέρουν, ὥστε τὴν παιδείαν εἶναι μελέτην εὐπειθείας.

Ἐπεσκόπουν δὲ οἱ πρεσβύτεροι παίζοντας αὐτούς, καὶ τὰ πολλὰ μάχας τινὰς ἐμβάλλοντες ἀεὶ καὶ φιλονεικίας, οὐ 15

παρέργως κατεμάνθανον ὁποῖός ἐστι τὴν φύσιν ἕκαστος αὐτῶν πρὸς τὸ τολμᾶν καὶ μὴ φυγομαχεῖν ἐν ταῖς ἁμίλλαις. Γράμματα μὲν οὖν ἕνεκα τῆς χρείας ἐμάνθανον· ἡ δ' ἄλλη πᾶσα παιδεία πρὸς τὸ ἄρχεσθαι καλῶς 20

ἐγίνετο καὶ καρτερεῖν πονοῦντα καὶ νικᾶν μαχόμενον. Διὸ καὶ τῆς ἡλικίας προερχομένης ἐπέτεινον αὐτῶν τὴν ἄσκησιν, ἐν χρῷ τε κείροντες καὶ βαδίζειν ἀνυποδήτους παίζειν τε γυμνοὺς ὡς τὰ 25

πολλὰ συνεθίζοντες.

Lycurgue ne laissa aucun citoyen nourrir et élever son fils comme il l’entendait ; dès que les enfants avaient sept ans, il les prenait tous lui-même, les enrôlait dans des troupes, leur imposait les mêmes lois et la même nourriture, et les habituait à jouer et à étudier ensemble.

Celui qui se montrait le plus intelligent et le plus acharné au combat devenait le chef de la troupe ; tous fixaient leurs regards sur lui, obéissaient à ses ordres et se laissaient punir par lui : l’éducation était d’abord un apprentissage de l’obéissance. Les vieillards surveillaient les jeux et ne cessaient de provoquer beaucoup de bagarres et de disputes, pour étudier la nature de chacun et voir s’il serait courageux et ne se déroberait point au combat. Leur apprentissage des lettres se bornait au strict nécessaire ; tout le reste de leur éducation visait à leur apprendre à bien obéir, à endurer l’effort et à vaincre au combat. Quand ils grandissaient, on durcissait leur entraînement : on leur rasait la tête, on les habituait à marcher sans chaussures et à jouer nus la plupart du temps.

176 3 / Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, II, 39, trad. Jacqueline de Romilly, CUF, 1962.

Périclès, dans l’éloge funèbre des morts de la première année de guerre (431-430), évoque certains des éléments qui font à ses yeux la spécificité et la puissance d’Athènes.

Καίτοι εἰ ῥᾳθυμίᾳ μᾶλλον ἢ πόνων μελέτῃ καὶ μὴ μετὰ νόμων τὸ πλέον ἢ τρόπων ἀνδρείας ἐθέλομεν κινδυνεύειν, περιγίγνεται ἡμῖν τοῖς τε μέλλουσιν ἀλγεινοῖς μὴ προκάμνειν, καὶ ἐς αὐτὰ ἐλθοῦσι μὴ 5

ἀτολμοτέρους τῶν αἰεὶ μοχθούντων φαίνεσθαι, καὶ ἔν τε τούτοις τὴν πόλιν ἀξίαν εἶναι θαυμάζεσθαι καὶ ἔτι ἐν ἄλλοις.

’Φιλοκαλοῦμέν τε γὰρ μετ' εὐτελείας καὶ φιλοσοφοῦμεν ἄνευ μαλακίας· πλούτῳ τε 10

ἔργου μᾶλλον καιρῷ ἢ λόγου κόμπῳ χρώμεθα, καὶ τὸ πένεσθαι οὐχ ὁμολογεῖν τινὶ αἰσχρόν, ἀλλὰ μὴ διαφεύγειν ἔργῳ αἴσχιον.

ἔνι τε τοῖς αὐτοῖς οἰκείων ἅμα καὶ πολιτικῶν ἐπιμέλεια, καὶ ἑτέροις πρὸς ἔργα 15

τετραμμένοις τὰ πολιτικὰ μὴ ἐνδεῶς γνῶναι·

μόνοι γὰρ τόν τε μηδὲν τῶνδε μετέχοντα οὐκ ἀπράγμονα, ἀλλ' ἀχρεῖον νομίζομεν, καὶ οἱ αὐτοὶ ἤτοι κρίνομέν γε ἢ ἐνθυμούμεθα ὀρθῶς τὰ πράγματα, οὐ τοὺς λόγους τοῖς ἔργοις 20

βλάβην ἡγούμενοι, ἀλλὰ μὴ προδιδαχθῆναι μᾶλλον λόγῳ πρότερον ἢ ἐπὶ ἃ δεῖ ἔργῳ ἐλθεῖν.

