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Querelles littéraires et prescription révolutionnaire

A. Des schémas préexistant réintégrés au web

3. Querelles littéraires et prescription révolutionnaire

Comme nous l’avons vu précédemment, la querelle littéraire, critique et prescriptive est aussi ancienne que l’apparition de la littérature dans la presse. Dès les débuts du XIXe siècle, les littératures imprimées quotidiennement entraînent avec

elles les journaux et référents qui les portent et défendent (souvent eux-mêmes porte- parole de mouvements et d’écoles bien connus).

CHAPELAIN, Brigitte (dir.). Prescription culturelle : avatars et médiamorphoses. Op cit.

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Ibid.note 56.

a) Le cas de la « littérature nouvelle »  57

Les années 1800 amènent avec elles un air de changement et un vent nouveau. La critique littéraire avait jusqu’alors défendu et traité exclusivement les genres «  nobles  », à savoir pas d’ouvrages de fictions. À la même période, de nombreux nouveaux genres commencent à faire du bruit sur leur passage. Parmi eux le roman, la nouvelle et la poésie. C’est la période du romantisme, qui détient tant bien que mal le soutien des instances médiatiques qui suivent faiblement. Ce malaise n’encourage pas les débouchés éditoriaux qui suivent malgré tout les modes approuvées par les journaux, alors premiers vecteurs de diffusion littéraire.

C’est une révolution littéraire et également le début d’une querelle. Deux camps s’opposent alors. Les protecteurs de la science et des sciences humaines, qui considèrent que la littérature doit être le «  fruit de la réflexion  »  , avec pour 58

représentante Madame de Staël. Et en face les protecteurs de la fiction et de l’invention, qui considèrent que la littérature est une science abstraite, avec pour porte-parole Jacques Ampère.

Ainsi la prescription littéraire et la critique donnent déjà à débattre. Les journaux et leurs dirigeants s’opposent jusqu’à ce que la littérature fiction s’impose et que les mentalités évoluent.

Ces querelles se poursuivront par la suite en changeant simplement de cœur de cible. En 1830, Victor Hugo avec Hernani lance le débat pour l’indépendance des arts et notamment la «  bataille d’Hernani  » qui consacre le genre romantique. En  1870 avec La Commune de Paris, plusieurs petites avant-gardes littéraires lancent de nouvelles revues qui vont à leur tour défendre la création littéraire et l’innovation. Ce qui donnera naissance à La Revue blanche (1889, frères Natanson), la Revue

indépendante (1841, Leroux, Sand et Viardot) ou encore La Plume (1889, Léon

Deschamp). Les écoles comme les revues se font et se défont, les querelles et batailles se suivent.

b) Le cas Zola  59

Dans son article « Zola prescripteur : porte-voix de la modernité en littérature », Frédéric Giraud développe comment Zola dans les années 1860 encourage une KHALIFA, Dominique, RÉGNIER, Philippe, THÉRENTY, Marie-Ève & VAILLANT, Alain. La Civilisation du journal.

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Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle. Op cit.

Ibid. note 58.

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CHAPELAIN, Brigitte (dir.). Prescription culturelle : avatars et médiamorphoses. Op cit.

nouvelle querelle, existentielle et révolutionnaire pour la littérature d’alors. Dans une entreprise similaire, celui-ci se fait alors défenseur de la littérature naturaliste.

Dans les années 1862 à 1869 il compte se placer en figure d’autorité littéraire ultime et rédige environ 650 comptes rendus. Il se veut agrégateur de lettres et pense savoir à lui seul ce qui est bon ou non pour l’avenir de la littérature française. Selon lui la littérature classique est révolue et doit laisser place à ses successeurs. Il devient donc le chef d’école du naturalisme même si il s’en défend. Selon l’auteur, les livres et leurs mots doivent « exposer la réalité sociale »  . Il encourage alors les écrivains de 60

son école à prendre place dans la presse, parmi eux Paul Alexis, Henry Ceard, Léon Hennique, etc.

Zola va même au-delà de ses ambitions littéraires car il indique une manière d’être écrivain, un rôle à suivre en quelque sorte, le sien. Il dénonce lui aussi le mécénat et l’emprise de l’argent sur la création littéraire. Il est partisan de la liberté de parole. Très conscient de la concurrence au sein du milieu, il ne perd pas une occasion pour que le naturalisme gagne sa place et ces lettres de noblesse. Au sens bourdieusien, il désire le statut de « lector », le statut d’autorité. Il ira s’auto attribuer cette place alors même que l’Académie Française lui refuse (ce qui n’est pas sans nous rappeler le phénomène d’auto légitimation dont on parle aujourd’hui à propos des acteurs de l’environnement numérique).

On voit donc que les débats et les oppositions des prescripteurs sont vieux de plusieurs siècles. Avec le temps et l’évolution des outils et médias, de tels débats se sont retrouvés sur internet et sa branche littéraire. Aujourd’hui, la littérature dite populaire prend place dans l’environnement numérique quand la littérature classique garde sa place dans la presse et au cœur des jurys. Cette même littérature devenue classique qui était autrefois une littérature moderne et nouvelle.

Ainsi des schémas historiques se trouvent aujourd’hui présent dans l’environnement numérique et sont parfois même perçus comme révolutionnaires ou novateurs. L’accessibilité de l’amateur passionné va faire écho à la proximité du libraire, les débats ancestraux de genres se répètent dans le cyber espace qui se fait défenseur des genres de l’ombre. Ces mêmes genres non légitimes qui pendant des décennies n’ont pu être diffusés qu’exclusivement à travers la presse spécialisée amatrice.

Ainsi, le web se fait miroir de l’histoire, comme l’évolution des conséquences littéraires dues à des réflexes bien trop ancrés.

Ibid. note 60.