Or, au total, si c’est en nous laissant vivre plus qu’en nous entraînant aux épreuves, et avec un courage tenant moins aux lois et plutôt au caractère, que nous acceptons les dangers, il nous reste un bénéfice : c’est, en évitant de souffrir à l’avance pour les épreuves à venir, de montrer, quand nous les abordons, tout autant d’audace que les gens continuellement à la peine. C’est là un trait où notre ville mérite admiration : il se joint à d’autres encore. Nous cultivons le beau dans la simplicité, et les choses de l’esprit sans manquer de fermeté. Nous employons la richesse, de préférence, pour agir avec convenance, non pour parler avec arrogance ; et, quant à la pauvreté, l’avouer tout haut n’est jamais une honte : c’en est plutôt de ne pas s’employer en fait à en sortir. Une même personne peut à la fois s’occuper de ses affaires et de celles de l’Etat ; et quand des occupations diverses retiennent des gens divers, ils peuvent pourtant juger des affaires publiques sans rien qui laisse à désirer. Seuls, en effet, nous considérons l’homme qui n’y prend aucune part comme un citoyen non pas tranquille mais inutile ; et, par nous-mêmes, nous jugeons ou raisonnons comme il faut sur les questions ; car la parole n’est pas à nos yeux un obstacle à l’action : c’en est un au contraire de ne pas s’être d’abord éclairé par la parole avant d’aborder l’action à mener.

177 Texte complémentaire

Johann Chapoutot, Le Nazisme et l’Antiquité, Paris, 2012, p. 326-327 (extrait du chapitre « État raciste et société holiste : Platon philosophe-roi ou le IIIe Reich comme seconde Sparte »).

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Eugénisme et militarisme convergent dans une entreprise de défense d’une élite nordique fière de sa race et soucieuse de préserver sa naturelle domination sur une population servile abondante. État prétotalitaire, Sparte soumet sa population à une vie de caserne, pour le bien de la communauté : « Les jeunes garçons étaient soumis à partir de l’âge de sept ans à une vie de camp permanente et dressés à l’exercice physique, au combat des armes, à l’endurcissement, à l’obéissance et à la maîtrise de soi. » Tous les topoï, décidément, sont convoqués pour dresser l’édifiant tableau d’une Sparte où le renoncement à soi et le sacrifice à la communauté sont érigés en pierre angulaire d’une cité-caserne. Le langage s’en ressent, car, de même que la musique y bat le rythme de la marche pour l’infanterie, « les réponses, dans le pays de Laconie, devaient être courtes, claquantes et pertinentes–c’est‑à-dire laconiques », précisément12. Quand Hitler, dans le chapitre de Mein Kampf consacré à l’éducation écrit « qu’il faut que chaque enfant fasse passer avant son intérêt particulier l’intérêt général, qu’il sacrifie ses préférences personnelles à l’avenir de la race et au bien de l’État. Ce qu’on exige de lui, ce sont les vertus du soldat, caractère, obéissance, oubli de soi », Sparte n’est certes pas nommée, mais c’est bien l’agogê lacédémonienne qui est décrite, sous la plume d’un homme qui, nous le savons, a des lectures en histoire ancienne, qui connaît et apprécie Sparte, modèle de communauté nordique.

L’agogê spartiate est célébrée par Helmut Berve13, qui y voit la seule voie propre à éduquer une race des seigneurs appelée à exercer un contrôle total sur soi avant de dominer de vastes espaces et des populations nombreuses : « La contrainte exercée sur les pulsions et leur intégration dans une communauté qui ne leur attribuait qu’une seule direction a créé à Sparte, comme elle le ferait partout ailleurs, un modèle d’homme-seigneur », à la fois « habitué à obéir et appelé à commander ».

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12 Citations extraites par Chapoutot d’un manuel d’histoire écrit par un proche des dirigeants nazis, Walther Gehl, Geschichte, 2. Klasse :Oberschulen und Gymnasien, Breslau, Ferdinand Hirt, 1939.

13 Autre historien de l’Antiquité proche du nazisme, auteur de Sparta, Leipzig, Bibliographisches Institut AG, 1920, rééd. 1937 et 1944, 148 p.

178 Document complémentaire

Luigi Mussini, L’éducation à Sparte, 1869, peinture à l’huile, 1,25 m. (hauteur) ; 1,62 (largeur), Musée Ingres, Montauban.

179 Le sujet de grec ici présenté donne à lire des textes classiques dans des traductions d’époques différentes, dont une assez ancienne (celle de Talbot de 1859), face à laquelle le candidat doit rester vigilant. Cette traduction est représentative de celles qu’on trouve facilement en ligne, avec lesquelles les professeurs seront conduits à travailler bien souvent, avant vérification dans une édition plus récente, et qui seront aussi celles que les élèves auront tendance à consulter le plus fréquemment de chez eux. Le texte canonique de Xénophon décrit l’obligation de réserve, de silence, et le goût de la compétition que Lycurgue aurait voulu insuffler aux jeunes Spartiates. Le passage de Plutarque évoque la dimension collective de l’éducation, le contrôle de cette dernière par les plus vieux, la dureté de l’entraînement paramilitaire et l’absence d’éducation artistique. Face à ces deux textes, le passage de l’oraison funèbre de Périclès met en avant au contraire la douceur et la facilité de vivre des Athéniens, qui mettent au cœur de leur système démocratique la libre parole, pour qu’elle éclaire l’action. À travers le thème de l’éducation, on retrouve donc l’opposition entre les deux grandes villes, principales belligérantes de la guerre du Péloponnèse, que le discours de Périclès contribue bien souvent à mettre en scène. L’analyse du tableau ne posait aucun problème, puisque son titre indiquait clairement son lien avec le thème central du corpus14. L’extrait de l’ouvrage de l’historien Chapoutot confirmait encore la centralité du thème de l’éducation, l’analyse d’ouvrages de juristes et d’hommes politiques nazis lui permettant de souligner la place du « modèle » spartiate dans l’élaboration des discours éducatifs eugénistes et militaristes du IIIe Reich.

Un tel corpus ne posait donc pas de problème d’unité : il s’agissait pour les candidats d’étudier un

« modèle » de cité, Sparte, plus particulièrement à travers la question de l’éducation, en tentant, si possible, de dégager aussi quelques éléments d’opposition avec le contre-modèle athénien (comme l’intitulé du programme de la classe de Troisième figurant dans le sujet les y invitait : « La Grèce dans son unité et sa diversité / Deux modèles de cité, Athènes et Sparte »). Ce faisant, c’est bien sûr la notion de modèle qui s’avère problématique et susceptible d’alimenter la réflexion d’un enseignant et d’une classe de Troisième. Tout d’abord il fallait se rendre compte que la notion de modèle engage l’idée d’une construction. Le modèle est le fruit d’une réflexion qui prend place dans un contexte historique et argumentatif particulier. Quel est l’intérêt de Xénophon à louer particulièrement l’éducation spartiate ? Des connaissances simples suffisaient à mettre en perspective l’éloge qu’il fait de Sparte (les candidats auraient pu trouver aisément les éléments nécessaires dans le dictionnaire de l’Antiquité disponible en salle de préparation). À défaut de connaissances précises sur la biographie d’un auteur, le jury attend au moins des réflexes de bon sens : est-il surprenant de voir Xénophon, disciple de Socrate au même titre que Platon, prendre parti pour un autre modèle d’éducation que celui, plus libre, mais probablement à ses yeux plus dangereux et moins efficace, alors en vigueur à Athènes ? Le texte de Xénophon, pas plus que celui de Plutarque, ne pouvait donc être pris comme un document historique dont il suffisait de relever les éléments principaux en prétendant dresser un tableau objectif, à l’usage des élèves, de l’ancienne éducation spartiate. Les textes de Xénophon et Plutarque paraissaient certes proches, mais le jury a été sensible à l’effort qu’ont fait certains candidats pour les distinguer. L’éloge est moins marqué dans l’extrait du philosophe et lettré d’époque romaine : le refus d’enseigner la lecture introduit un soupçon d’inquiétude dans la représentation de cette éducation fascinante. Inutile enfin de rappeler que l’éloge d’Athènes par Périclès ne saurait non plus être considéré comme une simple description ou un compte rendu objectif du fonctionnement des institutions athéniennes15 ; le texte est extrait du genre codifié de l’oraison funèbre, et Périclès a une stratégie argumentative bien déterminée face à des Athéniens qui contestent de plus en plus ses décisions politiques et militaires. À défaut d’une lecture récente du livre II de l’Histoire de la guerre du Péloponnèse, le jury attendait des

14 Reproduction en ligne : http://agorha.inha.fr/inhaprod/ark:/54721/00311474

15 Voir le rapport de 2015 qui fait déjà ces remarques pour ce même texte.

180 candidats une attention minimale à ce contexte d’énonciation rhétorique et politique, mentionné clairement dans le chapeau de présentation du texte, rédigé par le jury à l’intention des candidats16. La notion de « modèle de cité », notion au programme de la classe de Troisième, demandait donc en elle-même que le candidat s’interroge sur les stratégies argumentatives de construction d’une image de la cité, en partie fictive. La confrontation avec les documents modernes et contemporains orientait d’ailleurs nettement vers cette prise en compte de la part de fantasme qui s’attache à la ville de Sparte.

Le texte de Y. Chapoutot sur la terrifiante réappropriation par certains intellectuels nazis du modèle eugéniste et militariste d’éducation spartiate permettait d’aller dans ce sens. L’historien évoque lui-même les « topoi » dont s’emparent les intellectuels nazis et cite entre guillemets leurs réflexions sur Sparte. Il convenait donc de garder la bonne distance par rapport à ces discours qui ne disent rien d’objectif sur ce qu’était la Sparte ancienne. L’historien contemporain veut au contraire faire émerger la croyance des nazis dans la proximité du régime qu’ils mettent en place avec la représentation qu’ils construisent, à des fins idéologiques, de la Sparte ancienne.

Rappelons que les régimes totalitaires du XXe siècle sont au programme d’histoire de la classe de troisième et que le rapport de ces régimes à l’Antiquité aura pu être également mis en évidence dans un travail en histoire de l’art. La référence à Sparte est présente dans la pensée des 18e et 19e siècles.

Le modèle d’éducation spartiate était un rêve de révolutionnaires comme Robespierre, mais inquiétait les plus libéraux qui lui préféraient l’éducation à Athènes. La cité antique de Fustel de Coulanges, avec de forts passages sur Lycurgue est parue en 1864. Le tableau de Mussini date de la fin du second Empire. Il n’était bien sûr pas demandé aux candidats d’identifier la position politique du peintre Mussini sur ces sujets. Toutefois, ils devaient pouvoir s’interroger sur l’effet recherché par la représentation donnée de l’éducation à Sparte : sans doute veut-elle susciter une certaine inquiétude, par la mise en scène cruelle de l’enivrement de l’esclave et par la farouche détermination du jeune enfant spartiate. Le tableau se prêtait bien à une comparaison avec les textes antiques, qui, si elle ne doit pas toujours être conduite terme à terme, pouvait ici trouver tout son intérêt. Un certain nombre de thèmes vus dans les textes recevait en effet un traitement pictural : nudité des jeunes, sévérité des Anciens, contrôle de la jeunesse par le regard des adultes, surveillance. Le peintre en ajoutait de nouveaux, non mentionnés dans les extraits, mais que les candidats pouvaient retrouver s’ils disposaient d’une bonne culture générale sur les institutions anciennes : le chien et la lance font sans doute allusion à la cryptie, rite de chasse cruelle contre les esclaves à laquelle se seraient adonnés les fils des homoioi, les égaux spartiates17. Le sort de l’esclave ivre apparaissait alors singulièrement précaire...

De bons réflexes critiques et une prise en compte minimale de l’énonciation ou du contexte de production des œuvres ou extraits proposés devaient donc conduire à l’élaboration de la problématique : l’éducation spartiate ancienne est un fantasme, une construction élaborée historiquement dans des contextes différents, souvent par opposition avec le modèle athénien jugé plus ou trop « libéral ». Cette construction peut susciter adhésion directe et totale, à des fins de critique de régimes jugés inefficaces et décadents, ou au contraire sentiment d’inquiétude et de menace, pour ceux qui s’attachent à une vision plus libérale de l’éducation. La dimension absolument collective de l’éducation (plutôt que familiale), concurrentielle, le privilège accordé au silence ou à la construction du corps sur l’esprit pouvaient ensuite être replacés dans la perspective du monde moderne, dans de multiples jeux de comparaisons et d’écarts.

Sur un tel sujet, les prestations ont été diverses et inégales, notamment en raison de la difficulté qu’ont eue les candidats à sortir de la description et de l’énumération des éléments « historiques » qu’ils ont

16 « Périclès, dans l’éloge funèbre des morts de la première année de guerre (431-430) évoque certains des éléments qui font à ses yeux la spécificité et la puissance d’Athènes. »

17 Les connaissances de base sur le sujet de l’éducation spartiate sont facilement accessibles dans l’Histoire de l’éducation de l’Antiquité d’Henri-Irénée Marrou, qui, quoiqu’ancien, reste un ouvrage important pour la préparation d’un concours d’enseignement.

181 cru voir dans les textes. Il a souvent manqué une réflexion sur la notion de « modèle » et d’ « idéologie », comme celle que nous avons tenté de formuler. Cette absence de recul a donné lieu parfois à des affirmations et des jugements péremptoires sur le « totalitarisme » spartiate, le constat de l’historien Chapoutot sur le régime nazi étant perçu par erreur comme un jugement sur Sparte. Dans le même ordre d’idées, le jury regrette que les candidats n’aient pas suffisamment souligné la dimension largement mythique des réformes attribuées au légendaire Lycurgue. L’éloge du législateur archaïque est un topos philosophique et littéraire.

Les problématiques retenues par les candidats ont été parfois trop peu élaborées. Certaines se sont contentées de reprendre l’intitulé du programme en ajoutant le thème de l’éducation dans la formulation. Certains candidats, tenant compte de la spécificité de cette épreuve et de la comparaison entre Antiquité et modernité qu’elle suppose, ont proposé en introduction de souligner « l’actualité des valeurs spartiates ». La formulation était maladroite : « l’actualité » en question se bornait dans le corpus à un texte évoquant l’Allemagne nazie. Les candidats ont en revanche compris dans l’ensemble qu’il fallait s’orienter vers l’observation des jeux d’opposition entre Athènes et Sparte, ce qui pouvait donner lieu à des séances intéressantes, et notamment permettre une lecture fine de l’extrait du discours de Périclès, dont beaucoup d’éléments peuvent être compris comme des antithèses du « modèle » spartiate.

Un exposé a retenu particulièrement l’attention du jury sur ce sujet. La candidate partait en introduction de l’analyse du tableau de Mussini pour y souligner la tension entre la force de caractère spartiate et le danger potentiel d’une telle éducation, fabricant des hommes agressifs. Le tableau comme critique ou éloge de Sparte ? La question devait être posée. Une bonne et claire première séance situait Sparte et Lacédémone dans l’espace grec (avec un point de lexique utile sur la différence entre ces deux appellations). Les adjectifs « spartiate » et « laconique » faisaient ensuite l’objet d’une réflexion collective avec la classe. Était soulignée la dimension « masculine » des valeurs que ces adjectifs expriment en français. Une deuxième séance se fondait sur l’analyse du texte de Plutarque. Il était donné en français (moins quelques mots clefs concernant l’éducation) et en grec. Cela permettait aux élèves de 3ème de dégager les valeurs principales de l’éducation en langue originale. L’analyse de l’énonciation terminait la séance : la subjectivité du point de vue de Plutarque, dont le texte ne « saurait constituer un miroir fidèle » de la réalité spartiate, était interrogée. Le choix d’une séance de langue sur les comparatifs et superlatifs dans le texte de Xénophon était aussi particulièrement bien justifié : il s’agissait d’observer ces formes qui traduisent l’idéal de perfectionnement moral et de dépassement de soi, caractéristique de l’éducation spartiate.

b) Exemple d’un sujet de latin pour la classe de première.

182 ANALYSE D’UNE SITUATION PROFESSIONNELLE :

« LANGUES ET CULTURES DE L’ANTIQUITÉ POUR LETTRES CLASSIQUES » Nom et prénom du candidat : Commission n° :

Textes

Texte 1 – Pétrone (Ier siècle après J.-C.), Satiricon, LXII, traduction Liza Méry, Belles Lettres, Editio Minor, 2016.

Texte 2 – Pline le Jeune, (61/62-113 après J.-C.), Lettres, VII, 27, 5-11, traduction A.-M.

Guillemin, CUF, (1928) 2003.

Texte 3 – Lucain (39 -65 après J.-C.), La Guerre civile (La Pharsale), Livre VI, vv. 529-549, texte établi et traduit par A. Bourgery et M. Ponchont, CUF, (1930) 2003.

Documents complémentaires

Document 1 : C. Baudelaire (1821-1867), « Une gravure fantastique », in Les Fleurs du Mal, section « Spleen et Idéal », 1857.

Document 2 : Giotto di Bondone (1266-1337), Le Jugement dernier, fresque, 1306.

Sujet

Dans le cadre de l’enseignement des langues anciennes en classe de 1ère et plus particulièrement de l'objet d'étude « Récits et témoignages : formes narratives et romanesques », vous analyserez le corpus proposé. Vous préciserez ses enjeux et les modalités de son exploitation, sous la forme d'un projet de séquence, dont vous développerez une séance, au choix.

La séance inclura obligatoirement l'étude de l'un des textes du corpus et d'un fait de langue pertinent pour l'interprétation de ce texte.

Le 2018 Signature du candidat :